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RNDDH rappelle à la ministre de la Culture les violations (lois internationales) dont elle se fait complice par l'exclusion de Brothers Posse et Kanpech pour leurs positions critiques par rapport au régime Martelly-Lamothe

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Madame Josette Darguste
Ministre de la Culture
En ses bureaux.-

Madame la Ministre,

 Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), engagé dans la lutte pour le respect des droits humains en Haïti, croit utile d'attirer votre plus sérieuse attention autour des menaces que fait peser le Gouvernement Martelly / Lamothe sur la liberté d’expression en général et la liberté artistique en particulier, notamment, dans l'organisation des festivités carnavalesques.

 Madame la Ministre,

 Le Carnaval est une grande fête populaire qui offre aux groupes musicaux et artistiques l’opportunité de peindre, à leur manière, la réalité politique, sociale et économique du pays. C’est aussi l’occasion pour la population d’encenser ou de critiquer les responsables de l’Etat.

 Dans le temps, la participation des groupes musicaux aux festivités carnavalesques dépendait soit des autorités étatiques, soit du secteur privé des affaires. Et, selon la qualité de la musique proposée, l'inspiration du texte et la capacité des artistes à animer un grand nombre de personnes, certains groupes participaient aux festivités avec l'appui des autorités centrales ou municipales. Cependant, les groupes non retenus par les autorités n'étaient pas interdits de participation mais étaient invités à se trouver des sponsors dans le secteur privé.

 Madame la Ministre,

Aujourd'hui, les règles de participation des groupes aux festivités carnavalesques ont changé. C’est,     étrangement, le Président de la République Michel Joseph Martelly qui, prenant à lui-seul la place du Comité chargé d'organiser le Carnaval National, décide selon ses caprices, de qui doit ou non participer aux défilés.

 Ainsi, certains groupes musicaux, considérés par plus d'un comme étant des habitués des festivités carnavalesques et attendus avec impatience par leurs fanatiques, sont interdits de participation, parce que le Président de la République en a décidé ainsi. Cette interdiction reste valable même lorsque ces groupes peuvent compter sur le support du secteur privé.

 Madame la Ministre,

Cette nouvelle pratique antidémocratique, qui a son essence dans l'intolérance inquiétante du Président de la République, prend des proportions inimaginables. En ce sens, les groupes musicaux comme Brothers Posse et Kanpèch qui ne flattent pas la fatuité du Président et qui ne font pas l'éloge du pouvoir en place, ne sont autorisés à prendre part à aucune activité culturelle organisée par les autorités locales ou nationales dont les fêtes patronales, les festivités pré-carnavalesques et le Carnaval. Même les platinistes ne veulent pas prendre le risque de diffuser les musiques de ces groupes, de peur de tomber dans la disgrâce présidentielle.  

 De plus, le 8 février 2014, à Moron, dans le département de la Grand'Anse, Brothers Posse était en train de performer lorsque des agents de la Police Nationale d'Haïti (PNH) sont intervenus et ont fait usage de gaz lacrymogène, mettant ainsi fin à une partie du programme culturel des fêtes patronales Notre Dame de Lourdes.

 Le groupe Kanpèch qui n'est pas non plus en odeur de sainteté auprès du Président de la République, ne peut performer nulle part en Haïti.

 Madame la Ministre,

 Le RNDDH vous rappelle que le Président Michel Joseph Martelly a lui-même déclaré que l'argent de l'Etat ne sera pas octroyé à des groupes musicaux en vue de leur permettre d'organiser des manifestations antigouvernementales. En ce sens, il menace quiconque permettrait aux groupes bannis de performer. Corroborant ce fait, l'Agent Intérimaire de l'Exécutif de la Commune de Carrefour, Jude Edouard Pierre qui se prononçait sur la non participation de Brothers Posse au défilé carnavalesque de Carrefour a affirmé sur les ondes de plusieurs stations de radio de la Capitale que l'ordre de censure de Brothers Posse émanait d'une autorité supérieure et qu'il ne pouvait assurer la sécurité de ce groupe, celui-ci étant en opposition avec le pouvoir en place.

 Il est donc clair que la décision du Gouvernement Martelly / Lamothe d’interdire de participation au défilé du Carnaval les groupes critiques au pouvoir en place, constitue une grave violation au droit à la liberté, indispensable à l’expression artistique et à la création. Ce droit est garanti par les instruments universels et régionaux de protection des droits humains et par la législation nationale.

De plus, tel que le précise la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) «dans une société démocratique, l’Etat doit garantir une activité artistique qui dérange autant qu’elle charme ». En ce sens, l’Etat Haïtien a pour obligation de créer et d'entretenir un climat favorisant la liberté d’expression artistique. Il doit aussi fournir les conditions matérielles propices à la réalisation des talents créatifs, suivant les instruments pertinents de l'Organisation des Nations-Unies pour l'Education, la Science et la Culture (UNESCO) dont notamment la Recommandation Relative à la Condition de l’Artiste, adoptée en 1980.

Enfin, le RNDDH reprend à votre intention la considération de la rapporteuse spéciale des Nations-Unies dans le domaine des droits culturels, Madame Farida Shaheed, qui affirme à juste titre que « l’art constitue un moyen important pour chaque personne, individuellement ou collectivement, ainsi que pour les groupes de personnes, de développer et d’exprimer leur humanité, leur vision du monde et le sens qu’ils attribuent à leur existence et à leur réalisation ».

 Madame la Ministre,

 Le RNDDH compte sur votre sagacité à bien analyser une situation qui porte préjudice à une catégorie d'artistes, détenteurs eux aussi de droits, dont le droit au travail. Il espère que les dispositions en vue de corriger la situation décrite plus haut seront prises par votre Ministère.

 Le RNDDH vous prie d'agréer, Madame la Ministre, l'expression de sa haute considération.

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Pierre Espérance
Directeur Exécutif
Port-au-Prince, le 25 février 2014

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