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Covid-19, déglobalisation, replis nationaux et nouveau rôle d'Haïti
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- Publié le dimanche 19 avril 2020 15:33
Par Jean Garry Denis --- Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) déclarait que l’épidémie Covid-19 dont les débuts dévastateurs constatés en Chine en décembre 2019 passait désormais au stade de pandémie. Les mesures de protection contre l’expansion de ce virus auront conduit non seulement à un changement de comportement des citoyens dans le monde, mais au niveau géopolitique à des réactions de panique de la part des Etats bouleversant l’ordre mondial de la Globalisation.
Le néologisme en vogue pour expliquer ces turbulences est la «Déglobalisation» par opposition à la «Globalisation» qui constitue les données du monde contemporain. Elle détermine les paramètres des grands enjeux des luttes pour la puissance dans la géopolitique mondiale. Pas un seul domaine d’activités ne lui a échappé. Elle a atteint la quasi-totalité de la vie en société.
Dans l’histoire des relations internationales, la Globalisation a modifié les orientations traditionnelles de l’État-Nation en vigueur depuis la signature en 1648 du Traité de Westphalie à la fin de la Guerre de Trente Ans entre les puissances européennes. Le paradigme wetsphalien a consacré l’hégémonie et la prééminence de l’État-Nation sur les autres acteurs de ce système des relations internationales comme l’église qui avait joué un rôle déterminant avant le Traité de Westphalie.
Après la Seconde Guerre mondiale, le paradigme westphalien a commencé à subir de profondes mutations avec la création des institutions Bretton Woods, une intensification des échanges et une plus grande interdépendance des États. Joseph Nye et Robert Keohane ont formulé les bases théoriques de ce changement dans leurs travaux sur le Transnationalisme et l’interdépendance complexe durant la décade des années 70. Après la tombée du mur de Berlin et l’essor de l’internet au début des années 90, le phénomène d’internationalisation et d’interdépendance a pris un saut qualitatif vers la Globalisation. En ce sens, Sergio Boisier de la Commission Economique pour l’Amérique Latine (CEPAL) parle de la mort de la géographie et des frontières.
Dans la Globalisation, le statut principal dévolu à Haïti est l’humanitaire, et ce dans une logique de survie. Le développement à travers de saines politiques publiques et d’une gouvernance souverainement responsable lui est encore systématiquement refusée. Les faits suivants peuvent corroborer cette affirmation :
1. Les pressions de l’administration Clinton en 1996 pour la libéralisation des marchés ont mis en faillite les producteurs de riz de l’Artibonite au profit de ceux de l’Arkansas. Dans ses aveux, Bill Clinton dit toujours regretter l’adoption de cette mesure.
2. La gestion des fonds de reconstruction après le séisme du 12 janvier 2010 par l’équipe du président Clinton a été un fiasco total. Aucun projet porteur ne s’est réalisé à travers ce fonds estimé à plus de 10 milliards de dollars.
3. L’élection dans des conditions irrégulières d’un vil et vulgaire personnage pour occuper la fonction présidentielle en 2011 a été en fait imposée par la Diplomatie américaine. Leurs objectifs consistaient à saper les velléités d’une gouvernance responsable après le séisme du 12 janvier 2010, car il fallait maintenir et renforcer la dynamique humanitaire en cours.
Haïti, Déglobalisation, Résurrection de la Géographie et des Frontières
Certaines tendances allaient à contrecourant de la globalisation ambiante. D’une part, une anti-globalisation altermondialiste des secteurs de gauche pour la plupart qui dénonçait les déviations d’un capitalisme sauvage, inéquitable et ultralibéral. D’autre part, une anti-globalisation forgée par un nationalisme aux idéologies fascistes des secteurs d’extrême droite promouvant la haine des étrangers, les replis nationaux et le refus de tout multilatéralisme financier, commercial ou diplomatique.
L’érection du fameux mur de Trump, contrairement au symbolisme de la chute du mur de Berlin en 1989 et les discours aux élans racistes, est une illustration parfaite de ce nationalisme anti-globalisation. La sortie du Royaume-Uni de l’Europe communautaire lors du référendum du 23 juin 2016 et les mesures protectionnistes du président Trump contre le multilatéralisme constituent les symboles forts de l’anti-globalisation.
Généralement ces diverses expressions anti-globalisation n’inquiétaient pas tellement la Globalisation et dans un certain sens ont été très marginales. Les échanges se sont intensifiés à un niveau sans précédent et les États sont devenus beaucoup plus dépendants l’un de l’autre. Aujourd’hui, le Covid- 19 dont l’expansion est le corollaire de la Globalisation constitue une menace réelle contre cette même Globalisation. Les réactions vont au-delà du simple cadre de protection sanitaire pour se confiner dans des replis nationaux et embrasser quelquefois des pratiques xénophobes. Malgré les efforts d’ouverture de certains pays pour renouer avec la coopération internationale, les pratiques nationalistes conformeront le nouveau cadre de l’architecture mondiale et conformeront la nouvelle norme des relations internationales post-pandémiques.
Le rôle d’Haïti dans l’ère POST Covid-19 :
Pour ne pas disparaître et surtout maintenir l’aventure de l’espèce haïtienne dans le concert des nations, Haïti doit nécessairement s’assumer, se refonder et rompre avec la dynamique humanitaire du sous-développement durable. Dans ce cas, il est fondamental de revisiter l’histoire pour puiser dans notre culture, les forces et les énergies positives qui nous ont permis de vaincre le système d’oppression esclavagiste de plus de quatre siècles et édifier la Première République victorieuse de la seule révolution d’esclaves dans toute l’histoire de l’humanité.
Pour s’affranchir de l’enfer de l’esclavage, nos ancêtres n’ont eu d’autre recours que de mobiliser leurs propres énergies, car un retour dans l’alma mater africain était pratiquement impossible. De même aujourd’hui, les réponses nationalistes au Covid-19 qui se caractérisent par la barricadisation des frontières ne laisseront aucune autre alternative au peuple haïtien que d’utiliser les mêmes stratégies de résistance de la révolution de 1804. Dans ce cadre, les élites devront jeter les bases d’un État souverain, fort et responsable, pour s’adapter à une nouvelle pédagogie de responsabilisation de la gestion de la chose publique articulée autour de ces principaux axes stratégiques suivants :
1- Redéfinir la diplomatie
Haïti doit développer une diplomatie à la hauteur de son passé, de son histoire et de ses richesses culturelles. Cette diplomatie doit cesser d’être le laquais des objectifs inavoués de l’Oncle Sam et de quelques institutions internationales. Haïti devra déterminer souverainement ses partenaires et l’orientation de sa diplomatie en fonction de ses intérêts nationaux dans la géopolitique mondiale.
2- Mettre en branle un nouveau cadre de coopération internationale
Haïti doit changer le paradigme humanitaire de son système de coopération pour favoriser les grandes valeurs de solidarité internationale. Sa coopération devra placer au centre des facteurs de développement durable comme l’éducation, la culture, la santé et l’industrie, etc. Haïti a été un pionnier de la solidarité internationale au lendemain de son indépendance pour exporter ses valeurs de liberté aux peuples opprimés du monde entier.
3- Relancer la production nationale
Les échanges internationaux seront soumis à beaucoup plus de barrières non tarifaires ??? Il faudra un plan clair pour relancer la production nationale. Une politique de substitution à l’importation s’impose dans des secteurs vitaux comme la santé, l’alimentation, l’énergie faisant partie du système de sécurité nationale. Ces secteurs constitueront des attributs de souveraineté importants dans la mission du nouvel État. Selon le Professeur Jean-Rony M. André : « La pharmacopée médicinale haïtienne détient des propriétés virucides qui pourraient étonner le monde en ce temps de COVID-19 », une piste pour la production nationale.
4- Promouvoir la gouvernance électronique
Les Chinois ont démontré l’efficacité de la gouvernance électronique à travers le réseau 5G dans la mise en place des mesures de quarantaine contre le Covid-19. De plus, les rapports sociaux seront désormais modifiés et les mesures de distanciation sociale seront les nouvelles normes. L’État haïtien devra inciter la réforme du secteur des télécommunications, promouvoir l’inclusion digitale en vue d’une meilleure insertion sociale et économique.
5- Assumer son identité et sa culture
On ne peut atteindre le développement en rejetant sa culture et son identité, car le développement est un processus endogène. La langue, la religion, l’histoire, les mythes, l’organisation de notre système politique et éducatif sont l’émanation de notre culture. Selon Cheik Antha Diop, il est difficile d’aspirer au développement en puisant dans les cultures d’emprunt. Les performances économiques de la Chine et plusieurs pays africains constituent des exemples concrets de cette affirmation. Le nouvel État à construire devra mettre l’accent sur l’apport de la culture dans le Développement.
Conclusion :
Au-delà de cette crise sanitaire que vit le monde, c'est le système libéral capitaliste qui est mis en déroute par la pandémie. Ce système qui exclut l'écrasante majorité de la population mondiale par la marchandisation de la vie a atteint son apogée et représente une menace même pour la survie de l'humanité. Un nouveau monde est en gestation. À coup sûr, il mettra l'emphase sur la capacité de chaque territoire et ses populations à se prendre en charge. Dans ce cadre, Haïti a deux options : s’adapter, se refonder pour se frayer un chemin ; ou disparaître.
Jean Garry Denis
Directeur Exécutif
Institut Haïtien Observatoire Politiques Publiques (INHOPP)
publié: par Le Nouvelliste 2020-04-17
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