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A propos du reboisement… Dimitri Norris en réponse à Michel William

moringa oleifera-

 Agr Dimitri Norris --- J’ai eu l’opportunité de lire dans la matinée du Vendredi 5 Juillet sur Internet un article écrit par l’agr. Michel William et qu’a reproduit le Nouvelliste sur le moringa oleifera (benzolive) et le programme triennal de reboisement mis en place par le Ministère de l’Environnement.

 Tout d’abord je pense qu’il est de bon ton aujourd’hui d’avoir un débat sur cette initiative majeure prise par l’actuel Ministre de l’Environnement et par le gouvernement de la République.

 Il était plus que temps d’avoir un programme national de reboisement qui se fixe pour objectif de couvrir l’ensemble du territoire haïtien. Une des missions cardinales du Ministère de l’Environnement indépendamment de son caractère normatif est de contribuer significativement à réduire la dégradation physique de l’espace haïtien en augmentant la couverture arborée et forestière de ce pays. Sans doute il ne doit pas s’atteler à cette tache tout seul et bien d’autres institutions, partenaires et acteurs devraient l’accompagner dans cette Å“uvre titanesque qui concerne tous les haïtiens et toutes les haïtiennes et qui finalement engage l’avenir de la Nation.

 L’arbre joue un rôle fondamental dans le maintien des équilibres écologiques et dans la fourniture des services écosystémiques et ce particulièrement dans un pays où en raison de la pression démographique, l’ensemble des utilisateurs des ressources naturelles exerce sur celles-ci des pressions extrêmement fortes capables d’ouvrir les portes à toutes les perturbations écologiques. La mise en place d’un programme national de reboisement est une nécessité impérieuse pour tenter de pallier à ces problèmes d’aujourd’hui et de demain.

Il faut toutefois reconnaitre à l’auteur de cet article le mérite de montrer qu’une telle initiative ne doit pas être prise n’importe comment et qu’il importe d’impliquer de nombreux acteurs dans cette démarche et notamment les autorités des collectivités territoriales. Il a sur la même lancée mis en avant que la production et la plantation d’une centaine de millions de plantules va avoir un coût prohibitif que l’on peut facilement évaluer à plusieurs dizaines de millions de dollars américains.

 Aujourd’hui le gouvernement haïtien est en train d’investir des centaines de millions de dollars américains dans des projets d’infrastructure, ce que j’applaudis des deux mains, et qui ont pour effet d’améliorer de beaucoup les conditions de transport et de circulation des personnes et des biens et de contribuer à la modernisation de l’économie. Il ne serait pas de trop d’investir des sommes conséquentes dans la mise en Å“uvre de la régénération de l’environnement haïtien. Et ce d’autant plus que l’augmentation du couvert arboré et forestier en plus de participer à celle-ci peut à travers la production fruitière (mangues, avocats, citrus, annonacées) et la production de produits ligneux (bois d’œuvre, bois de feu) constituer un capital économique renouvelable dont plus d’un peut tirer parti.

Il y a cependant une assertion dans l’article de mon illustre confrère qui m’a profondément choqué et nous citons : Â«  le paysan est l’ennemi nËš1 du reboisement Â».

 Cette opinion qui a première vue peut paraitre exacte mérite d’être examinée avec plus de finesse. Avant d’aller plus loin, il convient d’avoir à l’esprit que l’arbre qu’il soit mort ou vivant, le plus souvent mort, représente une source de richesse en milieu rural pour des populations qui ont décapitalisé à l’extrême et qui n’ont pas d’autres alternatives en période de soudure ou à la suite de la perte d’une récolte que de se rabattre sur le capital ligneux pour faire face à l’insécurité alimentaire. Ce serait faux de croire que ce sont les paysans ordinaires qui profitent le plus du trafic du charbon de bois et de planches, ceux qui peuvent mettre en place ces activités disposent de moyens financiers et logistiques importants qui ne sont pas à la portée du paysan moyen. Les paysans ne sont en fait que des pions que manipulent des acteurs beaucoup plus puissants.

 Il est peut-être un autre élément très important à prendre en compte et qui peut expliquer la perception générale que les paysans sont les ennemis du reboisement : c’est la garantie des droits de propriété foncière en milieu rural. En raison même du fait qu’un arbre représente une source de richesses, on ne peut demander à un agriculteur ou à une personne quelleconque de mettre en terre une plantule sur un terrain dont il ne peut s’assurer du contrôle et dont il n’est pas sûr de pouvoir bénéficier des fruits et des bienfaits. Or pour de multiples raisons, un grand nombre de terres dans ce pays évolue dans un contexte juridique indéfini et flou qui ne favorise pas les aménagements fonciers, particulièrement dans le long terme. Aucun programme de reboisement ne peut réussir si une tentative de solution n’est pas apportée à cet aspect majeur de la question. Ce n’est qu’ainsi et qu’à partir de ce moment que les paysans deviendront les alliés inconditionnels et incontournables d’un programme national de reboisement.

Il faudrait ajouter que pour réussir, un programme national de reboisement doit tenir compte des conditions agro-écologiques et socio-économiques dans lesquelles évoluent les parcelles où les plantules vont être plantées. Pour ces dernières raisons, il serait judicieux que des pépinières soient implantées au niveau des sections communales et que le choix des espèces soit fait en fonction des conditions écologiques des terroirs et des objectifs socio-économiques des agriculteurs. En procédant ainsi, on a plus de chances que le programme soit approprié par un maximum d’acteurs et aboutisse aux résultats escomptés.

Une idée-force des propos de l’article susmentionné, c’est que les hommes d’affaires doivent être intégrés dans le processus de reboisement. Sans vouloir m’inscrire en opposition à cette idée première et tout en reconnaissant le rôle incitatif que pourrait jouer le secteur privé dans la conquête et le développement des marchés (surtout à l’extérieur) pour les produits fruitiers et ligneux tout en assurant aux producteurs un débouché sûr et des prix stables et rémunérateurs ; il faut pour la pleine réussite du programme national de reboisement et pour que celui-ci contribue à résoudre quelques problèmes structurels qui entravent le développement du secteur agricole et du milieu rural qu’il soit abordé dans une démarche de « démocratisation économique Â».

Voici les quelques idées que je me suis proposé de développer dans le but de participer à une réflexion vitale pour Haïti, les haïtiens et les haïtiennes qu’est le reboisement d’Haïti. Enfin, dernière chose, si le programme triennal de reboisement ne devait pas aboutir aux résultats escomptés ; il serait impérieux de l’évaluer, d’en tirer des leçons pour bien comprendre ce qui n’a pas marché et ce qui doit être réajusté. Le plus important sera alors de le relancer jusqu’à ce qu’il permette de reboiser ce pays, de maintenir les équilibres écologiques et de fournir les services écosystémiques tout en contribuant à la création de richesses dans une optique de « démocratisation économique Â» qui profitera au plus grand nombre.

 Dimitri Norris, agr.

(1)   L’auteur est un cadre du Ministère de l’Environnement mis à la disposition de la Direction Générale du Bureau des Mines et de l’Energie.
(2)   Cet article n’engage que son auteur.

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