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L’Église Protestante d’Haïti, est-elle devenue un parti politique ?

jose pierrePar J’ose Pierre  ---  « Dieu m’a visité de nuit. Il m’a révélé que je suis Moïse et m’a confié la mission de conduire Haïti à la terre promise »

La plus fidèle exégèse de cette épigramme est la suivante : « Dieu m’a choisi, l’Église est convoquée pour prendre sa responsabilité en vue de mon élection à la présidence de la république. »

Du Nord au Sud, de l’Est à L’Ouest, à travers Haïti, ils sont une dizaine de « Moïse » à revendiquer cette prophétie. Tous des figures dominantes de la communauté protestante d’Haïti. Qui, dirigeants de missions. Qui, dirigeants de fédérations protestantes. Qui, simples pasteurs.

Tous des leaders protestants auxquels la chaire a fini par conférer une telle visibilité, une telle ascension que c’est désormais le vertige. Résister à la tentation de transférer cela à la politique n’étant plus qu’une question de vocation, les masques commencent à tomber et les flèches à voler à basse altitude.

Billy Graham, le célèbre évangéliste américain fait ici figure de modèle. Il a toujours su résister aux pressions de ceux qui aimeraient le voir capitaliser sur sa popularité pour briguer la présidence des États-Unis.

« Je suis ministre du royaume céleste, supérieur à tout royaume du monde, fut-il les États-Unis d’Amérique. Je serais le dernier des insensés d’accepter un tel transfert ».

La route est pavée, par contre, devant ceux qui prennent d’assaut le ministère de la prédication de l’Évangile sans cette conviction et cette vocation. Le calcul va dans le sens inverse :

« Et la domination reposera sur mon épaule. On m’appellera ADMIRABLE, HOMME PUISSANT, SON EXCELLENCE, MONSIEUR LE PRÉSIDENT ».

Dans un grand nombre d’églises protestantes, l’activité est fébrile. La campagne présidentielle bat déjà son plein. Le discours politique a damé le pion à l’Évangile de la croix et « Moïse » à Jésus-Christ.

La valse des « Moïse » ne fait que commencer. Les plus malins sont à venir. Patients, tapis dans l’ombre, ils attendent la mort politique de la première vague messianique pour révéler à la nation le vrai sauveur d’Haïti.

D’ici à ce tournant, ils sont partout et, à la faveur de leur notoriété, ils détournent à leur cause tous les grands rassemblements évangéliques. Nous assistons à une prise d’otage de la prédication, emprisonnée dans un discours syncrétique, qui transforme les campagnes et les croisades d’évangélisation en congrès de partis politiques.

La théorie qui fait tourner la tête à ces leaders protestants est la suivante : « L’Église protestante reste le seul secteur sain de la vie nationale, la seule institution à ne s’être jamais brûlée à la politique. »

Cette théorie fait évidemment de Jean Bertrand Aristide le candidat de l’Église Catholique.

Thèse que l’Église Catholique va naturellement ignorer et qui ne mérite pas mieux. La théorie qui la sous-tend souffre de toutes les faiblesses. Qu’à cela ne tienne, pour les besoins de la cause, « Moïse » n’a aucun problème à flirter avec le machiavélisme. Ayant passé sa Bible à gauche, « Moïse » joue son va-tout : tisse des toiles, orchestre, voyage et se lasse pour transformer la communauté protestante à son insu en un vaste parti politique.

« Moïse » n’aura pas d’acte de naissance.

Cette thèse d’un candidat prêté à l’Église Catholique pour légitimer la naissance du « messie » protestant doit tomber. « Moïse » n’aura pas d’acte de naissance. Il restera un bâtard, un croisé né sous un faux prétexte. Il doit rendre la clef de l’Église pour aller demander l’hospitalité aux portes des partis politiques.

Où voulez-vous conduire Haïti « Moïse » ? Dans une société où, comme en Irlande du Nord, nos petits enfants ne pourront plus marcher librement dans les rues parce qu’ils sont nés dans la mauvaise religion ? 

Est-ce dans un Canaan où des policiers et des chars d’assaut devront accompagner des enfants qui vont tout simplement à l’école que vous voulez nous emmener ? C’est donc ça le panorama de votre terre promise ? Vendez-la ailleurs, la communauté protestante ne l’achètera pas. ?

Est-ce bien du ciel qu’il vous est venu ce génie de colorer le vote protestant ? D’isoler trois millions d’électeurs ? De les discriminer ? De les manipuler ? D’en faire vos otages ? En avez-vous mesuré les conséquences pour l’Église et pour le pays ? Vérifiez à nouveau l’origine de votre mandat. Il serait dans votre intérêt de relire Actes 20.28-31.

Immutable. L’Église protestante doit réaffirmer son rôle de phare et exprimer son refus de bouger de sa position. La noblesse d’un phare réside dans le fait de sa fixité et dans sa capacité de garder sa mission jusque dans la nuit des temps.

Un phare reste un phare. Un phare est un missionnaire. Un phare est une offrande. Il est né pour le sacerdoce et ne tire aucune vanité à savoir que des milliers de bateaux feraient naufrage sans sa présence. Ce serait un sacrilège s’il se mettait à compter le nombre de vaisseaux qui passent pour aller serrer la main des marins et rançonner les voyageurs.

Imaginez les naufrages en cascades si les phares du monde cédaient à la tentation de devenir tous des bateaux. Ces phares dénaturés seraient les premiers à échouer sur les rochers. Les premiers à terminer leur course au fond de l’océan pour aller grossir les cimetières marins. Un phare projette de la lumière, mais il reste dans le noir.

L’Église et la politique ? L’Église est la maison de Dieu, elle a pour unique philosophie la prédication du royaume céleste et en corollaire elle est gardienne de la moralité. C’est en restant fidèle à sa mission qu’elle se rendra propre à jouer ce rôle second. L’associer de quelque façon que ce soit à l’exercice du pouvoir politique n’est autre que de la contrefaçon.

Le chrétien et la politique ? Autre est ce débat. Citoyen à part entière, il a le droit, voire le devoir de participer à tout ce qui fait la vie de la cité. Et, parce qu’il est capable d’œuvre bonne, je lui souhaite un jour d’être le président de la république, moyennant ces préalables :

Qu’il rende les clefs de l’Église s’il en est dépositaire.

Que sa campagne se tienne hors des murs de l’Église.

Que son nom soit politique et non Moïse.

Qu’il convoque, recrute, rassemble, réussisse ou échoue par la force ou la faiblesse de son projet, pas au nom de l’Église.

Qu’il ne fasse pas du vocable protestant la couleur d’un vote.

Qu’il ne transforme pas la communauté protestante en un vaste parti politique à son insu.

Que tous les micros et les radios déjà retenus pour faire la promotion de Jésus-Christ ne fassent pas celle d’un homme.

« L’Église protestante reste le seul secteur sain de la vie nationale, la seule institution à ne s’être jamais brûlée à la politique. »

Si ces leaders pouvaient arriver à l’effort de dépolitiser la théorie, ce serait le plus bel hommage rendu à l’Église Protestante. Ça nous donnerait la formulation de la thèse suivante : « L’Église protestante reste un secteur sain de la vie nationale. »

Cette thèse est un hymne à la beauté de l’épouse de Jésus-Christ. Il a fallu deux siècles de travail à l’Église Protestante pour imposer sa beauté. Œuvre de millions de chrétiens, conduits par des bergers consacrés, qui ont élevé bien haut le flambeau de l’Évangile.

Oui, elle brille notre Église. La nuit en Haïti peut compter sur une belle étoile. La nuit dans le domaine de l’éducation serait d’une noirceur opaque sans ces milliers d’écoles protestantes. La nuit en matière de santé serait infernale sans ces milliers de centres de santé et ces dizaines d’hôpitaux protestants. Les sentiers qui mènent de nos Jérusalem à nos Jéricho seraient impraticables si l’Église Protestante n’avait pas placé à chaque coin un bon samaritain. Que dire de nos orphelinats, de nos hospices pour personnes âgées, de nos banques de distribution de nourritures et j’en passe.

Jésus dit à ses disciples dans Luc 9.13 : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Question d’ouvrir leurs yeux sur la dimension holistique de leur mission. Le pain de l’âme : l’évangélisation. Le pain du corps : la santé. Le pain de l’esprit : l’éducation. À l’édification d’écoles et d’hôpitaux, les missions évangéliques sont en plein dans l’exercice de leur mandat. D’ailleurs, pour construire les murs de nos institutions, nous utilisons des matériaux différents de nature à empêcher quiconque d’en revendiquer la paternité. Lesquels sont : charité, collecte, offrandes, dons, largesse. Tout n’est qu’aumône. Tout a été reçu.

Qu’importe dons. Qu’importe cadeaux. Certains pasteurs étalent ces réalisations comme un trésor de guerre pour leur campagne politique. Ils font croire à l’Église Protestante qu’elle doit revendiquer le palais national au nom de ses Å“uvres sociales et le fauteuil présidentiel au nom de ses leaders. Ces gentils, inventés de toutes pièces par la chaire, sont prêts à toutes compromissions possibles et imaginables pour livrer et sacrifier au temple de leurs convoitises l’épouse de Jésus-Christ dont ils ont la garde.

Côté sécurité, allez comprendre : cette obsession de remplacer celle qu’offre l’Éternel dans le Psaume 91 par celle qu’offrent les blindés du palais national qui ont déjà joué des tours à bien des présidents !

Quand le « maître » de la maison nationale les envoie traquer l’ennemi, ils ont l’habitude d’une drôle de pirouette. Un tour de cent quatre-vingts degrés qui replace le canon au nez du président.

Alors, son Excellence, le président tourne la tête pour chercher un traducteur. Inutile. Au bout de l’éternité qui ramènera sa tête à son point de départ, le traducteur sera là. Il surgira. C’est la créature infernale à laquelle obéissait le blindé. Il est efficace. Il parle clairement. Simplement. Surtout il est laid. Il dit : Monsieur le président ! J’ai l’honneur de vous annoncer que vous êtes l’ex président de la république.

Aucune créature infernale ne peut détourner les armes déployées dans le Psaume 91. Aucun colonel assoiffé de faire son tour de coup d’état ne peut déplacer les chars de guerre de L’Éternel. Aucune puissance militaire n’est capable de les vaincre.

L’Église Protestante d’Haïti vit donc sous la menace du plus grand danger de ses deux siècles d’histoire : Sa convocation pour travestir sa mission en vue de se fabriquer un chef d’état maison. Les protestants d’Haïti doivent regarder ces tragédiens à travers le prisme de la Bible pour éviter de faire les frais de cette envoûtante contrefaçon.

La gestation et les vices de la prophétie.

La gestation est classique. Un beau matin, le révérend se réveille songeur. Il se met tout à coup à compter : Un, deux, trois…, cent…, un million, deux millions, trois millions. Sa tentation de continuer à compter est grande, mais pour ne pas éveiller les soupçons sur sa méthode, il s’arrête à contrecÅ“ur.

Trois millions d’électeurs ! Il se demande pardon pour le mot électeurs qu’il remplace par protestants pour faire une phrase plus politiquement correcte. Une phrase plus apolitique. Voilà.

Trois millions de protestants en Haïti ! Il évalue l’étendue de sa popularité depuis le temps qu’il occupe la chaire. Il réalise qu’il n’y a pas de meilleur tremplin pour se faire du capital politique. Un coup d’œil dans son miroir, il n’en revient pas de sa parfaite ressemblance à Moïse. Le physique de l’emploi, quoi.

Tiens, tiens, tiens ! Et si j’étais Moïse. Bien sûr que je le suis.

Puis il alla se révéler à sa femme. Puis à sa paroisse. Puis cap sur la république. Un prophète est né.

« Dieu m’a visité de nuit. Il m’a révélé que je suis Moïse et m’a confié la mission de conduire Haïti à la terre promise »

Cette phrase cache le plus dangereux et le plus pernicieux de tous les discours politiques. Elle est une épée de Damoclès sur la tête de l’Église protestante qui deviendra le théâtre de la guerre des « Moïses. » Guerre obligatoire pour le « vrai » qui devra éliminer les autres.

Parce que les protestants du Nord croient que le ciel a promis le palais à leur Moïse. Parce qu’au sud ils se croient dépositaires de cette promesse. Parce qu’à l’est, tout le monde sait que le soleil se lève à l’est. Parce qu’à l’ouest on dit : Le vrai ne peut venir que de l’Ouest. Et Satan triomphera. Jubilera. Pour avoir réussi à installer la jungle et sa loi au sein de l’Église pour la ravager. Il faudra des générations avant de dissiper les stigmates de cette guerre.

« Dieu a parlé. » L’Église n’a d’autre choix que d’envahir les bureaux de scrutin pour y déposer trois millions de bulletins. Le protestant qui voterait pour un autre candidat commettrait un péché et serait voué à l’enfer éternel. La Prophétie une fois communiquée, le révérend n’a pas besoin d’ajouter que Dieu ne viendra pas en personne, comme nos voleurs compulsifs de PARLE MENS, bourrer les urnes ou faire un coup d’état pour le mettre au pouvoir. Alors, à l’Église de jouer.

La prophétie est viciée. Elle est suspecte, irrecevable et nulle. Dieu n’a jamais permis à quelqu’un de prophétiser à son avantage. Le livre de 1 Samuel montre clairement, jusque dans les menus détails comment L’Éternel procède dans le choix de ses hommes. Comment il a choisi Saül et David.

Ce livre qui présente le récit de ces deux choix de L’Éternel est un véritable bijou. Les élus de Dieu ne s’étaient pas trouvés sous les feux des projecteurs. Tous deux étaient des anonymes, loin des cercles de v.i.p. avec les bêtes des champs pour compagnons. Les protestants doivent faire attention aux gros canons de la communauté, candidats à la présidence et à la jouissance. Le rang et la popularité auxquels ils donnent une valeur absolue, pour s’autoproclamer protestant numéro un, ont valeur zéro aux yeux de L’Éternel.

Il faut prier pour les présidents de nos missions évangéliques. Quand la bataille frontale est perdue Satan sait comment la gagner par l’enflure. Au point que dans les grandes messes, certains agitent la fonction pour se faire appeler, comme l’avait fait Hérode ( Actes 12 : 21-23 ), par des noms plus gros qu’un éléphant et leurs épouses premières dames. Ah ! Première dame ! Cette denrée autrefois rarissime en Haïti, qui ne poussait, que par accident, qu’au palais national, pullule aujourd’hui. À deux places. L’accident du palais national et les autres dans nos églises. En plumes de paon. Pathologie nouvelle qui crée deux classes de femmes dans la maison de Dieu : la First lady et la canaille.

Il faut s’en désoler et prier pour la guérison des mégalomanes. La Bible déclare dans Matthieu 20.16 : « Les premiers seront les derniers. » Mais il faut surtout s’en réjouir et ne faire aucune concession à l’enflure car le verset met l’accent sur le triomphe des méprisables : Les derniers (ères) seront les premiers (ères). C’est nous qui soulignons en pensant aux dernières dames.

La convoitise dont se nourrit la confusion des genres remonte donc au temps de Jésus. Dans le même chapitre, la mère des fils de Zébédée lui réclamait le pouvoir pour ses deux fils. Flanqués de Jésus roi, l’un serait vice-roi et l’autre premier ministre. Ces propositions indécentes arrivent rarement sans escale à la table à dessin d’un coup d’état.

Le maître l’a rappelée à l’ordre et a donné un enseignement sur l’antagonisme des deux économies : (Matthieu 20 : 26-28 ) « Vous savez que les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands les asservissent. Il n’en sera pas de même au milieu de vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur ; et quiconque veut être premier parmi vous, qu’il soit votre esclave. C'est ainsi que le Fils de l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs. »

Les éclats des vitrines de ce monde et l’ascension vers les grands honneurs ont conféré à la bande à Moïse toute la faiblesse nécessaire à la trahison de la cause de l’Évangile, quitte à porter l’odieux de cette défaite historique, certes conjoncturelle, du sacré aux mains du vil.

La crise de l’Église, dernier rempart de la dérive haïtienne, en incubation.

La société haïtienne est en ébullition. Les institutions sont en crise. C’est le règne du chaos. Pour paraphraser une parole célèbre, le navire battant pavillon haïtien est en détresse, vous devez, chacun pour soi, à la suite du capitaine, vous ruer vers une bouée. « naje pou-w soti ».

Epargnée jusque là par la pandémie, l’Église est au demeurant le dernier rempart de cette dérive. Trop beau pour être vrai, sa crise est en incubation. Par l’action de ces lévites convertis en politiques. Les protestants doivent agiter des cartons rouges devant ces contrefaiseurs.

Sinon, on se dirige droit vers l’implosion de l’Église, dernière condition pour l’explosion du pays.

Beaucoup qualifieront ma démarche de gaspillage d’encre ou de cri dans le désert. Je l’accorde hélas. Je reconnais la saison. Elle est celle des passions et la passion n’a point d’oreille. La passion n’a même pas de tête. Elle n’a que sa main gauche. La preuve, une fusion de sept leaders protestants vers une candidature unique a accouché d’une hérésie : Une formule mathématique démentielle qui nous apprend que 7 – 6 = 7. Marché de dupes qui instruit sur le sort réservé aux accords d’El Rancho sous leur égide.

Pour celui qui a toujours vécu dans un statut quo qui le consacre le UN versus les uns, foncer dans la lumière de la démocratie comme un insecte fou était un pari risqué voire suicidaire. On n’en revient jamais sans s’être brûlé les ailes. C’est ce qu’a appris à ses dépens l’éternel candidat unique qui hasardait son nom sur une liste de roturiers. Un peu tard, d’accord. Mais de quelles vertus inconnues voudrait-on qu’il s’embarrasse pour ne pas révoquer le baiser de Marriott et rétablir l’ordre ancien. L’ordre où il sied toujours de dire : Le UN et les uns.

Le royaume de Dieu fait son chemin. Envers et contre tout. Envers et contre tous.

Quand toutes les passions se seront tues et que, triste réalité, l’Église protestante se retrouve au pouvoir, dans la boue, travestie sous toutes ses coutures…

Alors, dans cette galère, Christ crucifié s’imposera encore à elle comme étant sa mission de toujours. Intemporelle. Sa seule vérité. Celle qui méritait, mérite et méritera d’être défendue.

 J’ose Pierre