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Leslie Pean: Intensifier le mouvement populaire de résistance (3 de 3)
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- Publié le dimanche 6 décembre 2015 00:36
Par Leslie Péan, 2 décembre 2015 --- Le gouvernement de Martelly a rejeté la résolution du Sénat demandant un moratorium sur le développement des mines d’or et a décidé de neutraliser le Grand Corps. En effet, les élections pour le renouvellement du tiers du Sénat qui devaient avoir lieu en 2012 et 2014 n’ont pas été organisées. Ainsi le Grand Corps a perdu deux tiers de ses membres et n’est pas opérationnel. Les bandi legal ont les mains libres pour avaler férocement les ressources minières. Tenant compte que le temps de développement d’une mine d’or est d’une moyenne de vingt (20) ans, la mafia prend toutes les dispositions pour garder le pouvoir pendant 50 ans afin de pouvoir exercer une voracité sans contrainte.
L’exploitation de l’or exige des réformes fondamentales dans la gouvernance
Le manteau d’or qui recouvre la pauvre Haïti est connu depuis 1972. À partir de cette année, les conditions financières sont créées pour l’exploitation des gisements. En effet, d’un part, le prix de l’or fixé à 35 dollars l’once de 1900 à 1970, a commencé à augmenter avec la fin de l’étalon-or (gold exchange standard). Craignant que l’augmentation de la dette extérieure américaine (causée par la guerre du Vietnam) n’aboutisse à une trop grande diminution du stock d’or américain, le 15 août 1971, le président américain Nixon met fin à la convertibilité du dollar en or. L’interdiction faite par le Président Roosevelt aux citoyens américains de posséder l’or qui remontait à 1933, est levée en 1974. L’Executive Order 6102 de 1933 et le Gold Reserve Act de 1934 sont abrogés et les Américains peuvent posséder de l’or individuellement.
D’autre part, les études du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) réalisées en 1972 révèlent la présence d’or dans le sous-sol haïtien. Les mines d’or deviennent encore plus rentables avec la hausse du prix de l’or qui ne cesse d’augmenter. L’once d’or a atteint le sommet de 1 745 dollars le 1er octobre 2012 et est aujourd’hui fixé à 1 064 dollars le 30 novembre 2015, soit plus de 30 fois sa valeur en 1970. La multiplication du prix de l’or décuple la rentabilité des investissements dans le secteur minier. D’où la ruée vers l’or en Haïti et l’engouement des investisseurs pour cette « valeur refuge » dont la production est limitée par sa rareté.
La découverte de mines d’or dans les localités de Morne Bassa, Morne Pelé, Limbé, Roche Plate augure théoriquement un meilleur destin pour les Haïtiens s’ils sont en mesure de combattre la corruption et de créer un environnement permettant une répartition égalitaire de la richesse générée. Or justement, le processus est vicié et corrompu à la base. D’abord, il n’existe aucune transparence dans le mécanisme d’octroi des permis d’exploitation. Ensuite, la capacité de contrôle de l’État haïtien est inexistante. Enfin, l’État marron est un obstacle en soi à toute gestion rationnelle des affaires publiques et privées.
Les cadres haïtiens ayant une connaissance des dossiers miniers et financiers sont vite recrutés par les compagnies minières. C’est le cas avec la compagnie minière Newmont Ventures Limited qui recrute comme consultant Ronald Baudin[i], ancien ministre des Finances, ou de la compagnie VCS Mining qui nomme Jean-Max Bellerive, ancien ministre de la Planification et ancien Premier Ministre, à son conseil d’Administration en 2013. Selon le contrat d’exploration obtenu en Avril 2011, VCS Mining paie à l’État haïtien le montant de sept mille (7 000) dollars chaque année. Une pitance !
En octroyant des permis d’exploitation sans la moindre transparence, les bandi legal facilitent l’exploitation éhontée des paysans dont les terres sont achetées pour des sommes dérisoires par des hommes d’affaire haïtiens et étrangers conscients du minerai d’or dans leur sous-sol. Des terrains ont été achetés pour seulement 30 dollars US[ii]. De plus, les bandi legal mettent en danger l’environnement. La crainte de catastrophes écologiques est à l’horizon avec l’utilisation de produits toxiques par les compagnies minières. Comme le rapporte le journaliste Jacob Kushner, « L'exploitation minière est notoirement toxique, et Newmont - le plus grand investisseur dans le secteur minier en Haïti a un piètre bilan: Un déversement de cyanure en 2010 dans sa mine d'or au Ghana a tué des poissons et empoisonné l'approvisionnement en eau potable de la localité; Newmont a accepté de payer le gouvernement ghanéen 5 millions de dollars $ pour avoir omis d'informer les responsables de la marée noire dans les délais impartis[iii]. »
Le refus de transparence
En ce sens, Stuart M. Levit, expert américain en développement minier et environnemental, a formulé des recommandations strictes en septembre 2013 dans son rapport intitulé Mining in Haiti: Review of Haitian Capacity and Preparedness (L’exploitation minière en Haïti: Étude de la capacité locale et du niveau haïtien de préparation. Ce rapport a été commandité par l’ONG OXFAM. Offrant des directives consciencieuses et claires, Stuart M. Levit écrit : « Haïti doit établir sa capacité à réguler et réglementer l’exploitation des ressources minières sur son territoire, en plaçant la protection de la santé humaine et la préservation de l’environnement au centre de ses préoccupations[iv].» L’ordre de mission de Stuart M. Levit, loin d’être lapidaire, met le doigt sur un point sensible : l’État haïtien. Nous avons longuement parlé de cet État marron qui ne peut ni réguler ni réglementer[v].
L’établissement de cette capacité exige des réformes fondamentales dans la gouvernance d’Haïti. On retourne à la case départ et au blocage essentiel qui affecte le développement national d’Haïti, ruinée par deux siècles de gabegie et de refus de transparence dans la gestion des affaires publiques. Selon OXFAM, « Il existe peu, pour ne pas dire pas d’indicateurs prouvant que le système de gestion des finances publiques d’Haïti a la capacité de gérer efficacement les revenus attendus de l’exploitation minière[vi]. »
Le refus de transparence est manifeste dans le gouvernement de Martelly qui a émis des permis d’exploitation en décembre 2012 dans l’opacité la plus totale aux compagnies américaine (VCS Mining) et canadienne (Majescor). Martelly a nommé Ludner Remarais, directeur général du Bureau des mines et de l’énergie (Bme) en mai 2012. Son prédécesseur Dieuseul Anglade a tout simplement été révoqué. Il ne voulait pas signer un contrat d’exploration présenté par Newmont Ventures Limited permettant à cette dernière de déterminer elle-même, sans limites, ses coûts d’opération[vii]. Cas classique « d’information asymétrique » étudié par Jean Tirole[viii], Prix Nobel d’Économie en 2014.
Revisiter la stratégie de lutte contre les bandi legal
L'heure est à une autre étape dans la lutte du peuple haïtien pour reconquérir sa dignité et son intégrité. La communauté internationale doit être confrontée en première ligne dans le combat contre la saloperie, son enfant, qu'elle veut continuer à imposer au peuple haïtien. Elle doit être confrontée, comme le dit l’éditorial du Miami Herald du 2 décembre 2015 pour « assurer l’intégrité des élections d’Haïti ». Les manifestations sont nécessaires devant les missions diplomatiques et les ambassades qui sont les complices des trafiquants de cocaïne, kidnappeurs et autres assassins qu’elles soutiennent par des élections frauduleuses. L’amalgame insupportable encouragé par les diplomates accrédités en Haïti ainsi que leurs patrons au Département d'État, au Quai d'Orsay, à Ottawa et à Bruxelles indique en clair qu’ils encouragent la mascarade et la bêtise en faisant semblent de chercher une solution. Nos aïeux qui ont fait 1804 ne l'ont pas fait pour qu'Haïti se fasse ridiculiser par un groupe de dégénérés qui se bombent le torse au pouvoir.
En tant qu'êtres humains, les Haïtiens ont un droit de vote qui doit être respecté. L'acharnement de la communauté internationale à ne pas prendre en considération et avec des égards le vote populaire est une insulte. Face à cette catastrophe, la voix de la rue doit être entendue. C’est le moment de signifier au reste du monde que les dégâts ne sont pas la destinée haïtienne. Face aux bandi legal qui n’hésitent pas à tirer à bout portant sur les manifestants, affichant ainsi leur cruauté et leur déshumanisation, les démocrates et progressistes doivent exprimer leur dégoût par des protestations dans les rues.
Haïti est confrontée à ce que l’historienne Sarah Chayes[ix] nomme des « voleurs d'État » professionnels qui ne reculent devant aucune corruption pour s'accaparer du pouvoir politique. Les mascarades électorales du 9 août et du 25 octobre 2015 le prouvent amplement. Pour ces bandi legal, la dignité et l'intégrité n'existent pas. La vie se résume à l'humiliation et à la servitude permanentes. La victoire déjà gagnée par le G8 et Fanmi Lavalas réside dans leur capacité de résistance face à toutes les manœuvres des corrompus des milieux d'affaire et de la communauté internationale pour faire accepter des pratiques qui relèvent de la criminalité. La dimension spirituelle de ce combat est le plus bel héritage qu’ils transmettent à la jeunesse et aux nouvelles générations.
Le G8 se doit de réaliser que la plus grande entrave à l’épanouissement du peuple haïtien est le manque de caractère que les longues années de dictature ont infligé à chacun de nous pour pouvoir survivre. Nous souffrons d’un mal terrible qui se traduit par le « pito nou lèd nou la » (vaux mieux être laid mais vivant). Dans la situation actuelle, la résistance commande de savoir perdre deux doigts aujourd’hui au lieu de quatre demain. On ne saurait aller à des élections au deuxième tour avec une institution aussi pourrie que l’actuel CEP. Encore moins avec un gouvernement de transition dirigé par Evans Paul comme semble le vouloir le Core Group.
C’est surtout ce que doit assimiler le Forum du secteur privé en Haïti. Sans une once de malice. Les choses changent. Le yuan chinois (ou renminbi) devient la 5e monnaie mondiale et intègre le panier des droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds Monétaire international (FMI), au détriment de la livre sterling et de l’euro[x]. Les perspectives sombres, très sombres, dans le domaine monétaire international expliqueraient cette mesure sans précédent. Dans le système financier global, la monnaie chinoise a désormais plus de poids que le yen japonais et la livre anglaise.
Aujourd’hui, la raison capitaliste d’accumulation commande de prêter de l’argent à des taux d’intérêt nominaux négatifs. Le taux d’intérêt réel est la différence entre le taux d’intérêt nominal (inscrit dans les contrats de prêt) et le taux d’inflation. En inversant le sens de la rémunération entre le prêteur et l’emprunteur, le taux d’intérêt nominal négatif constitue un prélèvement sur les avoirs déposés par le prêteur auprès de la banque. C’est la politique monétaire appliquée par la Suisse de 1972 à 1978 pour diminuer les entrées de capitaux afin de ne pas pénaliser ses industries avec un franc suisse trop fort[xi]. Face à la déflation en 1990, le Japon a adopté la même politique des taux d’intérêt nominaux négatifs. Ce n’est plus le prêteur qui est payé un revenu (l’intérêt) par l’emprunteur, mais plutôt le contraire.
On le voit avec les obligations d'Etat américaines indexées sur l’inflation [US Treasury Inflation-Protected Securities] (TIPS). Les taux d’intérêt sont négatifs depuis mars 2011 pour les rendements des bons à échéance de remboursement de 5 ans (TIPS-5 ans) et depuis août et décembre 2011 pour ceux à échéance de 7 ans (TIPS-7 ans) et ceux à échéance de 10 ans (TIPS-10 ans). Les taux d’intérêt nominaux négatifs existent également depuis 2012 en France, en Allemagne, en Suède, en Suisse, au Danemark, et sont utilisés par la Banque Centrale Européenne (BCE). Près de 3 000 milliards de dollars d’actifs ont actuellement des taux d’intérêt nominaux négatifs. Les investisseurs préfèrent recevoir moins que le montant investi au lieu de risquer de tout perdre dans un avenir proche. Minimiser les pertes est le motto gagnant quand les perspectives de ruine sont probables. Le Forum du secteur Privé aurait intérêt à assimiler ce que les banques centrales ont compris : il faut savoir perdre pour relancer l’activité et gagner.
Généralement, nous réitérons nos recommandations formulées en janvier 2015, « Le mal Martelly ne peut produire aucun bien. La mobilisation dans les rues doit continuer, même s’il reste un jour avant le départ de Martelly[xii]. » Misons chemise et pantalon sur une accélération du mouvement populaire de résistance contre les bandi legal.
Historien - Economiste
Caricature: Kevens & Castro Desroches
[i] Jane Regan, « Haiti's rush for gold gives mining firms a free rein over the riches », The Guardian, UK. May 30, 2012.
[ii] Jacob Kushner, « Haïti Gold Rush », Guernica, August 15, 2012.
[iii] Ibid, Lire aussi « Mishandled Chemical Spill at Ahafo Gold Mine », Wikileaks, January 28, 2010.
[iv] Stuart M. Levit, Mining in Haiti: Review of Haitian Capacity and Preparedness, Center for Science in Public Participation (CSP2), Montana, USA, 2 Septembre 2013, p. 2. Un résumé en français peut être consulté dans L’exploitation minière en Haïti: Étude de la capacité et de réactivité haïtienne, Center for Science in Public Participation (CSP2), Montana, USA, 2013, p. 2.
[v] Leslie Péan, Haïti — Economie Politique de la Corruption, Tome 2, L'Etat marron (1870-1915), Paris, Editions Maisonneuve et Larose, 2005 ; Leslie Péan, Aux origines de l’État marron (1804-1860), Port-au-Prince, Editions de l’Université d'Etat d'Haïti, 2009, p. 154.
[vi] Oxfam, « Haïti n’est pas prête pour l’exploitation des mines », 20 août 2015. Lire aussi le rapport de Stuart M. Levit, Mining in Haiti: Review of Haitian Capacity and Preparedness, op. cit., p. 12 et 39.
[vii] Jacob Kushner, « Haïti’s Gold Rush », Guernica, August 15, 2012.
[viii] Jean-Jacques Laffont and Jean Tirole, A Theory of Incentives in Procurement and Regulation, MIT Press, 1993, p. 472-480.
[ix] Sarah Chayes, Thieves of State: Why Corruption Threatens Global Security, Norton, January 2014.
[x] Shawn Donnan and James Kynge, « Boosts for china as it joins the IMF elite », Financial Times, December 1, 2015.
[xi] Jeffrey Hooke, « Negative Nominal Interest Rates: Uncharted Waters », Committee for Economic Development, Arlington, Va, June 04, 2014
[xii] Leslie Péan, « Les dessous de l’opération “ bandit légal “ en Haïti » (2 de 2), AlterPresse, 27 janvier 2015.
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