Tout Haiti

Le Trait d'Union Entre Les Haitiens

Culture & Société

UNE TRADITION D’AUTODETERMINATION : 203e Anniversaire de l’Etat Meridional

gate Les Cayes Haiti

Selon les idéaux la révolution américaine, il ne peut y avoir d'imposition sans représentation. La taxation perd toute légitimité quand la population n’en bénéficie pas. Lorsque les gouvernements se relayent depuis plus de deux siècles au pouvoir pour maintenir une région dans le non-développement durable, il n’est pas du tout déraisonnable de parler d’une néantisation planifiée. Il devient alors concevable de reconnaitre l’existence d’un «rétrogradage»[1] programmé.

De ce point de vue, parce que son affirmation à l’existence s’est vue sans cesse opposer l’exercice du déni et du mépris, parce que l’histoire a souvent brouillé les cartes, la Péninsule du sud affirme sans discontinuer son droit à l’avenir.

A l’arrivée de Colomb, le déficit aurifère du Xaragua justifia la colonisation tardive de cette contrée par le conquérant espagnol. Sous la période française, la proximité de la Jamaïque, colonie anglaise, servira de toile de fond pour cette préférence marquée envers les deux autres régions de Saint-Domingue, en l’occurrence le Nord et l’Ouest. Pendant l’intervalle de cette guerre quasi-permanente entre la France et l’Angleterre, la Jamaïque servait de base et l’Ile-a-Vache de lieux d’embuscades pour intercepter les navires de la marine marchande française. A ne pas négliger la vivacité de la rivalité des catégories sociales dominantes de l’époque coloniale vers la fin du XVIII siècle. La défaite du Sud mulâtre dans l'affrontement avec le Nord noir pérennisera les rôles respectifs des trois régions jusqu’à nos jours.

Les mauvaises habitudes et les réflexes acquis ont la vie dure. Après la tragédie du 12 janvier 2010, on avait osé espérer que la dimension stratégique de la Péninsule allait finalement la sortir des cadres de référence historico-traditionnels. On avait même osé croire en la mise en branle d’un début de décentralisation et de rééquilibrage de l'économie nationale par la création d’économies régionales et de nouveaux pôles de croissance. Il importe alors de rappeler que la communauté internationale n’arrivera pas à se défaire de ce faux paradigme. Sous le joug de l’isolement et de l’enclavement, corollaires de l’arbitraire politique permanent, la Péninsule du Sud continue à faire face à cette même campagne de négation.

Enfin, après 500 ans, le centre du monde se déplace finalement vers le Pacifique. Si la Péninsule du sud tourne le dos au Canal de Panama et à l’Amérique Latine, Haïti tourne le dos à son avenir. A cet effet, les habitants de la Péninsule représentent un enjeu de premier plan, en tant qu’ils forment la pierre angulaire par laquelle s’incarne toute chance d’un nouvel horizon à l’espoir. Se porter à la hauteur de cette responsabilité exige une mobilisation plus résolue afin de grandir la réflexion méridionale.

En ce 203e anniversaire de l’année de la Proclamation de l’Etat Méridional du 3 novembre 1810, nous reproduisons pour la postérité la version intégrale de l’ Â« Adresse du Conseil du département du Sud aux citoyens du département de l’Ouest Â».

« Citoyens,                                                                                                                                       

Quoique la qualification de Président d’Haïti, prise par le Général Pétion, soit une vraie usurpation, cependant nous eussions gardé le silence ; nous l’eussions laissé jouir paisiblement d’un titre devenu ,sans doute, nécessaire à son bonheur ; mais, puisque loin de nous tenir compte de cette tolérance, à laquelle nous portait notre amour de la paix; puisqu'au lieu de revenir à des idées de justice et de modération, il persiste à vouloir étendre son autorité sur un département qui ne veut, ni ne doit le reconnaître, il faut que nous nous expliquions : c'est lui qui nous y force.

Il nous eût été facile d'user de représailles, en donnant à un citoyen du Sud la qualification que s'applique le général Pétion; mais le même sentiment qui nous rend jaloux de nos droits, nous porte à respecter ceux d'autrui.

Pour prouver la justice, la légitimité et même la nécessité des mesures adoptées dans le département du Sud, nous n'avons besoin que de recourir aux principes de tout gouvernement libre, et de rappeler les circonstances dans lesquelles nous nous trouvions.

Ouvrons cette Constitution de 1806, dont le général Pétion veut étayer sa prétendue réélection; nous y trouvons que la souveraineté réside dans la majorité des citoyens, et que la loi du pays est l'expression de la volonté de cette majorité; tirez toutes les conséquences qui résultent de ce principe, après avoir comparé le nombre des communes ainsi que la population des deux départements, et vous jugerez combien nous sommes modérés dans nos prétentions.

Dans quelles conjonctures étions-nous lorsque le département du Sud s'est donné une constitution? Citoyens, nous ne voulons point présenter ici le tableau de tous les événements qui se sont succédé durant quatre années. Le général Pétion nous supposerait l'intention de faire la satire de son administration, peut-être même de lancer anathème contre sa personne; nous nous bornerons à parler d'une catastrophe dont la date est encore récente.

Le Môle venait de succomber après deux années de siège; la garnison de cette place, cette garnison si digne d'un meilleur sort, avait fini sa destinée après s'être illustrée par des actes de courage, de dévouement, d'héroïsme qui honoreraient les annales militaires de quelque peuple que ce puisse être. Frappés des dangers qui nous circonvenaient, nous crûmes qu'il était temps de songer à des moyens de salut; nous nous occupâmes d'une constitution qui dût nous offrir une protection, une garantie ; elle n'est pas, comme on a voulu le faire entendre, une œuvre de ténèbres; elle n'est pas, comme on l'a dit, la production de quelques factieux; mais le vœu authentiquement et solennellement proclamé de l'universalité des citoyens du Sud : le temps a dû vous en convaincre.

Vous le savez comme nous, depuis longtemps la Constitution de 1806 était brisée en pièces; le Sénat était dissous; les membres de ce corps étaient épars et sans fondions; le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, tout était annulé dans les mains d'un seul homme... Cette Constitution avait été si cruellement mutilée, si complètement mise à mort, qu'aujourd'hui le général Pétion, intéressé à la ressusciter, mais pour un seul moment, ne peut y réussir, malgré tous ses efforts; il montre cinq sénateurs quand il en faudrait treize pour constituer la majorité du Sénat; il montre un Administrateur général, quand il faudrait un Secrétaire d'Etat.

Citoyens, après cet exposé, si quelqu'un prétend que nous n'avions pas le droit de faire ce que nous avons fait, et que pourvoir à notre liberté et à notre sûreté, c'est blesser sa prérogative, qu'il déclare qu'il est notre maître, et que nous sommes ses esclaves ; qu’il dise comme Christophe qu'il est le successeur naturel légitime de Dessalines!

Citoyens, cette ardeur pour la liberté dont on brûlait en 1866, ces principes dont on se glorifiait tant, que sont-ils devenus? Relisez le rapport du général Pétion à l'Assemblée Constituante, dans la séance du 27 décembre : Ah! S’il eût pratiqué les vérités et les maximes qu'il y établit, comme un autre Washington il eut été l'honneur et l'idole de son pays!

Citoyens, il est de notre intention de ne vous adresser que des paroles de paix et d'amitié; sans doute, nous serons toujours d'accord sur les principes essentiels de gouvernement, puisque notre liberté en dépend; mais tant que les deux départements ne recevront pas un système unique « d'organisation, déterminé par une seule Constitution, nous vous reconnaîtrons le droit de vous régir selon votre intérêt et votre volonté; pourriez-vous nous contester le même droit? Ayez un Sénat, si vous le voulez; un Président, si vous le voulez; mais que votre Sénat soit celui de l'Ouest, votre Président le Président de l'Ouest. La concorde, vous devez le savoir, n'est que le fruit de la modération et de la sagesse, et nous tous avons besoin de tranquillité et de repos pour cicatriser les plaies faites à notre industrie, à notre culture, à notre commerce; pour raffermir nos lois, pour ranimer toutes les institutions sociales flétries et desséchées par le souffle de l'anarchie.

Rétablissez entre les deux départements ces relations qui n'auraient jamais dû être suspendues ; qu'elles soient garanties par une confiance réciproque; que tous les sentiments de la fraternité reprennent leur cours habituel. Nos intérêts ne sont-ils pas indivisibles ? Ne sentez-vous pas que le mal fait à un département réagit contre l'autre ? Combien nous nous croirions criminels si jamais nous vous méconnaissions le droit d'atteindre le bonheur par toutes les voies qui peuvent y conduire; si jamais l'affreuse pensée de le troubler s'offrait à nous! Ne voyez-vous pas que l'ennemi commun sourit, à nos folles dissensions et épie le moment favorable pour en profiter? Que les leçons de l'expérience et du malheur ne soient pas perdues pour nous! Et n'allons pas nous briser contre les mêmes écueils où flottent encore les débris qui attestent nos naufrages passés….                    

Un partage de l'autorité n'est pas un si grand malheur; c'est rendre un fardeau moins pesant; c'est vouloir établir une noble émulation, une heureuse rivalité de talents et de vertus, qui tournera à l'avantage des deux départements.

L’histoire nous peint un homme qui, maître pour ainsi dire du monde entier, s'y trouvait trop à l'étroit; c'est qu'il n'avait point d'idée de la vraie gloire, et qu'il ne voyait dans les hommes que les instruments de son fol orgueil et de son ambition. Mais à un chef qui connaît l'immensité de ses obligations, qui sait que la condition de celui qui tient le premier rang, n'est autre que celle de ce cacique à qui l'on demandait s'il avait des esclaves, et qui répondit: « Des esclaves ! Je n'en connais qu'un seul dans ma contrée, et cet esclave, c'est moi Â». A un tel chef les limites d'un département doivent paraître aussi reculées que les bornes de l'univers.

Fait aux Cayes, le 25 mars 1811, an VIII de l'indépendance.

Signés : André Rigaud[i], Président du conseil; Guillaume; Vaval; P. Francisque; J.J. Wagnac;                 Bruni-Leblanc; J.Juste Vancol; Jérôme Maximilien Borgella; L.-B. Quesnez; Montbrun;                Bruno Blanchet ; Chantilly et Simon. Â»

Une deuxième fois, de mai 1868 à décembre 1869, le Sud proclamera la scission pour s’opposer à l’absolutisme et à l’anarchie de Sylvain Salnave. Le général Michel Domingue se retrouvera à la tête d’un gouvernement méridional. Ce nouvel état du Sud reprenait les mêmes délimitations géographiques du premier et englobait les territoires actuels des départements du sud, de la grande-anse et des nippes. Dans le cabinet ministériel, on retrouvait les personnalités suivantes :

i.Septimus: Finances et Commerce
ii.Linstant Pradines: Justice, Culte et Instruction Publique
iii.Pierre Momplaisir Pierre: Guerre
iv.David Fils-Aimé: Intérieur et Agriculture

La république méridionale avait son organe « La voix du peuple Â» et une banque qui émettait sa propre monnaie

En écho aux principes de l’autodétermination qui fécondèrent les premières nations, nous ancrons cette réflexion dans la profondeur de temps immémoriaux de la Grèce antique où les Anciens discutaient de la chose publique sur la place publique. Plus qu’une reconnaissance, cette intuition de la souveraineté des peuples doit ouvrir un droit imprescriptible à l’avenir.

Lorsque le caractère unique des sites et l’extrême diversité d’un territoire sont l’objet de convoitise, lorsque la gestion mercantile et anarchique des appétits annonce un pillage généralisé, il faut une action politique déterminée et innovante.

Sinon, qui assumera les conséquences d’une telle désespérance ?

Alin Louis Hall


[1][1] Action de passer à une vitesse inferieure en mécanique automobile.

[i] André Rigaud était rentré d’exil le 7 avril 1810. Le 3 novembre 1810, il fut nommé Président du Conseil d’Etat lors de la proclamation de l’Etat Méridional. Il lui fut adjoint, un conseil privé, composé des généraux et de cinq citoyens notables, lequel conseil était chargé d'aider le général en chef dans ses travaux. Les cinq citoyens nommés furent Bruno Blanchet, Montbrun, Constant, Simon et Daguilh.

A Lire Aussi