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Trois (3) des condamnés du procès de la Consolidation (1903-1904) devinrent président de la république - De la bataille de Vertières à Anténor Firmin : la problématique de l’indépendance des peuples (5/5
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- Publié le samedi 7 décembre 2013 17:19
La conférence de Chicago (5 de 5)
Par Leslie Péan, Chicago, 23 novembre 2013 ---- Firmin revendique le droit, la raison, l’intelligence pour sortir Haïti du trou dans lequel l’ont enfermé les chercheurs de pouvoir. Et c’est au nom du droit qu’il est candidat à la présidence en 1902 pour succéder à Tirésias Simon Sam. Il est victime d’un tir de barrage de la mafia des Nord Alexis, Boisrond Canal, Callisthènes Fouchard, Sénèque Pierre, etc. Firmin est attaqué chez lui par les troupes de Nord Alexis. Il s’est défendu en faisant appel à ses partisans. On ne peut pas oublier ou faire oublier cela. C’est à partir de là , de l’attaque armée contre son domicile les 27 et 28 juin, que commencent les évènements de 1902. On ne saurait passer outre ce fait. Cette année-là , l’agression armée qu’il a subie pendant ces deux jours n’est pas la première contre ses partisans puisque déjà le 12 juin 1902, ses partisans avaient été agressés par les militaires à la solde de Nord Alexis[1].
Certains prétendent que Firmin était moitrinaire, qu’il se disait l’homme le plus préparé, et tutti quanti. Qu’il ait eu cette paille dans l’œil est regrettable, mais vouloir en faire une montagne dans les analyses et débats sérieux, c’est regarder la puce sur le dos de l’éléphant au lieu de l’éléphant lui-même. Loin de toute adoration malsaine, la lecture de Firmin doit s’en tenir à la chronologie des événements, respecter l’évolution des idées de l’homme et refuser les amalgames des esprits dérangés. La pensée haïtienne doit se débarrasser de la tendance séculaire à privilégier le détail par rapport à l’essentiel. Dans le cas de Firmin, ses adversaires utiliseront tous les arguments contre lui. La machine de propagande des forces conservatrices ira même jusqu’à dire que les soldats de Nord Alexis envoyés pour le tuer avaient trouvé dans sa maison des wanga (fétiches vaudou)[2].
C’est le croiseur allemand Le Panther qui a causé la défaite de Firmin le 6 septembre 1902 en acculant l’amiral Hammerton Killick à faire sauter l’aviso la Crête-à -Pierrot dans la rade des Gonaïves. Boisrond Canal en faisant appel aux Allemands pour se saisir de la Crête-à -Pierrot enlevait aux Firministes les possibilités de maitriser la situation navale. En effet, ces derniers ne pourront plus coordonner leurs actions entre l’Artibonite et le Sud, entre les généraux Jean-Jumeau et Antoine Simon, pour gagner la guerre civile commencée par l’attaque au Cap-Haïtien de la maison d’Anténor Firmin. Attaque orchestrée par la soldatesque aux ordres du général Nord Alexis en juillet 1902. Cet élément naval est d’autant plus important quand on considère que les forces armées de la réaction Boisrond Canal/Nord Alexis n’avaient aucune force de frappe maritime.
Depuis lors, le voile obscur de la répression et de la mort s’abat sur la jeunesse avec une sauvagerie qui renvoie à Nord Alexis dit Tonton Nord. Ce dernier a exécuté sommairement les trois frères Massillon, Horace et Pierre-Louis Coicou et plus d’une vingtaine d’intellectuels en 1908 avec la complicité de leur propre frère Jules Coicou, en réalité Jules Alexis, parce qu’ils avaient tout fait pour sauver la vie d’Anténor Firmin. L’immoralité de l’individu représentée par ce Coicou traitre symbolise la servilité, la désintégration et la décomposition contre laquelle Anténor Firmin s’est battu jusqu’à son dernier jour. Il a ainsi condamné la matrice de cette violence destructrice anti-intellectuelle dans sa lettre du 29 mai 1908 aux membres de la famille Coicou (Camille, Emmanuel, Christian, Clément) qui s’étaient réfugiés à Kingston[3].
La manivelle du malheur jette en exil les meilleurs fils du pays quand elle ne les tue pas. Dans le cas de Firmin, sa disparition en 1911 consacre l’élimination de la société civile et la promotion du fléau militariste des grands décisionnaires de l’Exécutif associés à ce que Roger Gaillard nomme « la portion inculte et hurlante des masses faméliques mises en branle contre une pitance immédiate et des promesses mirobolantes pour l’avenir.[4] »
Les anti-firministes qui se sont succédé au pouvoir depuis 1911 représentent une école de pensée aux multiples personnalités. Elles se sont succédé sur la route de la nuit. Les trois responsables directs de l’ultime préjudice causé à Anténor Firmin en janvier 1911 sont Osmin Cham, chef de cabinet du président Antoine Simon ; Joseph Cadet Jérémie, son ministre des Relations Extérieures et Paulinus Paulin, président du Sénat. Ce sont eux qui décident de ne pas le laisser débarquer en Haïti. Les présidents de la république sont prisonniers de leur entourage et Antoine Simon n’y échappe pas. Notre analyse appelle une réflexion plus incisive sur l’esprit de secte de ce trio de malheur combattant les valeurs que représente Anténor Firmin. En décidant de lui faire du mal, ils rendent service à l’intégrisme destructeur fonctionnant sur l’ambivalence et l’ambigüité tout en refusant les ouvertures qu’offre la science. Leur logique réductrice ne connait pas de bornes. Leurs élans conservateurs participent de tous les agencements et autres simulacres momifiants des cent ans qui suivront la disparition de Firmin le 19 septembre 1911.
Osmin Cham sera ministre de l’Intérieur en 1917 sous Dartiguenave. Joseph Cadet Jérémie sera trois fois ministre des Relations Extérieures sous les gouvernements de Nord Alexis en 1903, Antoine Simon en 1911 et Davilmar Théodore en 1915. Les partisans de la concussion et du vol des deniers de l’État en voulaient à la rectitude de Firmin. Après le procès de la Consolidation tenu en 1903-1904 sous Nord Alexis, trois des condamnés devinrent président de la République, à savoir Cincinnatus Leconte en 1911, Tancrède Auguste en 1912 et Vilbrun Guillaume Sam en 1915. La bacchanale ne s’arrête pas là . Les opposants farouches à Firmin tels que François Paulinus Paulin et le même Joseph Cadet Jérémie seront condamnés en 1912 pour faux en écriture publique et détournement de fonds au préjudice de l’État. Dartiguenave, Borno et Vincent multiplient leurs forfaitures et continuent la politique d’arbitraire contre l’intelligence et la pratique du libre débat.
Anténor Firmin est au cœur de la problématique de l’organisation de la vie socio-politique et économique en Haïti. Il est contre les intérêts de l’oligarchie militaire des propriétaires terriens alliés aux négociants et financiers étrangers qui sucent le sang du peuple haïtien et le maintiennent dans l’ignorance. Il le dit en clair : « Cette direction exclusive en dehors de toute concurrence troublante a été si fructueuse pour ceux qui l’ont exercée et l’exercent encore, qu’ils préfèrent déployer les plus insoutenables arguties, pour conserver le statu quo[5]. »
La chute d’Haïti s’accélère entre 1890 et 1915.
Les luttes entre les élites mulatristes et noiristes depuis 1804 ont favorisé le renforcement des négociants consignataires surtout américains établis. Les positions sociopolitiques et économiques de ces commerçants sont renforcées en 1864 avec le traité entre les deux pays permettant aux naturalisés américains vivant en Haïti de bénéficier des mêmes privilèges que les Haïtiens. Cette clause permettait aux Syriens naturalisés américains émigrés en Haïti autour des années 1890 de participer au commerce de détail[6]. Ayant pratiquement le monopole de la représentation du commerce américain en Haïti, les Syriens deviennent incontournables. À travers des institutions telles que le National Association of Manufacturers, le Chicago Beef Packers Association et le New York Times[7], ils organisèrent un puissant lobby aux Etats-Unis. L’ambassadeur américain en Haïti reçut des ordres du Département d’État afin d’intervenir en leur faveur pour qu’ils obtiennent gain de cause auprès du gouvernement haïtien qui avait publié un décret anti-syrien en 1903.
La lecture critique de la double dette de l’indépendance acceptée sous le gouvernement mulatriste de Boyer n’a pas eu lieu. Les élites haïtiennes n’ont pas tiré les leçons de cette double dette sur la diminution de la puissance d’agir de l’État en ce qui concerne le financement des investissements publics. Le gouvernement noiriste de Lyisus Salomon continuera sur la même voie en donnant le monopole des activités bancaire et financières à la Société française Crédit Industriel et Commercial en 1880. Les emprunts extérieurs de 1896 et de 1910 marquent un tournant dans l'histoire financière d’Haïti, du moins dans son histoire tout court. Les destructions et indemnités liées aux guerres civiles vingt années antérieures contribueront à la diminution de la production de café et à la dégradation de la situation économique et financière de l’État. Le déclin va se révéler irréversible au fur et à mesure que le pays bascule dans le chaos.
À cette époque, les grands financiers décident des gouvernements dans les petits pays et veulent surtout avoir des gouvernements fantoches comme partenaires. C’était comme cela se passe aujourd’hui avec les banquiers refusant que des pays comme la Grèce et l’Italie renversent leurs gouvernements en 2011. Haïti perdait son indépendance toute relative le 14 octobre 1910 quand l’ambassadeur américain Henry Watson Furniss disait au gouvernement haïtien : « Mon gouvernement exprime sa désapprobation et proteste contre le contrat tout entier qui est si préjudiciable aux intérêts américains, si nuisible à la souveraineté d’Haïti, et si injuste dans ses opérations pour le peuple d’Haïti[8].»
Firmin a tiré la sonnette d’alarme en 1911 mais n’a pas été entendu. La faillite d’Haïti est proche avec la cascade d’emprunts intérieurs aux taux d’intérêts excessifs qui caractérisent cette période. En 1911, le gouvernement haïtien emprunte des commerçants allemands 674, 000 dollars au taux de 81%. Le processus enclenché ne s’arrête pas puisque 609.000 dollars seront empruntés de ces mêmes commerçants allemands en 1913 au taux de 78%, puis 714.000 dollars en 1914, et 525.000 dollars en Juin 1914 aux taux de 60%[9].
Firmin rejeta l’offre que le président dominicain Eladio Victoria Victoria lui fit alors qu’il était ministre d’Haïti à Londres de lui donner armes et munitions pour renverser le président Antoine Simon[10]. Cette même offre sera faite à Cincinnatus Leconte qui l’accepta. Et le 8 août 1911, les troupes Cacos de Leconte accompagnées d’une centaine de soldats dominicains[11] rentrèrent à la capitale. Le bateau de Firmin arrive le 12 août à la capitale et Leconte, en tant que chef du gouvernement, provisoire lui interdit de débarquer. Leconte est confirmé comme président le 14 août. Le bateau transportant Firmin avait levé l’ancre et se dirigea vers le Cap-Haitien pour prendre l’épouse de Firmin à bord. Le couple reprit le chemin de l’exil. Firmin devait mourir un mois plus tard de chagrin le 19 septembre 1911 à Saint Thomas. Jusqu’à la fin de sa vie Firmin a gardé la démarche stratégique de l’indépendance comme repère fondamental. Avec réflexion et précaution, il a préféré ne pas avoir le pouvoir que d’aliéner l’indépendance du territoire national.
Dans son dernier ouvrage L'Effort dans le mal publié en Haïti en 1911, Anténor Firmin avait écrit : «Homme, je puis disparaître, sans voir poindre à l'horizon national l'aurore d'un jour meilleur. Cependant, même après ma mort, il faudra de deux choses l'une: ou Haïti passe sous une domination étrangère, ou elle adopte résolument les principes au nom desquels j'ai toujours lutté et combattu. Car, au XXe siècle, et dans l'hémisphère occidental, aucun peuple ne peut vivre indéfiniment sous la tyrannie, dans l'injustice, l'ignorance et la misère[12].» Ce n’était pas de l’utopie. Le chaos était devenu insupportable. La volonté de soumission des élites aux Américains est annoncée dès le 16 février 1911 par Antoine Rigal, puis le 21 février 1911 par Alain Clérié.
Le premier dit « Nous sommes fatigués de nous entretuer, d’incendier les villes de payer des dommages aux résidents étrangers, et de nous conduire de telle sorte que le monde nous traite de sauvages[13].» Pour le second, il sollicite la bienveillance américaine afin « qu’elle daigne me faire l’honneur de m’inspirer quant aux moyens de provoquer l’influence ou le contrôle effectif sur Haïti du gouvernement des Etats-Unis[14].» Le relais est pris un an plus tard le 20 décembre 1911 par les Syriens-Américains Gebara Fils et Co, A. Salami frères, Habib Alain frères, Jaar Gousse et CO. et J. J. Bigio qui réclament l’appui du gouvernement américain pour infléchir la position du gouvernement haïtien à leur endroit[15]. Le massacre de 168 prisonniers politiques le 27 juillet 1915 a donné aux Américains le prétexte nécessaire pour occuper le pays. Le glas a sonné le 28 juillet 1915.
Le schème absolutiste de la gouvernance haïtienne hérité de nos aïeux avec le militarisme et la domination complète du chef, empereur, roi, président de la République a épuisé l’État. Le corps législatif est toujours resté insignifiant, les élections toujours frauduleuses et les tribunaux soumis au bon vouloir du président. Comme le souligne Roger Gaillard, « On devenait président d’Haïti, par des intrigues de couloir ou le sabre. D’élections libres et populaires, il ne fut jamais question[16]. » De la bataille de Vertières à Anténor Firmin, nous avons vu la déviation de la trajectoire qui nous a donné l’indépendance. On s’est écarté des actions entreprises par nos aïeux pour refuser l’esclavage des Blancs et on a commencé « l’esclavage du nègre par le nègre » pour employer l’expression de Rosalvo Bobo en 1903. Nous avons pu gagner cette bataille contre l’ennemi extérieur mais depuis, nous sommes terrassés par l’ennemi intérieur. Au fil du temps, l’espace d’action se restreint dans une dynamique qui permet à peine la conservation de soi. (Fin de la serie 5/5)
Leslie Péan
Economiste, Historien
[1] Marc Péan, L’échec du firminisme, Imprimerie Deschamps, P-au-P, 1987, p. 114.
[2] Ibid. p. 133.
[3] Lire « Une lettre d’Anténor Firmin, Le Nouvelliste, 6 Mars 2008.
[4] Roger Gaillard, « Comment fut balayé la société civile » dans Raphael Piquion et José Brax, Haïti Souvenirs 1901-2000 — Mémoire d’un siècle, P-au-P, Haïti, 2000.
[5] Anténor Firmin, M. Roosevelt, président des États-Unis et la République d'Haïti, F. Pichon et Durand-Auzias, Paris, 1905 pp. 456-457.
[6] Brenda Gayle Plummer, « Race, Nationality, and Trade in the Caribbean: The Syrians in Haiti, 1903-1934 », International History Review, no. 3, October 1981.
[7] « Help for Syrians barred from Haiti, Large Concerns Here Indicate an Interest Because of Injury to Export Trade », New York Times, December 22, 1911.
[8] Frédéric Marcelin, Finances d’Haïti, Emprunt nouveau, même Banque, Paris, Kugelmann, 1911, p. 25.
[9] Jean Price Mars, Vilbrun Guillaume Sam, ce méconnu, P-au-P, Imprimerie de l’État, 1961, p. 91.
[10] Jean Price Mars, Anténor Firmin, op. cit., p. 387.
[11] Antoine Pierre-Paul, « Allocution prononcée à l’occasion du 95e anniversaire de Jérémie », Indépendance, 23 décembre 1954, p. 26.
[12] Anténor Firmin, L’Effort dans le mal, (Porto Rico, 1911), P-au-P, Éditions Panorama, 1962 p. 39.
[13] Voir Archives Nationales de Washington, 838.00/528, cité par Roger Gaillard in « L’Impérialisme sait aussi attendre », Le Nouveau Monde, P-au-P, 30 novembre 1977 et 1er décembre 1977. Voir aussi Roger Gaillard, La République Exterminatrice – Antoine Simon ou la Modification (décembre 1908-février 1911), t. 6, Imprimerie Le Natal, P-au-P, 1998, p. 178-180.
[14] Ibid, Roger Gaillard in « L’Impérialisme sait aussi attendre », Le Nouveau Monde, P-au-P, 30 novembre 1977 et 1er décembre 1977.
[15] Alain Turnier, La société des baïonnettes, Un regard nouveau, P-au-P, Le Natal, 1985, p. 177.
[16] « Les notes de Roger Gaillard » dans Anténor Firmin, « Mémoire de Firmin au Département d’État », Conjonction, no. 126, Juin 1975, p. 149.
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