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Le réflexe « Anti-KATO » comme modèle de gouvernance…

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 La nouvelle exclusion du carnaval du groupe Brothers Posse de Don KATO par le président Martelly, s'inscrit dans le cadre d'une orientation politique sciemment conçue qui s'applique inexorablement à divers domaines et à différentes catégories de personnes. C'est le « style Tèt Kale », en mode d'intolérance et de représailles systématiques contre les « non-alignés »

D'abord, en ce qui concerne le carnaval, il n'y a pas que Don KATO à faire l'objet d'une mesure-sanction d'exclusion. Les groupes « RAM » et « Kanpèch » sont également frappés, leur discours n'étant pas en odeur de sainteté auprès de la présidence. Le « Boukman Eksperyans », traditionnellement satirique, a dû adopter un discours plus « feutré », moins décodable par les non-lettrés et donc plus acceptable du point de vue de la « censure officielle » qui n'ose montrer ses « griffes ». La bande à Lòlò aurait donc trouvé la formule « magouillante » pour se frayer un passage dans les dédales du défoulement carnavalesque « Sweet-Miquique ».

Ce devrait donc être un carnaval « swa », sans anicroche, sans slogan dérangeant, car il ne serait pas bon que le touriste apprenne qu'il y a, ici, des gens frustrés, insatisfaits, en colère même. Comme si, con par excellence, le touriste ne prendrait que le carnaval comme référence pour se faire une idée exacte de la situation en Haïti. Le touriste est donc un super analphabète qui n'aurait, pour se convaincre de la bonne situation haïtienne, que de voir des gens se déhancher et s'enflammer dans un concert cacophonique de chants obscènes et de rythmes débridés.

Pourtant, avant la dictature fasciste duvaliériste, le carnaval était satirique et politique. Des touristes arrivaient tout de même. La différence d'avec cette époque est que les problèmes sont devenus aujourd'hui plus criants. Les slogans le sont devenus tout aussi bien. Même sous la dictature, alors que les « tontons macoutes » étaient décriés à travers le monde et que « Fort Dimanche » fonctionnait à plein régime, les touristes venaient. C'est dire que l'équation que veulent aujourd'hui établir les « Tèt Kale », à savoir montrer un pays sans problème implique ipso facto l'afflux de touristes, a du mal à convaincre même les moins cultivés. A quel touriste le carnaval « Tèt Kale » va-t-il apprendre qu'Haïti n'est plus un pays chaotique, arriéré et dangereux à différents points de vue ?

La « FORMULE Anti-KATO » s'applique à divers autres domaines. Les médias et les journalistes critiques sont bien souvent tenus à l'écart à l'occasion de certains événements officiels. On se souvient de leur exclusion du « Bal des reines » de l'année dernière au Cap-Haitien. A l'inauguration du nouveau local de la CSCCA, à la rue Christophe, c'était pareil. La plupart des médias étaient « KATOtisés ». Dans bien d'autres cas, ce ne fut pas différent. Les journalistes sont triés sur le volet pour les voyages à l'étranger. Comme ce fut le cas récemment lors de la visite du chef de l'Etat à Washington. Pourtant, il s'agissait d'une affaire d'Etat et non de parti. Ce sont les deniers publics qui sont utilisés. (Ne voyez pas dans cette considération aucune frustration de notre part. Nous défendons un principe général qui devrait s'appliquer selon des normes strictes).

La « FORMULE Anti-KATO » s'applique aussi, et quotidiennement, aux parlementaires. Les « trublions » qui s'entêtent à critiquer l'action gouvernementale ne verront aucun travail d'envergure se réaliser dans leurs circonscriptions ou leurs départements. Ils sont tout bonnement exclus de la liste des priorités. Ils ne seront pas invités à certaines cérémonies officielles. Les lois qu'ils votent qui ne plaisent pas à la présidence ne seront pas publiés. La Loi sur le financement et le fonctionnement des partis politiques fut longtemps gardé dans les tiroirs. Il en fut de même pour la Loi sur les frais scolaires. Que dire de la récente loi électorale dont la publication a nécessité un véritable bras de fer entre les pouvoirs exécutif et législatif ! Ce n'est qu'en raison de la récente contestation des enseignants et des lycéens que le gouvernement a résolu de publier la législation sur le statut particulier de l'enseignant.

Il va sans dire que les dirigeants politiques sont les plus touchés par la « FORMULE Anti-KATO ». Il a fallu que Chibly vienne pour qu'ils soient pris au sérieux. Le « cirque » organisé à Karibe le 28 août 2012 quand le chef de l'Etat était sur son trône, n'était pas un forum à proprement parler. Avec le cardinal Langlois, la démarche se voulait sérieuse jusqu'à l'accord controversé que certains s'évertuent encore à présenter comme une œuvre monumentale. La paysannerie a été tout de même « KATOtisée » à l'occasion du dialogue politique d'El Rancho : ses organisations n'y ont pas pris part, même à titre d'observatrices.

Des hommes d'affaires ont également fait les frais de la « FORMULE Anti-KATO ». Ils ont été exclus de pas mal d'initiatives prises par l'Etat tant dans les domaines administratifs que juridiques, mais aussi dans celui de la diplomatie. Nombre d'entre eux n'ont pas été consultés concernant plusieurs décisions qui les ont affectés dans bien des cas. Ils ont assisté, pantois, à beaucoup de sommets, de conférences, de réunions du Gouvernement avec des dirigeants étrangers auxquels ils n'étaient pas invités. Ils se sont plaints de n'avoir pas été invités au Sommet de la CARICOM qui s'est tenu fin février 2013 à Port-au-Prince. Ils n'ont pas été plus chanceux lors de la Conférence de l'Association des Etats de la Caraïbe en avril de la même année. Certes, il faut reconnaitre qu'auparavant, M. Martelly avait fait appel à eux à l'occasion du 2ème Forum « Invest Haiti » (29-30 novembre 2011). Fin août 2012, ils avaient aussi été invités à des discussions avec le chef de l'Etat, en compagnie de plusieurs organisations de la société civile, autour de la controverse soulevée par sa formule de « Conseil Electoral Permanent ». A noter cependant que certains hommes d'affaires sont naturellement « incorporés » au pouvoir. Les affaires sont faites par les hommes d'affaires. Et, il y a des affaires à faire ! Et Dieu seul sait que des affaires, beaucoup d'affaires se font dans cet « Haiti open for business ».

C'est la « FORMULE Anti-KATO » qui s'est appliquée dans le dossier de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA). Trois conseillers élus de la cour ont été tout bonnement exclus par le Palais national. Motifs : leurs documents ne répondent pas aux conditions requises pour qu'ils soient à ce poste et l'un d'entre eux est un communiste. Donc, sans aucune forme de procès, c'est-à-dire sans recours aux procédures indiquées, le chef les exclut unilatéralement.
Définitivement, la « FORMULE Anti-KATO » tient lieu de mode d'action.

Pour en revenir au carnaval, la « FORMULE Anti-KATO » de Gouvernement veut que ce soit unilatéralement le chef de l'Etat qui choisisse le lieu du déroulement du carnaval national. La formule implique que les Mairies soient exclues de l'organisation des festivités. Pourtant, pendant longtemps, le carnaval relevait des Mairies. C'est aujourd'hui la présidence qui s'en occupe. Même pas le Ministère de la Culture, réduit à faire semblant. Certes, un comité d'organisation est mis en place. Mais, tout le monde sait qu'il est contrôlé par des proches de la présidence et ne saurait adopter de décisions majeures sans l'aval de cette dernière.

Enfin, faudrait-il que la présidence soit la seule à être clouée au pilori concernant la « FORMULE Anti-KATO » ?

Bien sûr que non :

- Quand les artistes ne se sentent pas concernés par l'exclusion de certains d'entre eux dans des activités telles le carnaval, le chef de l'Etat n'est pas seul à agir.

- Quand les médias et les journalistes ne s'estiment pas concernés par les actes du pouvoir par rapport à certains de leurs confrères, le chef de l'Etat n'est pas seul à agir.

- Quand les juges restent impassibles par rapport aux actes du pouvoir contre certains d'entre eux, le chef de l'Etat n'est pas le seul à blâmer.

- Quand des parlementaires restent silencieux face à l'attitude du chef de l'Etat par rapport aux prérogatives du Sénat dans le dossier de la CSCCA, on réalise que M. Martelly n'est pas seul dans cette dérive.

On pourrait étendre ce raisonnement à divers autres secteurs qui devraient toujours se constituer en bloc compact face aux dérives du pouvoir, quelles qu'elles soient. L'exemple des avocats de Port-au-Prince contre les persécutions du pouvoir à l'encontre de Me André Michel, est celui que tous les secteurs devraient suivre, s'ils entendent préserver les acquis démocratiques. Et s'ils veulent aussi libérer Martelly des démons qui le hantent, pour son bien et celui du pays.

Le pire est à craindre si la « KATOtisation » se poursuit. Le risque du cas prévu par le sénateur Moise Jean-Charles se profile : à l'issue des élections qui devraient se tenir cette année, le chef de l'Etat voudra-t-il publier les noms d'élus qu'il répugne, dont, justement, un éventuel Moise Jean Charles ?

Marvel Dandin
Publié le lundi 24 février 2014
Source: Radio Kiskeya
Caricature Source: Facebook
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