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Discours du Sénateur Moïse Jean-Charles à l'ONU le 13 Mars 2014

moise-jean-charles-onu-femmeSenateur Moise Jean Charles Photo: Alain Maignan

M. le Secrétaire général des Nations-Unies,
M. le Représentant du Brésil,
M. le Représentant du Monténégro,
M. le Représentant du Burundi,

Mesdames messieurs les Représentants des pays membres de l’ONU,

Mesdames/Messieurs les Représentants des Organisations de femmes,

Mesdames/Messieurs,

Je vous remercie pour l’opportunité qui m’est offerte d’être parmi vous ce matin pour prendre la parole sur le thème de la réunion d'aujourd'hui : « l’utilisation du pouvoir de la base et de la technologie afin d’en arriver à une tolérance zéro pour l’exploitation des femmes et des enfants ». Je voudrais remercier d’une façon spéciale les missions permanentes de Burundi, du Brésil et du Monténégro pour cette noble invitation.

En fait, aujourd’hui cette réunion vise à déployer une campagne mondiale: « Dire non à l'exploitation des êtres humains à des fins lucratives ».

Quel but magnifique! En finir avec l'exploitation! Je n’inclurais même pas les quelques mots «à des fins lucratives», parce que, comme Jean Jacques Dessalines le père de l’Indépendance d’Haïti l’a démontré, l'extraction de profit de la main-d'œuvre humaine, ou la plus-value, est l'essence même de l'exploitation. Bravo!

Mais peut-on d’ailleurs vraiment mettre fin à l'exploitation des femmes et des enfants, et des hommes, simplement en utilisant le « pouvoir de la base » et la « technologie »? Est-ce un problème technique? Qu'entendons-nous par la base?

 Bien sûr, des réunions bien intentionnées comme celle-ci visent à répondre aux fameux objectifs du Développement du Millénaire, l'année prochaine, en 2015. Et qui peut contester ces huit objectifs? 1) réduire l'extrême pauvreté et la faim; 2) assurer l'éducation primaire pour tous; 3) promouvoir l'égalité des sexes et rendre les femmes autonomes, etc., etc. ...

 Malheureusement, depuis que les grandes lignes des Objectifs du Millénaire pour le Développement ont été tracées en 2005, ce que nous avons vu dans le monde, du pays le plus riche du monde, les États-Unis, où nous sommes aujourd'hui, jusqu’aux pays les plus pauvres, comme le mien, Haïti, c’est que le fossé entre les riches et les pauvres est en croissance exponentielle, ainsi que l’utilisation de la force et de la violence, par le biais de coups d'État, de sanctions économiques et de sabotage, pour défendre cet énorme fossé.

 Le savez-vous ? Qu’il y a des femmes et enfants qui passent des jours et des nuits sans nourriture, n’est-ce pas une sorte de violence ? Pourtant les agriculteurs mondiaux produisent de la nourriture pour 12 milliard de personnes sachant que nous sommes environ 7 milliard. Et cela est dû au fonctionnement d’un système économique injuste et à la mauvaise distribution de la richesse mondiale.

 Je profite aussi pour dénoncer les actes de violence commis par la MINUSTHA. Des milliers de femmes et d’enfants sont mort du cholera, une transmission programmée et planifiée. Je demande justice, réparation et le départ immédiat des troupes onusiennes qui se trouvent sur le sol d’Haïti. Dans la mesure où l’occupation et la misère sont actives, la violence sur les femmes et les enfants demeurera et restera dynamique en Haïti et ailleurs. Passons !

 Mon problème, c'est que la question « d’utiliser le pouvoir de la base et de la technologie afin d’en arriver à une tolérance zéro pour l’exploitation des femmes et des enfants» est tout à fait mal formulée, tout comme les objectifs du Millénaire pour le Développement eux-mêmes. Je m'explique.

En Haïti, nous avons un proverbe pour illustrer le fait de ne pas s’attaquer à la racine du problème: lave men, siye atè, ce qui se traduit  « se laver les mains pour les essuyer par terre ».

C'est cela la réalité des objectifs du Millénaire pour le Développement. La fiche d'information 2013 pour les Objectifs du Millénaire pour le Développement semble indiquer des progrès. Prenons un exemple de sa rubrique, « ce qui fonctionne » 

Brésil: Une approche en ligne aborde ainsi la violence envers les femmes et les filles. Pour aborder le problème de la violence sexuelle dans les favelas de Rio de Janeiro, en 2013, ONU Femmes, l'UNICEF et ONU-Habitat ont lancé un site web en ligne qui fonctionne aussi comme un Smartphone comportant une application qui rassemble des informations sur les services de soutien pour les femmes et les jeunes filles victimes de violence.

 Il fournit des numéros de centres d’assistance pour sévices sexuels et des informations sur les droits, aussi bien que sur les responsabilités et les locaux des Centres employant des Femmes Spécialisées en la matière et qui fournissent un soutien psychologique, social et même juridique.

 L'approche expose en détail également les mesures à prendre après avoir été violée, ainsi que la position géographique des systèmes d’aide afin que les utilisatrices puissent localiser le centre des femmes le plus proche, un poste de police, un centre médical et le bureau du procureur public.

 N'est-ce pas absurde? Ils ont trouvé un moyen d'utiliser l'Internet pour aider, après coup, une femme qui a été violée. Ouah! Ils appellent cela résoudre le problème? C’est « ce qui fonctionne »? Après avoir été violée, est-ce qu’une femme va vraiment sortir sereinement son Smartphone pour aller en ligne et identifier la station de police ou l'hôpital le plus proche? N’appellerait-elle pas simplement un ami, la police, ou un centre d’assistance?

 La vraie solution au problème est d'attaquer et d'arrêter les causes de viol, de violence contre les femmes.

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Alors pensez-vous que l’utilisation du pouvoir de la base et de la technologie arrêtera-t-elle les violences perpétrées sur les femmes et les enfants en Moyen-Orient, aussi bien sur les enfants et femmes dominicains devenus apatrides avec cette décision prise par la cours constitutionnelle en République Dominicaine ?

 Comme les organisatrices de Marche Mondiale des Femmes l’ont observé:

 « Les violences envers les femmes trouvent leurs racines dans le système patriarcal et le capitalisme qui imposent un besoin de contrôle, d'appropriation et d'exploitation du corps des femmes. Le patriarcat se fonde sur deux principes : la notion selon laquelle les femmes sont inférieures aux hommes tout en leur appartenant et la hiérarchisation sexuelle des rôles.

 Afin d'imposer ce système de domination du masculin sur le féminin et de le maintenir, la violence ou la menace de violence est utilisée comme outil de contrôle, comme punition pour avoir dérogé aux règles établies par le patriarcat. Le mode de production capitaliste convient parfaitement au patriarcat : il s'appuie sur la détermination patriarcale des rôles « naturels » assignés aux deux sexes pour exploiter les femmes à son plus grand profit.

 Les femmes sont considérées comme une main-d'œuvre très bon marché, malléable et corvéable à souhait, toujours disponible pour s'occuper des autres et exécuter le travail que cela engendre. Le capitalisme, en créant des inégalités supplémentaires entre hommes et femmes, favorise l'accroissement des violences. »

 En bref, le problème de l'exploitation des femmes, des enfants, des hommes, de l'humanité, n'est pas un problème technique. Il ne peut pas être résolu par l'Internet, par les Smartphones, par des groupes de discussion, par des ONG ou par des réunions de base. L'exploitation est une conséquence inévitable du capitalisme, tout comme la guerre, la pauvreté et les inégalités.

J'ai aimé la description des objectifs du Millénaire pour le Développement par Naomi Klein, l'auteur de « The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism ».

 « Le véritable héritage du néolibéralisme est l'histoire de l'écart des revenus », dit-elle. « Il a détruit les outils qui réduisent l'écart entre les riches et les pauvres. Les mêmes personnes qui sont à l’origine de ce violent écart peuvent maintenant dire que nous devons faire quelque chose pour les gens tout au bas de l’échelle sociale, ... mais c'est vraiment tout juste faire la charité.

 L'économiste Jeffrey Sachs définit la pauvreté comme ceux dont les vies sont en danger, les personnes vivant avec un dollar par jour, les mêmes personnes évoquées dans les Objectifs du Millénaire pour le développement. Bien sûr, cela doit être abordé, mais soyons clair que nous parlons ici de noblesse oblige, c'est tout. »

 Je me souviens du discours historique que le président cubain Fidel Castro a rendu ici à l'Assemblée générale des Nations Unies à l’occasion du 50e anniversaire de cet organisme en 1995. Il a commencé avec de ce simple constat :

 « L'Organisation des Nations Unies a été fondée il ya un demi-siècle après une guerre monstrueuse qui a coûté la vie à une moyenne de 10 millions de personnes par an aux moments les plus intenses. Aujourd'hui, 20 millions d'hommes, de femmes et d'enfants meurent chaque année de faim et de maladies curables ».

  Lave men, siye atè.

C'est l'essence même du problème. Nous devons résoudre les problèmes systémiques, économiques qui causent l'exploitation et alors nous pouvons atteindre l'objectif du slogan de cette réunion: « Dites non à l'exploitation des êtres humains à des fins lucratives ».

 Mesdames, messieurs, chers concitoyens et concitoyennes de la planète Terre ; le souci de tout un chacun ici présent c’est d’en finir avec la violence sur les femmes et les enfants, mais je tiens à attirer l’attention de tous qu’il y a des millions de gens analphabètes dans le monde, et en particulier en Haïti dont le taux est très élevé. Il faut éradiquer l’analphabétisme, une des solutions avant même d’entamer la campagne dont vous prônez.

 Nombreux sont ceux qui veulent un monde pacifique, sans haine, sans armes nucléaires, sans violation de souveraineté, sans de faux pacificateurs comme cela se fait en Afrique, en Haïti et ailleurs ; que les grands soient modèles et exemples de moralité publique saine et non pas des catalyseurs de crise, non pas des tolérants envers les corrupteurs, comme tel est le cas en Haïti avec les actes de kidnapping, le trafic de la drogue, la disparition des individus supportés par le pouvoir en place entravent tous les efforts menés pour une démocratie juste et rationnelle.

          Peu de choses ont changé au cours des 20 dernières années.

« Nous voulons un monde de paix, de justice, et de dignité dans lequel tout le monde sans exception peut jouir du droit au bien-être et à la vie. »

 Delà nous pouvons enfin arriver à une tolérance zéro pour l’exploitation des femmes, des enfants, et de l'humanité en général.

Au nom du peuple haïtien, des femmes haïtiennes et de toutes les femmes sur la planète victimes de toutes les formes de discrimination et d’exploitation, je vous remercie.

 Moise Jean-Charles
Sénateur de la République d’Haïti
Photo: Alain Maignan

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