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La semaine Dessalines : Le mauvais chemin pris par Haïti dans l’histoire (5 de 7) par Leslie Péan

dessalines a cheval

par Leslie Péan, 15 octobre 2015  ---  Il faut bien comprendre que Dessalines traitait correctement certains Blancs tels que les Polonais et Allemands ou encore ceux qui étaient ses associés clandestins (anglais et français) dans le commerce. Le problème est que ce comportement, aussi bon qu'il soit, relevait de l'arbitraire et non pas de la loi. La discrimination basée sur la couleur de la peau est la loi et Dessalines décide que tous les Haïtiens sont noirs. À ce sujet, le cas Chanlatte est exemplaire. « La pureté noire devient l’essence à partir de laquelle la connaissance de l’Haïtien est possible. Loin d’être une préoccupation d’ordre philosophique, la couleur de la peau noire intervient subrepticement ou brutalement dans la vie quotidienne pour qualifier ou disqualifier la nationalité d’un individu. Desrivières Chanlatte, qui avait la couleur d’un Blanc, fut écarté par le général Henry Christophe. Délit de faciès. Son frère Juste Chanlatte, Secrétaire d’État sous le gouvernement de Dessalines, s’en offusqua et écrivit le 28 mai 1805 les mots suivants au général Henry Christophe. "Je ne puis, Citoyen Général, que vous manifester mon mécontentement pour avoir confondu mon frère avec les blancs criminels. Vous devez savoir sa participation dans la guerre que nous avons faite. À ce titre, il est et demeure Haytien selon les termes de la Constitution que je vous rappelle ici, et doit être traité comme tel".[i]  »

Des Haïtiens clairs de peau continuent de souffrir des abus de ce genre aujourd’hui encore en 2015 tout comme d’autres Haïtiens noirs sont l’objet de discriminations et de déconvenues pour leur couleur. Il s’en suit un état de déception, de désenchantement et même de mécontentement. L’incapacité de prendre de la distance par rapport à la couleur de la peau conduit tout droit au nihilisme. En 1804, cette situation est d'autant plus ridicule que les Noirs, analphabètes dans la grande majorité, ne pouvaient être que des gouvernements de doublure. C'est la loi d'airain qui ne peut être contestée que par des idiots qui se rendent compte toujours trop tard de leur bêtise. Haïti est la grande perdante de ce climat d’obscurantisme entretenu pour des raisons mesquines. Notre premier Ministre des Finances, le général André Vernet, un des héros de Vertières, ne savait ni lire ni écrire. Il fut secondé par De Vastey. Les premiers dirigeants noirs analphabètes l'ont bien montré en s'entourant de conseillers mulâtres instruits. Ils n'avaient pas le choix. Tous les aides de camp de Dessalines, à l'exception d’Etienne Mentor, sont des mulâtres instruits. La blanchitude est structurante et surdéterminante du fait de l’avance manifeste des Blancs dans les sciences et les techniques. Cette surdétermination permet même à des délinquants pourvu qu’ils soient clairs de peau de se hisser au sommet de la hiérarchie sociale.

Le constat de la surdétermination de la couleur claire fera dire à l’anthropologue Rolf Trouillot : « De Toussaint Louverture à François Duvalier, en passant par Dessalines et Salomon, ils misaient tous dans un certain futur clair. Ce n’est pas sans raison que Jean-Claude Duvalier fut mulâtriste dans sa pratique : les présupposés venaient d’en haut. Fou qui croit que Jean-Claude Duvalier trahissait le rêve : C’était ça, le rêve ![ii]  » La tragédie d'Haïti réside dans le fait que  le savoir n'a pas été diffusé et que la société entière a été arrimée aux milat sòt et aux nèg sòt qui ont monopolisé le pouvoir politique pour défendre les biens et propriétés mal acquis après la fuite des Blancs. Les gouvernements de doublure ont proliféré avec tout le mal inhérent à ce type de pouvoir à double fond. S'étant rendu compte des conséquences aberrantes de cette supercherie, Edmond Paul devait écrire : « Il est temps que la doublure soit l’étoffe, et que personne ne dise plus à notre honte : je puis gouverner Haïti sans études ; je n’ai pour cela qu’à m’entourer de bons secrétaires[iii]. »

En effet, là où l’on voit avec le plus de force le mauvais chemin emprunté par Haïti, c’est au niveau de la matière grise des dirigeants. Nos aïeux sont en grand nombre des analphabètes. Certains sont charismatiques, c’est vrai, mais des cerveaux vides ne peuvent empêcher la décrépitude de la nation qu’ils ont créée. Un pays est sensible à la tête. Au fait, c’est que constate Edmond Paul quand il dit : « la société haïtienne naquit semblable à un monde renversé la tête en bas, où les plus inférieurs de ses membres, nous entendons dire les moins préparés, montèrent subitement à la surface, devinrent les éléments les plus consistants de l’ordre social nouveau, doués, par conséquent, de la vertu de l’affirmer plus solidement aux yeux de l’ennemi du dehors, et que cela accoutuma le peuple à porter ou à souffrir à la tête de son administration intérieure des hommes incultes qui n’y pouvaient désormais que le mal[iv]

Les Haïtiens refusent la problématique énoncée par Mirabeau à l’Assemblée nationale en France au sujet de la cessation progressive de l’esclavage. Pour Mirabeau, le degré d’animalité, dans lequel les esclavagistes de toutes les couleurs ont réduit les captifs pendant trois siècles, demandait une transition afin d’inculquer à l’ancien esclave certaines notions élémentaires d’éducation et de civilité lui permettant de se prendre en charge en tant qu’être humain avant l’affranchissement général. Le drame haïtien vint du fait que rien n’a été fait pour intégrer les anciens marrons par l’éducation afin qu’ils puissent exprimer leur libre arbitre autrement qu’à travers le ressentiment et la rancœur. Des comportements qui se sont traduits au niveau des chefs avec des politiques ostentatoires d’affirmation de soi en rapport avec la castration mentale induite par l’ignorance empêchant toute conduite autonome.

La réussite des pères fondateurs s’est transformée en débâcle avec le pouvoir qui leur est monté à la tête. Les kyrielles de rancœurs tenaces accumulées au cours de la guerre de l’indépendance ont été vite ravivées par les mesures prises par Dessalines sur le commerce, la vérification des titres de propriété, la fermeture de certaines guildives, etc. Narcissisme aidant, les brouilles ont conduit à défaire les équipes qui avaient réalisé l’indépendance. Les absorptions aventureuses de personnes, selon le baron de Vastey, telles que « Blanchet, Dartiguenave, Faubert David Trois (Troy), tous partisans des français et de Pétion, les ennemis les plus cruels de leurs pays[v]  » ont contribué à bouleverser le climat interne. Elles avaient un savoir-faire certain et apportaient une valeur ajoutée au particularisme du nouvel État. Toutefois, comme l’a montré le baron de Vastey qu’on ne saurait suspecter de noirisme, leur addition n’a pas renforcé le cercle vertueux mais plutôt renforcé le talon d’Achille précipitant Haïti dans la spirale infernale du préjugé de couleur mulâtriste.

Depuis lors, nous avons continué avec les fantasmes identitaires dans la galère de l’obscurité de l’héritage colonial duquel nous nous étions pourtant démarqués dans l’Acte de l’Indépendance de 1804. Et nous avons persévéré avec passion dans le sentier non balisé de ce patrimoine de pulsions et dispositions contradictoires. À ce sujet, Edmond Paul citant Nissage Saget écrit : «  ce sont nos passions, nos luttes stériles qui ont amené l’abaissement et la ruine de notre pays [vi] ... » L’éclairage d’Edmond Paul est significatif. Il présente l’idéal-type du militaire rentier créant des tiraillements et se livrant à des acrobaties de haut vol pour garder d’une part les propriétés coloniales et d’autre part perpétuer les rapports sociaux qui lui permettent d’avoir la main d’œuvre nécessaire à la mise en valeur de ces propriétés. Les généraux, nos aïeux, pères fondateurs, sont en première ligne dans ce dispositif destructeur de l’œuvre nationale qu’ils venaient de créer.

Le refus de subordonner la politique à la morale

La condition matérielle de grand propriétaire de 32 sucreries de Dessalines est antécédente à 1804. Comme tous les autres généraux louverturiens dont Christophe, Laplume, Dommage, etc., il avait bénéficié des plantations abandonnées par les colons entre 1793 et 1800. Il était donc partisan du caporalisme agraire et de la carte de sûreté qui obligeaient les cultivateurs à travailler sur les plantations. Dessalines a formulé la thèse centrale des possédants (particulièrement des noiristes) clamant que le tempérament du peuple haïtien fraichement sorti de l’esclavage exige un gouvernement autoritaire. On s’explique dès lors sa position voulant « que les indigènes ne pouvaient être bien dirigés que par la crainte des châtiments, et de la mort surtout ; qu’il ne les conduirait que par ces moyens et que sa morale était la baïonnette[vii] . » Ces dispositions se concrétisent d’une part dans sa politique dirigiste du commerce extérieur formulée en 1805 et obligeant les importateurs d’acheter des produits dont ils n’avaient pas besoin et, d’autre part, dans sa décision de fermer les guildives qui n’appartenaient pas à l’État avec le décret impérial du 2 Mai 1806.

Cette disposition commerciale devait d’ailleurs être contournée par la corruption ponctuelle des commerçants qui deviendra endémique au fil des ans. En s’alliant avec les généraux dans les ports ouverts au commerce extérieur pour ne pas payer les droits de douane, et en devant par la suite avec les mêmes alliés les faux monnayeurs par excellence. En 1811, la fausse monnaie en circulation dans la République de l’Ouest et du Sud dépassait de six fois la monnaie légale émise par le gouvernement[viii] . Corruptio optimi pessima (la corruption du meilleur est la pire). La propagande politique s’est évertuée à faire paraître meilleur le pire. D’où le besoin de charlatans pour contrôler le domaine informationnel, gérer la censure et organiser l’inculture.

Nous sommes confrontés à ce que Justin Dévot nomme des « faits psychologiques saillants de la mentalité collective qui règne dans le milieu haïtien[ix] . » Le lese grennen est encouragé en présentant sous un jour favorable des leaders politiques dont les méfaits sont cachés afin de donner libre cours au brigandage. Le lese grennen est appliqué même quand les mauvaises pratiques sont connues. Justin Dévot analyse comment le mauvais chemin de l’impunité est pris. Il écrit :

« Aussi bien n’est-il pas nécessaire d’analyser longuement les diverses manifestations de l’esprit public haïtien pour montrer tout ce qu’il a de défectueux, d’incohérent, tout ce qu’il présente de lacunes et combien il obéit à des règles directrices fixes.

Ce qui frappe le plus l’observateur qui examine la société haïtienne par le côté mental, c’est l’absence de principes directeurs nets et définis. Il en résulte un manque de cohésion, une anarchie d’idées et de sentiments souvent déplorables. 

Un homme public fait le mal ; ses actes lèsent manifestement l’intérêt général. On le sent, on le dit, on l’écrit même et cependant, en pratique, c’est comme s’il n’en était rien. Cet homme, ministre prévaricateur d’hier et qui, en quelques mois a désorganisé les finances du pays, ne se sent atteint par aucune sanction de l’opinion. Il sera peut-être encore appelé au ministère, à siéger dans une Assemblée politique de contrôle ou à quelque autre fonction importante de l’État[x]

Le diagnostic de Justin Dévot se révèle juste un siècle plus tard, malgré son occultation depuis sa parution en 1901. Son évaluation du statut mental dominant n’a pas pris une ride. L’ensemble de renseignements qu’il fournit sur notre constitution mentale relève de l’anamnèse d’une maladie qui terrasse le corps social. Les événements qui se déroulent depuis 2010 n’ont fait qu’aggraver cette maladie. La reconduction de Pierre-Louis Opont au CEP en 2015 avec la bénédiction de la communauté internationale est une illustration qu’Haïti demeure prisonnière d’elle-même dans un chemin qui refuse de subordonner la politique à la morale.

Le massacre des Français provoque l’embargo de février 1806

En général, depuis la guerre du Sud entre Toussaint et Rigaud, le poids des commerçants américains et anglais dans les échanges internationaux de Saint Domingue augmente. L’importance du commerce américain est reconnue par le gouvernement de Dessalines qui écrit au président américain Jefferson dès février 1804 pour lui demander d’établir des relations commerciales avec Haïti. Il en a besoin pour ne pas être asphyxié par le blocus forcé que la France veut lui imposer à travers sa piraterie. Il s’oppose également aux démarches diplomatiques de la France auprès du gouvernement américain pour suspendre les relations commerciales avec Haïti. Des initiatives qui seront compromises par la politique du massacre des Français d’avril 1804 dont l’une des conséquences est la perte graduelle par Haïti du soutien de l’Angleterre et des Etats-Unis.

Près de 6 000 Français[xi] on été tués au cours des trois mois du massacre qui eut lieu entre février et avril 1804. À Port-au-Prince le massacre eut lieu du 15 au 25 mars[xii]. Dessalines organise le massacre à partir d’un algorithme singulier. Il dit aux Français qui ont pu s’échapper de ne plus rien craindre. Ces derniers croient à son amnistie et sortent de leur cachette. Alors   Dessalines ne respecte pas sa parole et donne l’ordre de les tuer. Exit la confiance, l’honnêteté, l’éthique et la morale dans la conduite des affaires publiques. Après 35 ans de silence, le témoignage de Peter Chazotte, un Français naturalisé américain, rescapé du massacre, arrivé à Baltimore le 10 juin 1804, est stupéfiant[xiii]. Direct et franc, il explique que « les horreurs ne peuvent pas être vraiment décrits ; ils dresseraient les cheveux du lecteur sur sa tête[xiv]. »

Le témoignage de Chazotte n’est pas différent de celui Guy-Joseph Bonnet, signataire de l’Acte de l’indépendance, qui écrit : « Jours néfastes, dont le douloureux souvenir pèsera éternellement sur la mémoire de Dessalines. [….] Dans la prison, tandis qu’on égorgeait les détenus, l’un d’entre eux s’écria : "Comment, empereur, je suis votre bottier et vous allez me tuer. ---- Voyez donc, Messieurs, comme ce blanc est hardi, reprit Dessalines dans son langage créole, laissez-le aller, laissez-le aller" ; et il lui fit ouvrir les portes. Les deux frères Thévenin conduisirent résolument au palais leur père blanc, et déclarèrent à Dessalines que, si on devait tuer leur père, il fallait les faire mourir avec lui[xv] . »

L’expérience de prise du pouvoir des pères fondateurs ne les envoûte pas. Ils sont conscients de constituer un défi à la communauté internationale dont l’économie avait alors pour essence l’esclavage des Noirs. Ils calquent le nouvel ordre politique sur celui des colonisateurs dans un élan qui est plus que symbolique. De ce fait même, la vertu est absente et les généraux ancrent leur pouvoir dans l’arbitraire. La réunion qui eut lieu chez Inginac, directeur des Domaines, dans les premiers jours de 1804, en présence des aides de camp de Dessalines donne la mesure de l’état d’esprit dominant. Selon Guy-Joseph Bonnet « Boisrond Tonnère émit l’opinion que la guerre (européenne) ne pouvait être éternelle ; que la France ferait la paix avec les autres nations de l’Europe ; que, dégagée de ses embarras, elle porterait bientôt toutes ses forces sur son ancienne colonie, dans le but de s’en ressaisir ; que ceux qui possédaient actuellement le pays ne pourraient résister à la France ; que, quelle que fut leur énergie, ils seraient tous égorgés jusqu’au dernier. "Dans cette prévision, ajouta-t-il, n’ayant que peu de jours à vivre, il nous faut largement jouir de la vie. Ce n’est qu’avec de l’argent que nous obtiendrons des jouissances ; Eh bien ! pour se les procurer, tous les moyens sont bons." Ce discours qui résumait les idées et les principes des aides de camp de Dessalines fut vivement applaudi. L’esprit de pillage dominait partout[xvi] . »

D’autres Blancs, américains et anglais, qui ont été épargnés ont fait des reportages de la barbarie utilisée par nos aïeux, une barbarie comparable à celle de Rochambeau en 1803 utilisant des chiens dressés à Cuba pour manger littéralement les Haïtiens. À ce sujet, le reportage de l’américain Samuel News, capitaine en second de la goélette américaine "John Vining"[xvii] est édifiant. On ne saurait utiliser les arguments d’arrière-garde du relativisme moral pour justifier le mal. La barbarie de Dessalines contre les Français est aussi condamnable que celle de Rochambeau tuant les prisonniers en les enfermant dans les cales des bâtiments et en y injectant de l’oxyde de soufre. Cruelle pratique que les nazis utiliseront dans les chambres à gaz des camps de concentration au cours de la deuxième guerre mondiale pour exterminer les Juifs. Des atrocités que les musées de l’holocauste à travers le monde révèlent sur une base quotidienne.

Les nouvelles données disponibles confirment que Pichon, ambassadeur français à Washington, écrit à Talleyrand, chancelier français, en Juin 1804, pour l’informer du changement d’attitude de l’administration de Jefferson à l’endroit d’Haïti à cause du massacre des Français[xviii] . Il s’est trompé en pensant que le mercantilisme et l’esprit de lucre qui l’accompagne fait fi de toute considération morale. Dessalines disait : « Un tel ne connait pas les Blancs. Pendez un Blanc au-dessus d’un plateau de la balance de la douane, et mettez un sac de café dans l’autre plateau : les autres Blancs viendront acheter ce sac de café, sans porter aucune attention au cadavre de leur semblable[xix]. » 

Avec le massacre, Haïti perd de sa crédibilité et rentre dans une impasse qui transforme l’ensemble du climat international à son endroit. Le Secrétaire d’État américain James Madison demande au Congrès américain d’imposer l’embargo sur Haïti suite au massacre des Français. Ceci est confirmé dans une lettre écrite par l’ambassadeur américain à Paris, Albert Gallatin[xx] à John Quincy Adams, secrétaire d’État, le 26 septembre 1822. Albert Gallatin est un témoin privilégié qui a occupé le plus longtemps le poste de Secrétaire d’État au Trésor, soit 13 ans de 1801 à 1814. Le massacre des Français exprime une indifférence aux valeurs universelles qu’Haïti ne cesse de payer depuis lors. Les investisseurs potentiels ne verront en Haïti qu’un lieu de passage où ils viennent faire de l’argent sans aucune possibilité de se sédentariser.

Le 1er octobre 1804, alors à Port-au-Prince, le commerçant américain Jacob Lewis écrit au Secrétaire d’État américain James Madison pour l’entretenir de la situation politique d’Haïti. Jacob Lewis explique les vues de Dessalines sur les pressions diplomatiques françaises visant à encourager les autres nations à mettre Haïti sous embargo. Il dit à Madison « Dans ce port (Port-au-Prince), il y a neuf bateaux américains dont cinq sont d’un fort tonnage. Au Cap, il y a dix-huit bateaux à voile, aux Cayes neuf, à Jérémie sept, à Jacmel huit, et il y a encore vingt autres dans les différents ports de l’ile[xxi] . » Les transactions commerciales des Américains sont significatives et Dessalines est au centre de ces activités vitales et lucratives. Au fait, Dessalines signe personnellement les patentes des négociants consignataires comme c’est le cas lors du transfert au négociant américain Siméon Johnson basé aux Gonaïves de la patente octroyée originellement à la firme américaine Powell, Kane and Co[xxii].

Dessalines est persuadé que les Américains ne cèderont pas aux pressions françaises. La Gazette Politique et Commerciale d’Haïti exprime ainsi cette conviction : « Les grands intérêts que trouvent les Américains dans le commerce de ce pays nous garantissent de leur persévérance à le continuer[xxiii] .» Du côté  américain, le secteur privé tient à maintenir les relations commerciales avec Dessalines. Thomas Fitzsimons, président de la Chambre de Commerce de la ville de Philadelphie, le dit en clair : « Il est très douteux que la suppression de ce commerce puisse être d’aucune utilité pour la France ; il est très certain néanmoins que son inhabilité à soutenir aucune autorité dans cette important Colonie, peut, quoiqu’il arrive, produire un ordre de choses dans lequel, par notre voisinage, nous serons plus intéressés qu’aucune nation[xxiv]. »   (à suivre)

Leslie Pean
Historien - Economiste
Photo: http://newsjunkiepost.com/2015/08/09/dessalines-ideal-of-equality-for-haiti/

[i] Leslie Péan, Aux origines de l’État marron en Haïti 1804-1860, Éditions de l’Université d’État d’Haïti, Port-au-Prince, Haïti, 2009, p. 269.

[ii] Michel Rolf-Trouillot, Les racines historiques de l’État duvaliérien, Port-au-Prince, Deschamps, 1986, p. 136.

[iii] Edmond Paul, Les causes de nos malheurs, Kingston, 1882, p. 74.

[iv] Edmond Paul, Œuvres Posthumes, Tome I, Paris, Dunod et Vicq, 1896, p. 132.

[v] Baron de Vastey, Essai sur les causes de la révolution et des guerres civiles d’Haïti, Sans Souci, Imprimerie Royale, 1819, p. 51.

[vi] Edmond Paul, Les causes de nos malheurs, op. cit., 128.

[vii] Thomas Madiou, Histoire d’Haïti, Tome III, Port-au-Prince, Ed. Henri Deschamps, 1989, p. 320.

[viii] Robert Lacombe, Histoire monétaire de Saint Domingue et de la République d'Haïti jusqu'en 1874, Paris, Éditions Larose, 1958, p. 53.

[ix] Justin Dévot, Considérations sur l’état mental de la société haïtienne ; l’organisation des forces intellectuelles, Paris, Pichon, 1901, p. 52.

[x] Ibid., p. 53.

[xi] Jeremy D. Popkin, A Concise History of the Haitian Revolution. Chicester, West Sussex: Wiley-Blackwell, 2012, p. 137.

[xii] Thomas Madiou, Histoire d'Haïti, Tome III, Port-au-Prince, Ed. Henri Deschamps, 1989, p. 165-170.

[xiii] Peter S. Chazotte, Historical sketches of the revolutions, and the foreign and civil wars in the island of St. Domingo : With a Narrative, of the Entire Massacre of the White Population of the Island , New York, Wm. Applegate, 1840, p. 46-50.

[xiv] Ibid, p. 64.

[xv] Edmond Bonnet, Souvenirs historiques de Guy-Joseph Bonnet, Paris, Auguste Durand, 1864, p. 130.

[xvi] Ibid, p. 131.

[xvii] Peter J. Frisch, « L'état civil de Port-au-Prince, témoin du massacre général des Blancs », Généalogie et Histoire de la  Caraïbe (G.H.C.) ; Numéro 58, Mars 1994, page 1005.

[xviii] Tim Matthewson, « Jefferson and the Nonrecognition of Haiti », Proceedings of the American Philosophical Society, Vol. 140, No. 1, March 1996, p. 29.

[xix] Beaubrun Ardouin, Études sur l’histoire d’Haïti, Deuxième édition, Tome Sixième, Livre Sixième, Chapitre V, (Paris, 1856), P-au-P, 1958, p. 26.

[xx] Tim Matthewson, « Jefferson and the Nonrecognition of Haiti », op. cit., p . 45.

[xxi] « To James Madison from Jacob Lewis, 1 October 1804 », The Papers of James Madison, Secretary of State Series, vol. 8, 1 September 1804 – 31 January 1805 and supplement 1776 – 23 June 1804, The Papers of James Madison Digital Edition, J.C. A. Stagg editor, Charlottesville, university of Virginia Press, Rotunda, 2010.

[xxii] Leslie Péan, « De Vertières à ce jour en passant par le Pont Rouge » (3 de 4), AlterPresse, 15 novembre 2013.   

[xxiii] Gazette Politique et Commerciale d’Haïti, numéro 13, 7 mars 1805, p. 52