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Rétrospective sur l’impasse politicienne permanente: « Haïti sera une démocratie organisée ou elle sera rien » (Horace Pauléus Sanon)

 alexandre-petionAlexandre Petion Â« Haïti sera une démocratie organisée ou elle sera rien Â» (Horace Pauléus Sanon)

Par Alin Louis Hall --- Créée en 1816 lors de la révision de la Constitution de 1806, une "Chambre des Représentants des Communes" de 56 membres exercera l’autorité législative concurremment avec le Sénat. Jean-Pierre Boyer, ouvertement, aspirant déjà à la succession de Pétion, proposera le poste de Vice-président. A André Dominique Sabourin et Balthazar Inginac étaient confiés la délicate mission de convaincre le Président qui rejeta l’idée. L’Assemblée Constituante, chargée de la révision, réunie à Grand-Goâve bouclera les travaux le 2 juin 1816.

Le 10 Février 1817, fut organisée l’élection des membres de la première législature qui comprenait 29 députés représentant l’ouest et du sud. L'ouverture de cette première législature eut lieu le 22 avril suivant. Le citoyen Pierre André en fut le premier président et Alexandre Pétion y prononça son dernier grand discours.

A côté de la création de la Cour de Cassation, ce qui pouvait être considérée comme une autre innovation politique de cette révision était en fait un aménagement politique cynique. Parmi ses objectifs inavoués et inavouables, la création de ce corps législatif anticipait la fin du régime mi- parlementaire mi- présidentiel et la probabilité d’une nouvelle scission du sud.

En réalité, depuis le drame du Pont-Rouge du 17 octobre 1806, le Sénat était devenu un foyer permanent de déstabilisation et de complots. Nourries par les ambitions présidentielles, tour à tour, les conspirations des Sénateurs Yayou, Magloire Ambroise et Etienne Elie Gérin connurent la même et triste fin. Alimenté par la débâcle de la campagne du Môle St-Nicolas contre Christophe, le mécontentement général s’installera durablement jusqu’au retour d’exil d’André Rigaud. A la merci de circonstances dont il n’avait pas totalement le contrôle, André Rigaud se retrouvera encore une fois au milieu de contradictions dont l’inévitable issue allait être la première scission du Sud. La république de l’Ouest s’en sortira très affaiblie de la proclamation du 3 novembre 1810 de l’État méridional et sera même obligée de conclure un pacte avec le Sud contre le Nord en cas d’agression. Considérant la région du Sud-Est comme leur arrière-cour, les hommes de l’Ouest utilisent depuis lors la malice et la duperie pour leurrer les hommes du Sud et les rallier contre le Nord. Mais bien avant, cette éphémère scission des hommes du Sud dénonçait l’absolutisme présidentiel, la gabegie administrative généralisée et le « laissez grennen Â» de Pétion, une reformulation du fameux « plumez poule min pa kité’l rélé Â» de Jean-Jacques Dessalines.

A trop vouloir contenir à jamais les velléités indépendantistes et diluer l’identité méridionale jusqu’ à l’échelle communale, ce replâtrage du pouvoir législatif affaiblira en même temps le Sénat qui fonctionnait déjà à effectif réduit. L’article 102 de la nouvelle constitution amendée sera sans équivoque. « La Chambre des Représentants des Communes nomme les Sénateurs. Leurs fonctions durent neuf ans. Â» La nouvelle constitution, dans son article 34, ira même jusqu’à instaurer le 2 avril, date de l’anniversaire de la naissance d’Alexandre Pétion, Président d’Haïti, comme fête nationale à solenniser « en raison de ses hautes vertus Â». En 1811, il s’était fait réélire président par un sénat composé de cinq membres tout à sa dévotion.

En 1806, la population dont la majorité était dans la région du grand Nord se répartissait entre les 59 paroisses de l’ancienne colonie de Saint-Domingue, soit 35 pour le Nord et 24 pour l’Ouest et le Sud. Les représentants de ces 59 paroisses, soit 59 constituants, devaient se prononcer sur la nouvelle Constitution. Arbitrairement, le nombre de paroisses de l’Ouest et du Sud augmenta de 15, assurant du même coup une majorité de 39 représentants au lieu de 24 dans l’Assemblée Constituante.

La constitution républicaine du 27 décembre 1806 comprenait 200 articles dont 61 dédiés au Sénat de la République, l'unique branche du pouvoir législatif. L'assemblée constituante dont les membres les plus influents devinrent, quelques jours plus tard, sénateurs, fit de ce corps l'élément le plus important du gouvernement. Le président n'étant un simple magistrat (Article 103), et certains de ses pouvoirs émanaient de ce corps.

Le général Henri Christophe avait été élu président le lendemain de l’approbation de la constitution de 1806. Il refusa d'accepter le mandat présidentiel selon les termes de cette constitution. Il décida de marcher sur l’Ouest. Signataire de l’Acte et Héro de l’Indépendance, Henri Christophe commettra le premier outrage à notre fête nationale, lors de la fameuse bataille de Sibert du 1er Janvier 1807. Comprenant que la conquête de l'Ouest et du Sud serait une tâche difficile, il se retirera dans le Nord pour créer l'État et ensuite le royaume du Nord, initiant ainsi et maintenant, jusqu'à sa mort, la scission du Nord. La constitution républicaine de 1806 deviendra alors la loi-mère des territoires de l'Ouest et du Sud, sauf pendant la brève scission, avant de subir en 1816 de profondes révisions qui confirmaient l’ascension de la voyoucratie prophétisée par Charéron à la fin de décembre 1803.

A la vérité, Alexandre Pétion sacrifiât les idéaux républicains et se tailla une constitution sur mesure. En mettant le pouvoir législatif sous coupe réglée, il augura ainsi un nouveau chapitre des ratages planifiés de la république haïtienne. L’action publique se retrouvera engluée dans l’incapacité de nos dirigeants à respecter le vote. Le pays n’assumera jamais les conséquences de la désespérance de l’exercice démocratique. Le suffrage universel deviendra une transaction, un commerce de détail même. Les droits des citoyens se retrouveront ainsi bafoués. La déresponsabilisation collective deviendra le corollaire d’une dépolitisation brutalement imposée par les régimes totalitaires. La psychose s’installera graduellement et durablement dans toutes les sphères de la société haïtienne.

Alin Louis Hall

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