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Washington soutient-il un projet anti-démocratique en Haïti ?

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Washington soutient-il un projet anti-démocratique en Haïti ?

 Récemment, l’envoyé spécial Américain pour Haïti, Thomas C. Adam a qualifié le Parlement Haïtien, la 49e législature en particulier, de singulièrement improductive. Cette information publiée par la Caraibe News Now  le 25 Octobre dernier et reprise par plusieurs Radios haïtiennes a suscité des réactions au niveau du Sénat de la République et de la classe politique. Très mécontent de ce commentaire, le vice-président du Sénat, Andris Riché a dénoncé l’ingérence des Etats-Unis dans les affaires internes du parlement haïtien. Selon le sénateur de la Grand-Anse, « Si les américains tiennent de tels propos concernant le fonctionnement du parlement, c’est parce que le pays est trop dépendant. Â» L’élu de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL) dit croire qu’il est temps que les Haïtiens se prennent en charge pour éviter que les étrangers traitent les institutions nationales avec dédain.

 Le représentant spécial d'Haïti au Département d'Etat, Thomas C. Adams a également déclaré que les législateurs haïtiens n'avaient pas encore voté suffisamment de lois pouvant aider le pays à faire face aux défis que représentent le développement moderne et l'investissement. ‘'Le parlement haïtien a fait preuve d'une improductivité singulière cette année en votant seulement neuf (9) lois au total'', a fait savoir M. Adams devant le Comité des affaires étrangères de la Chambre des représentants, lors d'une séance d'audition. Â» Ces commentaires du diplomate américain ont fait réagir également le sénateur du Sud, Francky Exius qui dénonce le parti pris de Thomas Adams dans le cadre de cette affaire. Le parlementaire a souligné que la 49e législature a voté une vingtaine de lois au cours de l’année 2013 contrairement à ce que rapporte Mr. Adams. Francky Exius a aussi encouragé Thomas Adams a dénoncé le comportement de l’exécutif qui n’a toujours pas publié un ensemble de lois voté au parlement.

 Pour sa part, la présidente de la Fusion des Sociaux-Démocrates, Mme Edmonde Supplice Beauzile a estimé que le parlement aurait pu faire mieux, mais il ne revient pas aux Américains de dicter aux législateurs quoi faire. Mme Beauzile pense que ce comportement est une preuve que le pays n’est pas souverain et qu’Haïti vit sous occupation.

 Cependant, il ne faut pas voir seulement dans cette démarche une ingérence américaine dans les affaires du parlement Haïtien. Quoiqu’anormal, les Américains se sont toujours ingérés dans la politique haïtienne. Et c’est un fait que personne ne peut nier. D’autant que, dans certains cas, cette ingérence est souvent sollicitée par des acteurs politiques nationaux soit pour les aider à se maintenir au pouvoir ou pour se débarrasser de régimes qu’ils jugent anti-démocratiques. Par exemple, la Mission des Nations-Unies pour la Stabilité en Haïti (MINUSTAH) qui a introduit le virus du choléra en Haïti ayant fait plus de huit (8) mille morts et plus de six-cents mille (600.000) infectés, a été établie à la demande du gouvernement de transition dirigé par Me Alexandre Boniface et Gérard Latortue, le 1er juin 2004 par la résolution 1542 du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Certains feront remarquer peut-être que le président Aristide a été rétabli dans ses fonctions en 1994 par les Etats-Unis avec un déploiement de vingt mille (20.000) marines. D’autres diront sans doute qu’il s’agissait de réparer une bêtise commise par l’Armée d’Haïti après avoir renversé un gouvernement démocratique, mais avec le soutien de l’administration américaine de l’époque. Entre ces deux considérations, il y a probablement une vérité.

 Les déclarations de Thomas Adams doivent sans doute apporter de l’eau au moulin de l’exécutif Haïtien qui ne cache pas son intention de dissoudre le parlement. La démarche du diplomate américain peut s’inscrire dans une dynamique d’affaiblissement de l’institution parlementaire qui semble faire obstacle au processus de liquidation de certaines ressources minières du pays. Dans une résolution adoptée le 20 février écoulé le Sénat de la République avait demandé de surseoir immédiatement aux démarches relatives à l’extraction minière en Haïti, sans analyse des contrats par le parlement et sans la tenue d’un débat national sur la question. La résolution du Sénat n’a pas plu à tout le monde, spécialement les américains et leurs sous-traitants. La majorité des compagnies ayant remporté ces contrats d’exploitation minière en Haïti dans des conditions très peu transparentes était américaine.

 Ces derniers temps, le pouvoir exécutif part en guerre contre le parlement. La chambre des députés où il détient une majorité présidentielle regroupée au sein du bloc Parlementaire pour la Stabilité et le Progrès (PSP) étant en vacance, c’est le Sénat, à travers quelques sénateurs de l’opposition qui encaissent les coups. Le pouvoir exécutif est composé de deux branches ; la présidence et la primature. La présidence a littéralement absorbé la primature. Le président de la République joue quasiment tous les rôles. Après avoir vassalisé le pouvoir judiciaire à travers le président du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) Me Arnel Alexis Joseph qui, jusqu’ici a toujours accepté sans rechigner, toutes sortes de combine pour plaire au chef de l’Etat, organise depuis quelque temps une véritable croisade anti-parlement.

 En effet, l’exécutif et le judiciaire se sont associés pour démanteler lentement, mais certainement le parlement haïtien qu’ils accusent de tous les maux. Pour y parvenir, ils procèdent au dénigrement de l’institution, banalisent les actes parlementaires, piétinent les prérogatives constitutionnelles du parlement et, dans certains cas, tentent d’attiser la haine populaire contre certains parlementaires. Si Michel Martelly qui a été élu le 20 Mars 2011 avec seulement 700.000 voix sur une population en âge de voter estimée à près de 4.6 millions d’électeurs jouissait d’un grand soutien populaire, la situation pourrait se compliquer le parlement haïtien. Pour mieux coordonner cette croisade anti-parlement, le pouvoir exécutif mobilise toute sa cohorte de « grands conseillers politiques Â», dont d’anciens parlementaires, des porte-paroles officiels et des alliés politiques, d’anciens vrais faux hommes de gauche qui se réclament pourtant de l’opposition sans compter ses soutiens au niveau d’une certaine presse qui essaient de faire de l’équilibre dans le déséquilibre et les faux démocrates. A chacun son rôle. Certains sont là pour distraire le public, d’autres pour l’intoxiquer à l’aide de campagne de mensonge savamment orchestrée par le régime.

 

Pour mieux comprendre cette croisade anti-parlement et cette campagne d’affaiblissement de ce pouvoir qui est le co-dépositaire de la souveraineté nationale, il faut se référer aux correspondances adressées au président du Sénat par le président de la République Michel Martelly, le premier ministre Laurent Lamothe concernant la désignation des nouveaux membres de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) et le président du CSPJ, Arnel Alexis Joseph dans le cadre de l’affaire Me André Michel. C’est un véritable tous contre un !

 D’abord, dans une correspondance adressée au président du Sénat, Simon Dieuseul Desras, le 23 octobre 2013, le chef de l'Etat relève que « ces sept candidats choisis sur 101 postulants ont des liens directs et privilégiés avec le Parlement ». « Ces liens, détaille Michel Martelly, vont à la fonction d'ancien sénateur, d'ancien député, de président de commission et de président de l'assemblée, de secrétaire général jusqu'à celle de chef de campagne de sénateur, et j'en passe Â» souligne Michel Martelly qui se veut soudainement respectueux de la Constitution pendant qu’il est en train de la violer à travers sa démarche relative à la mise en place d’une commission de veting pour investiguer sur l’intégrité du processus ayant débouché sur l’élection des nouveaux membres de la Cour des Comptes. Dans cette lettre adressée au président du Sénat, Michel Martelly fait des remontrances et passe même des ordres.

 Â« En ce qui a trait au cas d'un ancien employé de l'ONA retenu au nombre des dix conseillers sélectionnés, je suggère que le Sénat conduise, au plus tôt, une enquête sur son passage à cette institution. Une telle enquête pourrait nous éviter un scandale de plus dans la conduite des affaires de l'Etat », fait remarquer le chef de l'Etat au président du Sénat, Simon Dieuseul Desras. Toutefois, il est clair que l’élection des membres de la Cour des Comptes est une attribution constitutionnelle du Sénat de la République. En ce sens, l’article 206 de la Constitution est sans équivoque : « Les candidats à cette fonction font directement le dépôt de leur candidature au Bureau du Sénat de la République. Le Sénat élit les dix (10) Membres de la Cour, qui parmi eux désignent leurs Président et Vice-Président. Â» D’aucuns s’interrogent aujourd’hui sur les vrais motivations du chef de l’Etat qui a décidé de bloquer le processus de renouvellement des membres de la Cour des Comptes par souci, dit-il, de veiller au respect de la constitution alors qu’il s’était tu sur le cas de Me Anal Alexis Joseph qui a été désigné à la Cour de Cassation   en violation de la Constitution, celui-ci ayant déjà atteint l’âge de la retraite.

 Dans une autre lettre en date du 4 octobre 2013 adressée à la présidente de la CSC/CA demandant   « aux actuels conseillers de rester en poste jusqu'à la fin de l'évaluation qui sera conduite sur l'intégrité du processus ayant abouti à la désignation des nouveaux membres », Michel Joseph Martelly explique son refus de publier les noms de ces derniers dans Le Moniteur. Une autre violation grave de la Constitution. Et il ne se contente pas de violer la Constitution lui-même, mais il demande aux membres sortants de le suivre dans sa voie. A part ceux qui ont été reconduit, la plupart des membres de la Cour des Comptes sont occupent leur poste de facto.

 Le premier ministre a lui aussi écrit au président du Sénat dans le même sens pour faire des remontrances. Cependant, probablement embarrassé, le Premier ministre Laurent Lamothe a eu un minimum de décence pour écrire au président Desras pour lui dire d'ignorer la lettre qu'il lui avait adressée par ERREUR le 23 octobre. Â» L’erreur est le point fort du régime ! Et c’est pourquoi, il a choisi d’engager ce bras de fer inutile avec le parlement.

 Le président du Conseil Supérieur du pouvoir Judiciaire (CSPJ), Me Anel Alexis Joseph a écrit au président du Sénat, pas pour le dossier de la Cour Supérieur des Comptes, mais pour l’affaire de Me André Michel. Dans sa correspondance, Anel Alexis Joseph dit protester contre « l’intrusion de parlementaires au parquet du tribunal de première instance de Port-au-Prince pour enlever un prévenu qui devait être interrogé conformément à la loi ». Cette allégation selon laquelle des parlementaires avaient arraché de force Me André Michel des mains du commissaire du gouvernement est fausse. Les bandes visuelles sont là pour le prouver. Le CSPJ, a-t-il conclut, demande au président du Sénat et de la Commission Justice de retourner le prévenu à la justice pour éviter qu’un mandat d’arrêt soit décerné contre lui. En faisant référence au mandat d’arrestation, le président du CSPJ a pris parti dans cette affaire. Pourquoi écrit-il au Sénat ? Ce qui est certain c’est que sa démarche participe de la même dynamique visant à acculer et à affaiblir davantage le parlement haïtien.

 C’est dans ce contexte marqué particulièrement par une croisade anti-parlement qu’arrivent les propos de Thomas C. Adams. S’agit-il d’une simple coïncidence ou une initiative visant à soutenir un projet anti-démocratique en Haïti? On ne devrait pas s’étonner si tel était le cas. Jusqu’ici, Washington ne s’est vraiment pas préoccupé des violations des droits de l’homme, de la Constitution et du processus lent, mais certain de démantèlement des institutions démocratiques du pays. Ce n’est certes pas son rôle, mais il s’est permis de le faire depuis bien longtemps. Il s‘est même arrangé pour renversé des gouvernements au nom de cette logique qui lui est propre. Aujourd’hui, si Washington est muet et aveugle sur les actes de l’Exécutif haïtien, c’est que quelque part, quelque chose ne va pas. Se rage-t-il du côté de ceux qui se battent pour la démocratie et le renforcement des institutions nationales ou au contraire, du côté de ceux qui se rebellent contre la Constitution et les principes élémentaires de la démocratie ?

Il est également connu que chaque fois que le régime Tèt Kalé (crâne rasé en français) déjà très affaibli ces derniers temps par un ensemble d’affaires et de scandales de corruption ayant éclaboussé la famille présidentielle est pris à son propre piège, il y a toujours une haute autorité américaine pour voler à son secours. Avec les manifestations de rue de plus en plus fréquentes de l’opposition réunissant chaque fois plus de participant, le régime et ses tuteurs ont vraiment de quoi s’inquiéter. En dépit de ses faiblesses structurelles et l’absence d’un plan d’ensemble, l’opposition qui s’était endormie profondément pendant les deux dernières années comment à se réveiller lentement et gagne petit à petit du terrain. L’arrestation de Me André Michel, une figure de l’opposition à Michel Martelly peut en témoigner. L’opposition a réagi de façon spontanée et la manifestation de soutien à André Michel a rassemblé des gens venus de secteurs et d’horizons différents. Des avocats, des militants politiques de l’opposition, des étudiants, des écoliers, des défenseurs des droits de l’homme, des parlementaires etc. étaient là en signe de solidarité non seulement à Me André Michel, mais également à la démocratie qui, selon eux, est aujourd’hui mis en péril par le comportement du pouvoir en place.

Francklyn B. Geffrard
Journaliste indépendant

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