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La classe moyenne, grande oubliée de la reconstruction
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- Publié le samedi 12 janvier 2013 13:57
Aristide l'ignorait. Préval idem. Pour Martelly, les ONG et la communauté internationale, elle n'existe pas. Broyée par le tremblement de terre du 12 janvier, la classe moyenne de Port-au-Prince peine à sortir la tête sous les décombres. Au coeur de la crise du logement, ses maisons détruites ne sont prises en compte dans aucun plan de reconstruction de la capitale. A son rythme et avec peu de moyens, elle survit et attend des jours meilleurs.
Depuis le séisme, dans de nombreux quartiers de la région métropolitaine, on ne compte plus les clôtures refaites protégeant des terrains vagues. « Cela nous permet d'être des sinistrés chez nous, dans notre cour et met notre propriété à l'abri des squatteurs. C'est de la résistance digne. Na p viv, san nou pa mande », explique R., architecte dans la quarantaine qui attend des temps plus cléments pour reconstruire à son rythme sa maison totalement détruite le 12 janvier 2010.
« J'ai cru que, pour relancer l'économie, le gouvernement ou le secteur privé allaient finir par aborder le problème; rien ne se passe », déplore-t-il.
Pour G., la situation est plus délicate. Pas de maison, mais un terrain acheté qu'elle venait d'acquérir après des années de labeur, d'économies et de privations. Le séisme a poussé des riverains à en faire un camp d'hébergement. Située dans une impasse dans la banlieue de Pétion-Ville, aucune autorité ne veut lui prêter main-forte dans cette affaire. Il n'y a aucune disposition de loi haïtienne concernant les occupations de terrains pour raisons humanitaires.
« Je ne sais plus à quel saint me vouer. Il me faudrait payer moi-même les occupants pour récupérer mon terrain. Je n'en ai pas les moyens. J'attends. Cela dure. C'est dur de voir ma sueur partir ainsi...», lâche-t-elle crânement.
G. n'est pas la seule dans cette situation. De nombreuses propriétés privées ont servi de camps aux réfugiés après le séisme. Trois ans après, certaines le sont encore. Ni la justice, ni la police, ni les programmes de relogement du gouvernement et de la communauté internationale n'abordent ce problème.
« J'ai essayé de les faire partir. J'ai reçu des appels d'intimidation et on a menacé de me dénoncer pour atteinte aux droits de l'homme », se lamente cette femme dépassée par la situation.
Dans le même cas, un grand homme d'affaires haïtien a expliqué dans la presse étrangère avoir payé lui-même le relogement de tous les sinistrés qui occupaient un de ses terrains.
Pour V. qui venait d'acquérir une maison, détruite trois mois après, lors du séisme, il a encore 12 ans de traites à payer à sa banque pour un terrain couvert de cailloux. Il ne peut plus emprunter parce qu'il n'a plus rien pour garantir l'hypothèque. Seul l'Etat, par la Banque centrale, peut prendre une décision en constituant un fonds de garantie pour les clients dans votre cas, lui a rétorqué son banquier. Depuis, il attend.
L'imbroglio légal
B. est un cadre travaillant dur pour gagner son argent et avait investi avec son frère dans une pharmacie avant le tremblement de terre. Le 12 janvier 2010, tout s'effondre. Depuis, il tente de remonter son entreprise. N'ayant pas de proposition des banques et d'autres institutions haïtiennes de crédit, il s'est mis en quête des projets des ONG qui permettent aux entreprises détruites de se relancer.
« J'ai fait tout le circuit requis pour entrer dans un programme de Habitat for Humanity. Nous étions une trentaine d'entrepreneurs en compétition. Ayant réuni tous les critères de sélection, mon projet a été retenu pour financement. Malchance, la zone de l'ancien Hôpital de l'Université d'État d'Haïti, qui n'était pas concernée par l'arrêté d'utilité publique pris par le président René Préval (faisant de 200 hectares du Port-au-Prince historique une aire réservée) a été changé par le président Martelly qui libère les 200 hectares du centre-ville, mais réserve pour la construction de bâtiments publics un nouvel espace. Pas de chance, la rue Mgr Guilloux est comprise dans le plan. L'ONG ne peut plus me financer. Je ne sais plus quoi faire. Car elle ne finançait que les reprises, pas la création d'entreprise», explique B.
A. est aussi pris dans une affaire légale. Dans son cas, la propriété de la famille de sa femme se trouve au Champ de Mars. Florissante petite entreprise et maison familiale, la construction s'est effondrée le 12 janvier. Depuis, l'État l'empêche de reconstruire, arguant que le terrain fait partie du domaine public. Aucune réclamation n'avait été faite pendant des décennies par le ministère concerné qui s'est décidé après le séisme de faire opposition à la reconstruction.
« Nous ne savons pas quoi faire. Dans la zone du Champ de Mars, il y a des droits acquis que l'État remet en question », regrette ce père de famille.
Sortir de l'impasse
Les banques haïtiennes, réputées peu entreprenantes, se rongent les sangs. Beaucoup de dossiers de demande de crédit reçus par elles ne répondent pas aux critères en ce qui concerne les titres de propriété.
« Nous avons de l'argent, nous voulons le donner en crédit, mais les clients ont de mauvais titres de propriété. Dans plus de 70% des cas, nous ne pouvons pas avancer. Pas de titre, pas d'affaires », a confié au Nouvelliste un haut cadre d'une banque haïtienne, leader sur le marché du crédit au logement.
Le tremblement de terre a remis sur le tapis l'imbroglio des titres de propriété dans les quartiers les plus anciens de la capitale où souvent on est propriétaire depuis des années, des siècles même, sans détenir les bons titres. Les droits acquis tenant lieu d'ordre des choses.
« Aujourd'hui, comme ceux qui habitent dans les bidonvilles, beaucoup de membres de la classe moyenne ne sont propriétaires que de fait de leur terrain. Impossible pour eux de faire financer la reconstruction des maisons tant que la société haïtienne n'adressera pas le problème frontalement», analyse R., l'architecte.
En attendant, la classe moyenne s'appauvrit et les bidonvilles grossissent. Impossible de trouver en nombre suffisant des logements et le secteur de la construction stagne. Ironie suprême dans une capitale détruite qui appauvrit sa classe moyenne, l'un des moteurs de la possible relance.
Le chemin des décombres
Un million et demi de personnes, peu ou prou, ont habité un camp d'hébergement après le séisme du 12 janvier 2010. Dans cette population, il y avait ceux qui avaient tout perdu et d'autres qui espéraient tout trouver dans les camps. Il y avait aussi dans la foule des hommes et femmes désemparés, victimes eux aussi, mais brusquement propriétaires des décombres de leurs maisons détruites ou des restes de celles fissurées.
Si les propriétaires n'ont fait qu'une courte escale dans les camps, la majorité des sinistrés y ont demeuré avant de recevoir une tente, des services de base, des fois, après des mois d'attente, un petit pécule pour se payer le loyer d'un logement moins salubre que celui habité avant le tremblement de terre. Cela est dû autant au montant du cadeau de sortie des camps - moins de cinq cents dollars - qu'au fait que les maisons abordables sont introuvables. Les propriétaires n'ont pas pu reconstruire.
Paradoxe de la reconstruction depuis trois ans, la capitale haïtienne est ceinturée d'un réseau de bidonvilles, de cités précaires et d'abris de fortune plus denses qu'avant la catastrophe du 12 janvier. Ces agglomérations, dont Canaan, à la sortie nord de Port-au-Prince, est l'archétype, sont moins bien servies parce qu'érigées dans un laps de temps très court et sans le minimum d'organisation des regroupements anciens qui prenaient corps lentement pendant des années.
Pouvait-on éviter ce développement urbain encore plus anarchique qu'avant ? Oui, si les responsables acceptaient d'accompagner les implantations des bidonvilles ou s'ils s'attelaient enfin à s'occuper du problème du logement.
La classe moyenne, victime silencieuse
Quel organisme a considéré que le séisme meurtrier du 12 janvier s'est traduit par «plus de 105 000 maisons totalement détruites et plus de 208 000 endommagées », selon le relevé officiel présenté dans le Post-Disaster Needs Assessment (PDNA) préparé par le gouvernement et la communauté internationale en 2010 ? Dans les faits, le bilan des pertes en logement est plus élevé. Une maison en Haïti loge souvent un nombre surprenant de familles...
Ce que les chiffres ne campent pas, c'est la classe moyenne laminée. Ceux qui possédaient une maison et y vivaient. Ceux qui louaient une partie et cohabitaient avec leurs locataires ou faisaient pleinement commerce de logement. Ils ont tout perdu dans le tremblement de terre et n'ont jamais été pris en compte par aucun programme.
Les amis d'Haïti, les ONG et les autres ont du pays une géographie simple : il y a les riches et les pauvres à leurs yeux. Le classement assimile tout propriétaire à un riche. Nos amis mélangent ceux qui survivent avec un peu d'aisance et ceux qui ont tout dans ce pays.
Dans les plans, s'il y avait des tentes, de l'eau, de la nourriture, des soins de santé, des emplois temporaires, un peu de microcrédit et même des unités de logement pour les pauvres; si à force de frapper aux portes, des projets de relance de l'économie ont atteint les Haïtiens les plus fortunés, il n'y avait rien pour la tranche intermédiaire : les ni riches ni pauvres de la classe moyenne haïtienne.
Qui fait partie de la classe moyenne haïtienne ?
La question fait débat. On parle d'ailleurs des classes moyennes. Si le concept n'a plus de connotation politique comme du temps de la révolution de 1946 ou du régime des Duvalier, il n'en demeure pas moins que des hommes et des femmes, sans se sentir appartenir à ce regroupement ou sans s'estimer être liés par un esprit de corps, en font partie.
On y retrouve aussi bien le professionnel qui a réussi, le fonctionnaire, l'enseignant que le retraité de la diaspora revenu au pays vivre de ses rentes, de sa pension et de ses investissements. Certains ont des commerces, des entreprises de service ou sont dans la débrouillardise. C'est aussi un juge, un haut gradé de la PNH, un cadre d'entreprise ou un couple de jeunes diplômés en situation d'emploi depuis quelques années.
Plus que leur salaire, ce sont leurs revenus qui marquent leur appartenance à la classe moyenne. Dans tous les cas, ils sont propriétaires. Leurs maisons sont disséminées dans tous les quartiers de la capitale, certains habitent en province, mais ont adresse à Port-au-Prince et même se lovent dans des bidonvilles comme seule Haïti peut mélanger les résidences.
Frantz Duval
Source: Le Nouvelliste
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