Culture & Société
La semaine Dessalines : Le mauvais chemin pris par Haïti dans l’histoire (4 de 7) par Leslie Péan
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- Publié le mercredi 14 octobre 2015 17:34
par Leslie Péan, 14 octobre 2015 --- La dénaturation des idéaux des Lumières par la pensée coloriste (noiriste/mulatriste) à partir des lignes de fracture héritées de la colonie de Saint-Domingue constitue une pesanteur insupportable dans l’Haïti de 1804. Ce poison coloriste lent, injecté dans les veines d’Haïti, a des effets multiples et récurrents. Le discours dominant développe cet état d’esprit dans la population parfois avec une remarquable virulence. Ce ne sont plus les idées qui inspirent les actions, mais plutôt la couleur de peau des personnes qui les expriment. Sur cette pente, les dirigeants intoxiquent les esprits avec un discours anti-blanc à la Boisrond Tonnerre (mulâtre) ou à la Dessalines (noir). En réalité, ils s’adonnent à ce tour de passe-passe pour justifier leur accaparement des 8 000 propriétés abandonnées par les colons français. Disons tout de suite que là encore, c’est du faire semblant. Les nouveaux propriétaires ne fructifient pas les terres. Ils se contentent d’en tirer, sans travailler, une rente qui vient s’ajouter à la rente politique d’où ils tirent leur magot.
Ce retournement idéologique, tout en se donnant un enracinement culturel douteux, aboutit à de l’autophagie, c’est-à -dire à une situation où les acteurs finissent par se dévorer eux-mêmes. L’arrivée de la flotte navale dirigée par le baron de Mackau en 1825 a donné des sueurs froides au président Boyer. Ce dernier a vite repris l’offre de Pétion de 1814 de payer des compensations financières aux anciens colons. Avec une éthique flexible et sans état d’âme, les dirigeants haïtiens se sont bouchés le nez pour avancer dans le mauvais chemin de l’engrenage maléfique de la dette. Ainsi, Haïti a raté le train et n’a pas pu construire comme le disait Edmond Paul « une cité noire-jaune, où règne l’esprit »[i]. Le philosophe Alain Badiou explique dans sa deuxième thèse sur l’universel que « tout universel est singulier »[ii]. Dans le cas d’Haïti, la vérité universelle des droits de l’homme se retrouve confrontée à des pratiques de destruction d’ancien régime (rancune, méchanceté, jalousie, envie) qui ont fini par en dissoudre le contenu et produire cette mauvaise singularité du triomphe de la bêtise sur l’intelligence.
Depuis que François Duvalier a installé son crétin de fils comme président de la République, la descente aux enfers s’accélère. Aujourd’hui, suite aux élections frauduleuses de 2010, la cannibalisation de la démocratie consiste à dire « Banm charony mwen » (donnez-moi ma charogne) et à faire la promotion de l’ignorance. La dernière technique de subjugation des dominés par les dominants est de véhiculer l’idée qu’il faut être fier d’être ignorant. C’est la dernière mode ! Les plus audacieux avancent même que c’est une bonne chose, car c’est le sort du plus grand nombre ! Et ils trouvent des pseudo-savants pour abonder dans le même sens en disant que c’est ce qu’il faut appuyer car le domaine politique n’est pas de l’ordre de la raison mais de l’émotion !
Les urgences affrontent les priorités
Selon Vertus Saint-Louis, « la mise en application de la décision de février 1806 précipite la crise politique qui va emporter le gouvernement de Dessalines. Les négociants américains ne trafiquent désormais avec Haïti qu’à leurs risques et périls. La contrebande prend de l’ampleur alors même que Dessalines entreprend de l’éradiquer. Ses adversaires se rallient en Haïti aux négociants américains qu’il a contraint de payer les taxes dues à l’État. C’est l’un de ses commerçants, Mackintosh, qui verse l’argent destiné à rémunérer l’armée révoltée contre Dessalines. Ce dernier est déconcerté par les événements. Lors de son dernier conseil à Marchand, avant de prendre le chemin vers la mort au Pont Rouge, il fait approuver une décision qui pratiquement accorde aux Anglais le monopole du commerce d’Haïti[iii], renonçant lui aussi à la politique d’indépendance[iv]. »
L’écriture du complot est terminée depuis l'embargo de février 1806 qui annonce la fin du gouvernement de Dessalines. Quand à son assassinat, il était programmé plus d'un an avant. En effet, des journaux de New York, tels que Le Petit Censeur et le New York Commercial Advertiser, ont annoncé la mort de l'Empereur le 9 octobre 1805. Un autre journal, The Independent Chronicle du Massachussetts, fit aussi l'annonce de l'évènement fatidique le 14 octobre 1805. Cela devait d'ailleurs provoquer un démenti du journal New York Gazette le 15 octobre 1805.
L ‘historien Vertus Saint-Louis ajoute d’autres dimensions pour expliquer l’assassinat de Dessalines. Il écrit :
« Bien des hommes qui s’estiment supérieurs à Dessalines, ont envers lui une dette de reconnaissance qu’ils ne peuvent admettre. Il a sauvé du courroux du parti de Sans-Souci Christophe qui avait dû se terrer dans le Nord. Christophe est le premier à s’entremettre par l’intermédiaire de Blanchet[v] pour conspirer avec Geffrard contre Dessalines. Pendant la guerre du Sud, Dessalines a personnellement sauvé la vie à Gérin dont la grâce lui avait été demandée par une négresse que Gérin avait rachetée de l’esclavage[vi]. Gérin est l’organisateur direct de l’embuscade et c’est lui qui exige de faire feu. Il n’est pas question, non plus, de faire passer Dessalines pour une victime innocente. Il est pris au piège de la lutte de classe et de race qui se livre dans la nouvelle société[vii]. »
Mais la magouille ne fait pas que tuer Dessalines. En réalité, elle défait la cohésion nationale. Deux mois après l’assassinat du 17 octobre, les conspirateurs se livrent combat. Lors des élections pour l’assemblée constituante de 1806, avec une mauvaise foi manifeste, Pétion augmente le nombre de paroisses de l’Ouest et du Sud qui passent de 23 à 41, dépassant ainsi le nombre de paroisses du Nord qui étaient de 33. Finie la convivialité. Le malaise grandit et l’éclatement s’en suit avec la guerre civile et la division du pays en deux et même trois États entre 1807 et 1820. La tradition de la fraude électorale part de là . Pétion donne la mesure de sa Malice face aux Bouqui qui respectent les traditions. L’équilibre est rompu, car il se trouve toujours des bandits pour faire recette dans l’organisation de mascarades électorales et des naïfs pour y participer. On l’a encore vu hier avec celle du 9 août 2015.
Dans un climat où les urgences affrontent les priorités, nous sommes confrontés aux séquelles de cette alliance de circonstance. Des séquelles à la hauteur d’un enchainement de conjonctures qui a conduit à l’occupation par la MINUSTAH. La société n’est pas restée soudée et, par delà la langue de bois nationaliste, les problèmes sont indéfectiblement liés à la recherche effrénée de pouvoir. Qu’on se souvienne de Dessalines, Gouverneur général à vie, de Christophe, président à vie, et de Pétion et Boyer, présidents à vie. Des mauvais exemples à la base de nos désagréments politiques, tout comme le « Plumez la poule, mais ne la laissez pas crier » de Dessalines et le « Voler l’État, ce n’est pas voler » de Pétion sur le plan économique.
Le seuil d’excellence atteint en 1804 ne dure pas et le bébé prend vite un coup de vieux. Le cafouillage s’installe sans laisser le temps de jouir de la splendeur créée. La traversée du désert commencée au 19e siècle s’accélère au début du 20e. Les sédentaires ont épousé les pratiques hors norme de la colonie d’exploitation de Saint-Domingue consistant à gagner de l’argent le plus vite que possible de n’importe quelle façon pour aller vivre ailleurs. Les mésaventures de nos origines n’ont pas été correctement analysées par des générations qui se sont succédé depuis 1806. Le redressement n’a pas été possible, car la nécessaire réflexion sur l’assassinat de Dessalines a fait défaut. Un engrenage qui conduit aux guerres ternissant l’événement 1804 et engage la nation dans les échecs sur lesquels la pensée haïtienne refuse de revenir. À ce propos, la complaisance des manuels d’histoire est édifiante.
Le dispositif d’obscurcissement
Au fait, cette forme de fuite en avant ne permet pas de remonter la pente. Dépassée par le succès de 1804 qu’elle ne maîtrise plus, la société s’éparpille dans des incohérences qui signent son arrêt de mort. Le bel édifice de 1804 s’écroule en 1806, car les aïeux n’ont pas pu maintenir la cohésion entre eux. En se voulant aussi grosse que le bœuf, la grenouille a mal digéré sa création. La modestie des ressources humaines ne lui a pas permis de gérer son œuvre et elle n’a pas su ouvrir ses bras pour accueillir les ressources extérieures (la matière grise) qui lui faisaient défaut. La politique ambitieuse du roi Christophe en matière d’éducation avec la création de la Chambre Royale d’Instruction Publique est abandonnée par le gouvernement de Boyer qui se révèle un obscurantiste avec la fermeture, entre autres, de l’Université de Santo Domingo.
L’obscurantisme de Boyer paralyse le créneau fondamental du développement. Le refus de savoir est consacré. Depuis lors, ce dispositif d’obscurcissement, en soi un non-sens économique, social et politique, est maintenu. Jusqu’aux écoles-borlettes qui pullulent aujourd’hui avec surcharge des classes, sans enseignants qualifiés et sans personnel d’encadrement. La lutte pour le pouvoir s’est révélée plus importante que toute autre chose, plus importante que la lutte pour la liberté et l’indépendance. Dans le cas de Dessalines, cela ressort clairement, par-delà les incidents de parcours qui ont contribué à le faire tomber de son piédestal. Au fait, Dessalines n’a jamais compris qu’il était un pouvoir de doublure et que son étoile était condamnée à pâlir dès qu’il essaierait de se prendre au sérieux. Dessalines a pris pour une accolade affective l’accueil des propriétaires qui était en réalité une étreinte mortelle.
Un acteur incontournable de cette époque est le mulâtre Valentin Pompée de Vastey qui identifie les fils du complot aboutissant à l’assassinat de Dessalines. Selon Vastey,
« les Haytiens qui s’étaient expatriés volontairement avec les Français cherchaient les moyens de pouvoir rentrer dans le sein d’une patrie qu’ils avaient déchirée, pour y exciter encore de nouveaux troubles. L’Empereur mû par des intentions libérales, plutôt que réfléchies, leur permit d’entrer dans le pays, et ordonna de payer les frais de leurs passages ; bientôt on vit arriver Blanchet, Dartiguenave, Faubert David Trois, tous partisans des Français et de Pétion, les ennemis le plus cruels de leurs pays[viii].»
Vastey exècre ce groupe qui se joint à Pétion pour assassiner Dessalines. Plus tard, en 1814, Pétion envisage le scénario-catastrophe de la dette de l’indépendance qui paralyse le système économique dans son ensemble. Vastey écrit :
« Pétion reçoit au Port-au-Prince Dauxion Lavaysse, espion français, conspire avec lui par écrit la ruine de l’État et de ses concitoyens, consent de payer un tribut à la France, de lui accorder le commerce exclusif et de reconnaître sa souveraineté[ix]. »
Les gros efforts consentis pour gagner l’indépendance se sont émoussés avec la politique agraire et commerciale des dirigeants, creusant un fossé entre eux et les cultivateurs. L’indépendance n’a pas amélioré la condition des cultivateurs par rapport à la décennie 1793-1803. La solide tradition maison qui s’implante alors ressemble davantage à une structure de type tribal qu’à autre chose. La valeur des hommes prime par rapport à l’organisation. De ce fait, les risques d’éclatement augmentent plus facilement. Dans le contexte du népotisme d’État, les relations familiales et interpersonnelles priment. L’exemple vient de Toussaint Louverture avec la confrérie restreinte autour de son frère Paul, son neveu Moïse, son ancien esclave Dessalines, etc.
Le défi d’intégrer les masses de soldats cultivateurs au démarrage du pays n’a pas pu être relevé. Cela s’est traduit par une baisse de la production due à la non-identification du cultivateur paysan à l’entreprise nationale. La nouvelle société porte l’empreinte de la société coloniale jusque dans ses interstices. Haïti applique sans sourciller ce qu’avait déclaré le Tribunal Révolutionnaire français au savant Lavoisier : « La République n’a pas besoin de savants ni de chimistes.» Après avoir été avec Toussaint Louverture contre Rigaud, puis servi comme secrétaire de Dessalines, le baron de Vastey, emprisonné à la chute du roi Christophe, est assassiné en prison par la soldatesque de Boyer le 19 octobre 1820. Quoiqu’on en dise, l’indépendance a été vidée de sa substance et, aucune précaution n’est prise pour empêcher de continuer à détruire ce que 1804 avait créé.
Le mauvais chemin économique
Selon le baron de Vastey : « la révolution de 1789 est la cause première des révolutions d’Hayti, le droit de l’homme proclamé en face de l’univers, devait retentir dans le cœur des Noirs comme des Blancs[x]. » Tout en étant d’accord avec de Vastey que la révolution haïtienne est fille de la révolution française de 1789, nous convenons que l’alliance de circonstances qui lui a donné naissance charriait des limites qui l’en ont éloigné immédiatement. En ce sens, ce sont moins « les misères des lumières » qui ont bloqué Haïti que nos propres misères à ne pas pouvoir faire front commun et à faire les alliances devant la communauté internationale décidée à défendre le modèle marchand d’accumulation qu’elle mettait en marche à l’échelle mondiale.
La crise entre les aïeux est sans précédent. Pour succéder à Dessalines, Pétion veut continuer avec la même politique de doublure en mettant Christophe au devant de la scène. Il passe à une vitesse supérieure et fourbit ses armes de la politique de doublure à travers le rôle déterminant donné au Sénat dans la Constitution de 1806. Mais la manœuvre ne réussit pas car Christophe est prévenu par le mulâtre Hugonin, délégué du Nord, qui n’appuie pas le scénario de Pétion. La contestation interne fait tâche d’huile et les luttes intestines augmentent. Christophe refuse de servir de comparse à la pièce montée pour améliorer l’image de marque de Pétion et des autres conspirateurs. La conciliation n’est pas possible et la guerre éclate. Mais la dispute recouvre aussi l’affrontement entre deux conceptions de l’organisation sociale et surtout du rôle des Blancs.
Christophe rejette systématiquement le racisme anti-blanc manifesté par le mulâtre Boisrond-Tonnerre dans sa fameuse déclaration « pour écrire l’acte de l’indépendance » qui, trouve sa consécration dans l’Article 12 de la Constitution de 1805 disant : « Aucun blanc, quelle que soit sa nation, ne mettra le pied sur ce territoire, à titre de maître ou de propriétaire et ne pourra à l’avenir y acquérir aucune propriété. » Cette question redoutable du rapport avec le Blanc est diffuse et travaille Haïti dans ses profondeurs. « Desalin pa vle wè blan » (Desslines ne veut pas du blanc), dit la chanson. Certains voient dans la mise à l’écart définitive du Blanc le ciment politique pour provoquer une unité nouvelle parmi les Haïtiens. Cet entendement est partagé autant par des mulâtres que des noirs.
La remise en cause de cette pièce maitresse de la théorie raciste touche à l’identité haïtienne puisque l’article 12 a son remake dans l’article 14, devenu le credo noiriste par excellence, déclarant « les Haïtiens ne seront désormais connus que sous la dénomination génériques de noirs. » Toutefois, on aurait tort de croire que Dessalines soit la personnification de la haine du Blanc. L’ambivalence imposée par la colonisation traverse aussi bien l’imaginaire que les désirs. Qu’ils soient de répression ou de glorification. Le fonctionnement propre d’Haïti continuait avec les pratiques du Gouverneur-général de Saint-Domingue, c’est-à -dire avec tous les désirs mimétiques qui lui sont associés. L’auto-invention de soi et la démythification du capital symbolique de la blanchitude dont parle Achille Mbembe[xi] n’ont pas eu lieu.
Nous reviendrons sur la question de la démythification du capital symbolique de la blanchitude. Pour le moment, signalons avec Mbembe que « Si nous ne parvenons pas à démythifier correctement la blanchitude, cette dernière — étant la machine dans laquelle une grande partie de l'humanité est devenu empêtrée malgré elle — finira par nous réclamer. Du fait de l’appropriation de nous-mêmes par la blanchitude; du fait de nous avoir laissé posséder par elle à la manière d'un mauvais esprit, nous nous sommes infligés des blessures dont la blanchitude, dans sa forme la plus féroce, n’aurait rarement été capable. En effet pour que la blanchitude puisse fonctionner comme la force destructrice qu’elle est dans le domaine matériel, elle doit capturer l'imagination de sa victime et la transformer en un puits de poison de haine[xii]. »
La révolution de 1804 n’a pas délivré nos aïeux de la capture de leur imaginaire par la blanchitude. Elle n’a pas mis fin aux déséquilibres provoqués par le traumatisme esclavagiste. Les intérêts privés et les motivations individuelles sont pris dans un tourbillon qui suractive les horreurs et les massacres. On devient riche du jour au lendemain en s’accaparant des biens des colons massacrés et en fuite. Les questions en filigrane sont multiples et les coûts d’opportunité de l’économie des besoins supplantent ceux de l’économie du désir. Le choix est vite fait dans les titres « à vie » que se donnent Toussaint Louverture, Dessalines, Christophe et Pétion. Le désir de pouvoir est le même qu’il s’agisse de Gouverneur, Empereur, Roi, Président.
L’insécurité existentielle de nos pères fondateurs est au cœur du désir excessif et déséquilibré de pouvoir, ce mauvais chemin du chen manje chen dans lequel ils s’engagent.
Les passions des luttes de pouvoir hypothèquent l’avenir de la révolution haïtienne dès la promulgation de la Constitution noiriste de 1805 mettant fin à l’Haïtien pluriel. Cette Constitution de 1805 met fin à Haïti comme patrie de la pluralité inscrite dans l’Acte de l’Indépendance de 1804 signé par 24 mulâtres, 12 noirs et 1 blanc. La révolution haïtienne n’est plus l’universalisation et la concrétisation de la pensée des Lumières contre les pratiques esclavagistes développées en Afrique et exploitées par le colonialisme de l’Europe et des Etats-Unis d’Amérique. Haïti ne peut plus s’enorgueillir de concrétiser cette lutte pour l’émancipation des peuples de couleur.
La révolution haïtienne est l’aboutissement du combat mené autant par les abolitionnistes anglais tels que Thomas Clarkson, Wilberforce que par leur confrères français tels que l’Abbé Grégoire, l’Abbé Siéyès, Mirabeau, Condorcet précédant la révolution de 1789. La matrice du déclin haïtien est dans la Constitution de 1805 qui réapproprie la pensée raciale et réfute le racisme anti-noir par un racisme pro-noir en déclarant dans son article 14 que « les Haïtiens ne seront désormais connus que sous la dénomination générique de noirs ». Exit les Blancs révolutionnaires tels que Pierre Nicolas Mallet (né en France), signataire de l’Acte de l’indépendance, Paul Panayotti (né en Grèce), vétéran de la bataille de Savannah et de la guerre de l’indépendance, qui mourut amiral de la flotte haïtienne en 1843. Exit aussi d’autres Blancs tels que James Phipps qui renonce à sa nationalité anglaise le 9 mars 1805 ou encore M. Mullery qui renonce à sa nationalité danoise le 5 septembre 1805. Ces déclarations sont consignées respectivement dans les numéros 22 et 35 de la Gazette Politique et Commerciale d’Haïti des 9 mars 1805 et 5 septembre 1805.
La nouvelle société continue de fonctionner sur la racialisation des rapports sociaux. Les conséquences de l’exclusion des Blancs se révèlent terribles. L’ancrage raciste a mis l’accent sur l’accessoire (la couleur de la peau) pour en faire l’essence de l’Haïtien. Ce coup à bout portant entérine la malédiction du racisme blanc et de son succédané mulâtriste inventé pour exploiter l’homme noir présenté à dessein comme un animal. L’imitation de Napoléon Bonaparte par Dessalines ne s’est pas limitée à son sacre d’empereur le 8 octobre 1804. Elle est allée plus loin avec la Constitution de 1805 et a épousé de manière caricaturale ce que Napoléon disait au Conseil d’État lors de sa décision de rétablissement de l’esclavage en 1802, « Je suis pour les Blancs, parce que je suis Blanc. Je n'ai pas d'autre raison, et celle-là est la bonne[xiii]. » Les barbelés de la couleur de la peau sont déroulés dans les consciences et érigés pour déterminer la condition humaine. (à suivre)
Historien - Economie
[i] Cité par Justin Dévot, Considérations sur l’état mental de la société haïtienne ; l’organisation des forces intellectuelles, Paris, Pichon, 1901, p. 45.
[ii] Alain Badiou, « Huit Thèses sur lʼuniversel », Centre international d’Étude de la Philosophie Française Contemporaine, Paris, 19 novembre 2004.
[iii] Beaubrun Ardouin. Études sur l’histoire d’Haïti, VI, Ch. VIII, 1958, 60-61.
[iv] Vertus Saint-Louis, « L’assassinat de Dessalines … », op. cit., p. 172.
[v] Ardouin. Études historiques, VI, Ch. VII, 1958, p. 42.
[vi] Pélage-Marie Duboys. Précis historique des annales de la colonie française de Saint-Domingue jusqu’en 1789, vol. 2, p. 181.
[vii] Vertus Saint-Louis, « L’assassinat de Dessalines … », op. cit., p. 167.
[viii] Baron de Vastey, Essai sur les causes de la révolution et des guerres civiles d’Haïti, Sans Souci, Imprimerie Royale, 1819, p. 51.
[ix] Ibid, p. 397.
[x] Ibid., p. 389.
[xi] Achille Mbembe, « On The State of South African Political Life », Africa is a country, September 19, 2015 ; Achille Mbembe, « À propos des écritures africaines de soi », Politique africaine, 77, 2000 ; Achille Mbembe, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000 ;
[xii] « If we fail to properly demythologize whiteness, whiteness – as the machine in which a huge portion of the humanity has become entangled in spite of itself – will end up claiming us. As a result of whiteness having claimed us; as a result of having let ourselves be possessed by it in the manner of an evil spirit, we will inflict upon ourselves injuries of which whiteness, at its most ferocious, would scarcely have been capable. Indeed for whiteness to properly operate as the destructive force it is in the material sphere, it needs to capture its victim’s imagination and turn it into a poison well of hatred.», Achille Mbembe, « On The State of South African Political Life », Africa is a country, September 19, 2015.
[xiii] Antoine Clair Thibaudeau, Le consulat et l'empire ou histoire de Napoléon Bonaparte, de 1799 à 1915, Volume 3, Paris, Jules Renoir, 1834, p. 323.
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