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Chavez plonge Haïti dans le deuil et ses comptes
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- Publié le vendredi 8 mars 2013 13:39
Par Nesmy Manigat --- El Comandante est parti. Hasta siempre... Après les jours de deuil viendra très vite, le temps des comptes, des décomptes. Avec 339 millions de dollars de Petrocaribe en banque au 31 janvier 2013 et près d'un milliard de dettes envers le Venezuela, le gouvernement haïtien à l'instar des pays bénéficiant de l'accord de 2005 contemple un trésor de guerre perçu à tort ou à raison comme aujourd'hui à risque pour le futur. La mort du leader de la révolution socialiste bolivarienne soulève beaucoup de questions et de passions sur son bilan et son héritage. La vague de nationalisation dans des domaines-clés de l'économie vénézuélienne, notamment dans l'énergie, la sidérurgie, des télécommunications l'ont rendu héros pour certains et dangereux pour d'autres. Sa « petro diplomatie » érigée en doctrine au service d'une alliance des peuls latino-américains et caribéens l'a rendu populaire même si certaines voix commencent à s'élever dans son pays. D'où la question épineuse de l'après-Chavez. A l'heure actuelle, on ne sait pas si le charisme du successeur désigné suffira pour faire accepter cette aide généreuse que certains vénézuéliens estiment déjà au-dessus de la capacité d'un pays qui connaît ses heures de black-out, ses queues pour l'approvisionnement en combustible etc... En conclusion, la mort de Chavez provoquera-t-elle un « choc pétrolier régional » ?
Quid de "l'usage rationnel et solidaire des ressources énergétiques" du Venezuela?
Il ne fait aucun doute que le successeur de Chavez devra d'entrée de jeu se prononcer sur l'Accord de Coopération Énergétique (ACE) de Caracas datant d'octobre 2000 et de Petrocaribe signé en Juin 2005, tant les inquiétudes des Etats bénéficiaires se font de plus en plus vives . Au Vénezuela aussi, certains commencent timidement à réclamer un plus grand équilibre entre le « rationnel » et le « solidaire », compte tenu de la situation économique délicate de ce pays pourtant riche en ressources naturelles. En réalité, s'il est vrai que ce pacte de sécurité énergétique n'est pas le premier à instituer des livraisons de pétrole vénézuélien avec des facilités de financement, Petrocaribe a le mérite de proposer un système qui élargit de loin les modalités et les termes des paiements.
D'abord, Haïti a bénéficié de l'Accord de San José, signé en 1980 à travers lequel le Vénézuela et le Mexique octroyaient déjà un crédit allant jusqu'à 30% de la facture pétrolière basée sur les prix du marché international. Ce crédit était d'une durée de cinq ans avec un taux d'intérêt annuel de 4%. Chavez accordera dès 2000, à travers l'Accord de Caracas des crédits pour financer la coopération commerciale sur les biens et les services et ou des projets de développement économique à moyen et à long terme. L'accord de Caracas offre une durée de 17 ans avec une période de grâce de 1 an et un taux d'intérêt annuel de 2% variable en fonction du niveau des prix moyens de vente du baril de pétrole. En 2005, Petrocaribe offre aux membres ce même financement sur 25 ans, avec un crédit allant de 30% à 50% et surtout permet un remboursement en nature avec des produits tels les céréales, le sucre, la banane, etc...
La santé de l'économie vénézuélienne, source d'inquiétudes
Il est un fait que la révolution bolivarienne a permis de réduire les inégalités dans cette région connue pour être la plus inéquitable du monde. Environ 20 millions de personnes ont bénéficié des programmes de lutte contre la pauvreté, appelés «missions». Pour preuve, la nette progression des indicateurs sociaux est attestée dans différents rapports en particulier le CEPAL. En effet, l'indice de Gini, la méthode utilisée pour mesurer l'inégalité dans la répartition des revenus du Venezuela se rapproche de zéro, plus précisément 0,394. Tandis qu'Haïti a pu relever récemment ses dépenses d'éducation pour avoisiner les 2% du PIB, l'Unesco reconnaît que le Vénézuela atteint les 6% de son PIB devançant la République dominicaine qui vient d'y consacrer en 2013, 4% pour la première fois de son histoire. La pauvreté au Vénézuela est passée de 70,8% en 1996 à 21% en 2010.
Malgré toutes ces dépenses dans le domaine du social, le pays continue d'importer près de 80% de sa consommation de produits stratégiques de base. Chavez laisse aussi une économie en proie à une inflation qui a atteint les 19.9% en 2012, soit parmi les plus élevées de la région et a raté la diversification de cette économie dont la quasi-totalité des recettes d'exportations viennent du pétrole. La dévaluation récente de la devise modifiant le taux de change fixe de 4,30 bolivars à 6,30 bolivars pour un dollar laisse libre cours à toutes sortes de spéculations sur la santé réelle de l'économie vénézuélienne. Il est clair que si cette économie s'arrêtait de croître et de créer des emplois, la tentation pour revisiter l'accord de Petrocaribe sera forte.
Le devenir de la compagnie pétrolière PDVSA, une épée de Damoclès
A la fin de 2009, les dettes de Petrocaribe représentaient la moitié du total des comptes à recevoir de Petróleos de Venezuela, SA (PDVS. Aussi, il ne fait pas de doute que la santé financière du géant pétrolier vénézuélien conditionnera grandement les discussions autour du niveau des ajustements possibles au régime particulier accordé à la facture pétrolière des pays bénéficiaires du Petrocaribe. Sa nationalisation réussie selon la révolution bolivarienne, ne peut pas cacher les inquiétudes de ceux qui ont vu en la dévaluation récente du bolivar une fuite en avant pour tenter de stabiliser un géant mondial aux pieds d'argile qui a actuellement un double défi de productivité et de compétitivité. En effet, même si PDVSA reste une entreprise d'Etat, les nombreux intérêts des multinationales qu'elle coiffe à titre de holding ne lui laissent pas toute la marge de manoeuvre pour décider seule sur ses options stratégiques.
En effet, PDVSA est aussi conditionné par le succès de ses 17 filiales principales, dont neuf sont dans le secteur pétrolier et huit autres plus orientées vers les «objectifs sociaux» que le gouvernement a imposés. En plus de cela, il faut également tenir compte des 13 sociétés à l'étranger principalement dans le secteur du raffinage et des 20 entreprises mixtes, dans lesquelles PDVSA possède la plus grande participation. Ajouté à cela, le désaccord fondamental au sein d'une partie de la société quant à ce que doit être sa mission. Récemment, le candidat de l'opposition, Henrique Capriles déclarait que "PDVSA doit produire du pétrole, c'est tout. Pas des poulets ni des HLM" et que le pays devait aussi repenser les «largesses socialistes » se référant explicitement au Petrocaribe. Les contrats signés par PDVSA avec l'Iran, la Chine, la Russie et le Brésil etc.. entraînent également des obligations. Tout ceci laisse beaucoup d'inconnus concernant ce joyau vénézuélien qui fait l'objet de beaucoup de convoitises et qui fournit 95 % des recettes à l'exportation et la moitié du budget de l'Etat du Vénézuela.
Défis et opportunités pour l'économie haïtienne
En conclusion, si ce n'est plus Petrocaribe, ce sera au moins l'accord de San Jose de 1980, car l'histoire économique récente a démontré que les gouvernements vénézuéliens de droite comme de gauche ont toujours octroyé des facilités de paiement de la facture pétrolière. Il est improbable de voir un gouvernement vénézuélien laisser ce marché captif de fourniture de produits pétroliers aux 17 membres de Petrocaribe redevenir aux mains de quelques transnationaux et intermédiaires qui y opéraient. Donc des ajustements sont toujours possibles compte tenu des points précités, mais une élimination totale est très hypothétique.
En réalité, il est peu probable un changement à court terme, du moins durant cet exercice fiscal. A moyen et long terme, si pour les raisons évoquées plus haut, il advenait un avenant dans les protocoles antérieurs signés, la question cruciale du paiement de la facture pétrolière d'Haïti se posera avec acuité. Difficile, politiquement de passer la note additionnelle aux consommateurs ? Difficile de maintenir la politique suicidaire de subventions du gouvernement à la pompe et à l'EDH .
Aussi, la vraie question du jour pour Haïti n'est pas tant de savoir si Petrocaribe survivra à Chavez, mais plutôt à quoi devraient servir les fonds pour qu'on soit en mesure à la fois de rembourser et d'en devenir moins dépendant ? Aujourd'hui chaque Haïtien doit à peu près l'équivalent de 100 dollars US au Vénézuela et cela malgré le fait qu'après le séisme du 12 janvier 2010, Chavez ait décidé de réduire la dette globale de 395 millions de dollars. Certes, ce n'est pas un endettement insupportable quand on sait que chaque Dominicain en doit 300, même si le revenu per capita de ce dernier est plus de 7 fois supérieur. Mais, il est venu le temps pour que le gouvernement réajuste l'usage du Petrocaribe vers les secteurs productifs et l'éducation (qui est à la base de tout développement) et que certains élus abandonnent l'idée des multiples petits projets locaux sans avenir. Il est aussi venu le temps pour que la nouvelle politique énergétique mise davantage sur les énergies renouvelables. Les panneaux solaires vont déjà dans cette direction.
Il est venu aussi le moment de penser à utiliser le mécanisme de paiement de la dette vénézuélienne en nature, ce que font déjà plusieurs Etats membres. Le PDVSA a vu le règlement des dettes en produits agricoles et autres augmenter de 78% en 2012. Encore une nouvelle porte ouverte après le deuil, pour un meilleur usage de Petrocaribe. C'est le meilleur hommage qu'Haïti puisse rendre à la mémoire du Comandante Chavez.
Nesmy Manigat Vice-président Chambre de Commerce d'Industrie et des Professions du Nord-Est (CCIPNE) Ouanaminthe Twitter @nesgat
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