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Haiti: Un sale temps qui revient au petit trot…

armee rose martelly2 touthaitiArmée rose de Michel Martelly

Par Robert Lodimus   ---     J’ai lu dans les journaux que des milliers d’Haïtiens envahissent tous les jours les rues des principales villes du pays. Ils exigent la démission des apprentis dictateurs portés frauduleusement au pouvoir le 28 novembre 2010 par l’Organisations des États Américains (OEA). Les manifestants en colère réclament également le départ des « casques rouges Â» de la Minustah placés sous l’autorité d’Anaidéia, déesse de la cruauté et de l’effronterie. Les nouvelles rapportent encore que la police locale, au service des ambassades étrangères, a tiré sur la population désarmée. Il y a eu des morts et des blessés par balles. Même par armes blanches. J’ai pensé immédiatement aux menaces voilées proférées par ce « mammouth Â» à l’ossature humaine qui, hier encore, osait traiter de « cafards Â» les militants et activistes politiques qui s’insurgent contre les « chantres Â» de la débauche aux crânes rasés et contre l’arrogance de l’occupation étrangère! Faudrait-il déjà parler du nouveau « Léon Mugesera Â» de la Caraïbe ? Les Hutus du Rwanda seraient-ils en train de circuler sur le territoire national? Des patriotes ne se sont-ils pas plaints aux micros des journalistes d’avoir été blessés à coups de machette par des inconnus fanatiques ? La présidence du néomacoutisme nourrirait-elle le dessein criminel de décapiter et de sectionner les bras des citoyens qui réclament son renvoi et la dissolution du gouvernement dirigé par l’imitateur raté de Molière ? Bon nombre d’entre nous savent que les mots « poignard » et « machette Â» riment avec les vers d’une époque de sombreur et de terreur. N’y a-t-il pas réellement de quoi s’inquiéter?

   La radio a annoncé que les jeunes universitaires continuent de fuir Haïti. Brésil vient de régulariser le statut de 40 000 immigrants haïtiens. La plupart ont interrompu leurs études supérieures pour échapper à la misère. Ils ont échangé les « bidonvilles Â» de Cité soleil, de La Saline, de La Fossette… contre les favelas du Rio de Janeiro : Rocinha, Cantagalo... Après le tremblement de terre, Sénégal, la patrie de Léopold Sédar Senghor, a accueilli une quantité considérable de sinistrés. Que sont-ils eux-mêmes devenus? Sur les trottoirs des mégapoles nord-américaines et européennes, une frange importante de l’intelligentsia haïtienne erre au gré des vents. Sans emploi décent. Sans revenu suffisant. Sans espoir de retour dans leur patrie. Le « Diable Â» a pris possession de la ville pour faire le « Mal Â».

Ma mémoire nage dans une mare de sang

Les puissantes silhouettes de l’horreur

Enveloppées dans leur tunique de malheur

Reviennent s’installer lentement

Devant les portes vitrées des haciendas

Et sous les fenêtres bancales des ajoupas

Le temps d’hier et d’aujourd’hui

Siffle son air triste et méchant

Le « passé Â» refuse de mourir

Il rebondit comme un serpent

Dans l’incertitude du « présent Â»

 Rien n’a changé sous le soleil de mon île

 J’attendais depuis midi sous le manglier. Assis sur un tronc d’arbre mort, je lisais le livre de Nicolas Gogol « Taras Bulba Â» que j’avais apporté avec moi. L’histoire est accrocheuse. Un Fils, Andrei qui trahit son père, Taras Bulba, rejette la cause de son peuple, les Cosaques zaporogues, pour une histoire de cÅ“ur avec Natalia, la fille du gouverneur de la Pologne, un pays ennemi. Le récit a été déjà porté au cinéma et je le trouvais passionnant. Le père n’a pas hésité à punir mortellement l’enfant indigne, en l’exécutant lui-même d’une balle au cÅ“ur. Quelle bonne leçon de patriotisme! Trahir sa patrie – je le crois bien – ne saurait avoir d’autre prix que celui-là.

   J’étais perdu dans ma lecture captivante, lorsque des bruits de pas ont arraché mes yeux de la page où l’auteur décrivait admirablement l’assaut final des Cosaques sous le commandement de Taras Bulba contre la ville polonaise assiégée… Le sympathique personnage m’a tapé légèrement à l’épaule et m’a tendu sa main que j’ai serrée avec précipitation.

   L’inquiétude se lisait sur son visage. J’ai longuement hésité avant de lui demander ce qui n’allait pas… Aux larges, quatre minuscules canots de pêche, de la dimension des bois fouillés dont se servaient les premiers habitants de l’île, les indiens aborigènes, louvoyaient sur les vagues agitées de la mer. Le vent se levait brusquement pour chasser au fur et à mesure l’air chaud apporté par le soleil de midi. Les misérables marins bouleversaient le fond de l’océan avec leurs fragiles filets qu’ils devaient remailler tous les soirs, au bord du littoral, avant chaque journée ou nuit de travail. La ficelle pourrissait au contact de l’eau salée, et les grosses prises se libéraient facilement de l’emprise des mailles du filet. On entendait au loin la chorale improvisée des courageux paludiers, constituée de femmes et d’hommes déguenillés, qui rangeaient les branches des mangliers dans les eaux stagnantes des marais salants. On aurait dit une chanson de Jacques Brel interprétée par une bande de gueux.

« Une île

Une île au large de l’amour

Posée sur l’autel de la mer

Satin couché sur le velours

Une île

Chaude comme la tendresse

Espérante comme un désert

Qu’un nuage de pluie caresse

Viens mon amour

Fuyons l’orage

Voici venu le temps de vivre

Voici venu le temps d’aimer… Â»

  Mais eux, cette cohorte de laissés-pour-compte, qui allaient revenir dans quelques semaines ramasser les cristaux de sel marin dans la boue verdâtre savaient que le mot bonheur ne se promène pas à découvert dans les ruelles étroites des bidonvilles de Raboteau, de Descahos, de La Tannerie, de Polcosse, enfin, de tous les endroits exécrables où les faucilles de la misère entaillent la chair de l’espoir et décapitent l’avenir. Ces journaliers et journalières des marais salants se diluaient dans la pauvreté comme le sel dans l’eau bouillante. Pourtant, ces masses squelettiques trouvaient encore le courage de chanter, de danser, de raconter des blagues, de s’esclaffer… Un cinéaste français m’a jeté un jour, comme un seau d’eau glacée, cette remarque en plein visage :

   «– Votre peuple est bizarre… Comment quelqu’un qui est réduit à sa plus simple expression, qui se trouve dans une situation sociale et économique gravement précaire, qui est couvert de haillons, qui dort dans la rue, qui bâille de faim et de fatigue, qui boit l’eau insalubre des fontaines publiques, qui marche sur des dizaines de kilomètres de distance, qui a la plante des pieds endolorie, brûlée par la chaleur que dégagent à midi les rues goudronnées, comment a-t-il encore la force de sourire…? Â»

   J’ai enjambé la barrière d’embarras pour faire remarquer à mon interlocuteur que je le trouvais contrarié. Préoccupé. Et surtout inquiet. Il n’avait pas cherché à nier …

   – Vous avez raison mon frère… Je ne dors presque plus la nuit. Je me sens un peu perdu… Mais pas découragé… Enfant, je rêvais de vivre dans un pays pareil à ceux que l’on voit dans les contes de fée, un monde fantasmagorique comme dans les dessins animés de Walt Disney, badigeonné de couleurs vives et gaies, un village où transpirent dans les maisons le bonheur, la gaieté, la fierté des êtres. Depuis 1957, le diable, ses suppôts et ses lutins se sont installés dans nos quartiers. Ils ont pris possession de nos villes. Ils règnent comme le pape Pie XII sur notre pays… Avec la complicité de nos persécuteurs traditionnels : les tisserands de la malfaisance. Professeurs, médecins, étudiants, avocats, journalistes, syndicalistes… croupissent en prison ou sont éparpillés çà et là dans le monde comme les juifs qui ont erré après la destruction de Jérusalem. Que valent tant de sacrifices humains pour fonder cette patrie qui, jadis, a fait trembler les puissances des continents, et qui, aujourd’hui, a honte de se regarder dans les miroirs de la civilisation qu’elle passe son temps à briser violemment, comme dans un film de Jean Cocteau, dans l’espoir d’échapper à la laideur de sa décadence? Que valent toutes ces manifestations de solidarité, de dignité, de fraternité, de courage, de respect, d’amour, de patriotisme, de générosité, de charité, d’entraide, de responsabilité, de compréhension, de sensibilité, d’honneur… qui ont glorieusement conduit cette nation sur les fonts baptismaux de l’indépendance, de la souveraineté, de la LIBERTÉ… ? Sommes-nous un agrégat d’individus ou une NATION ?

   J’ai senti les nÅ“uds d’une colère rageuse se resserrer sur la gorge du jeune homme. Je ne lui ai pas demandé davantage d’explications.

   Des nuages d’épouvante assombrissaient encore le ciel. Nous étions le 10 juin 1967. Deux jours après l’exécution spectaculaire et révoltante des « dix-neuf officiers duvaliéristes Â» à Fort Dimanche. Le « président à vie Â» venait de gifler pour la énième fois le peuple haïtien. Trois ans après l’assassinat en public de Marcel Numa (21 ans) et de Louis Drouin (32 ans), la perpétration du massacre des Jérémiens, le Fou avait récidivé dans l’affaire nébuleuse des militaires accusés de préparer un complot pour l’évincer de la présidence. Condamnés par une Cour martiale formée d’officiers corrompus, ils ont tous été fusillés en présence du dictateur qui a commandé en personne le peloton d’exécution… Quelques jours plus tard, « François le vampire Â» déclinait les noms et prénoms des défunts à la radio et répondait indécemment « absents Â» à leur place, pour se moquer et agacer les parents des victimes. Il gueulait de sa voix nasillarde: Â« Où sont-ils? Tous ont été passés par les armes… Â» Dans ma classe, il y avait un fils du colonel Charles Lemoine qui a figuré parmi les dix-neuf officiers jetés comme des animaux pestiférés dans une fosse commune creusée par un bulldozer dans les halliers de Fort Dimanche. Pour clôturer le spectacle d’horreur, le dinosaure des Antilles, le buveur de sang, le bricoleur de crimes, le caïman des marais, le coupeur de têtes, le scalpeur nauséeux, le collectionneur de cadavres, le mangeur de cervelle humaine, le sorcier cannibale, le serpent venimeux du désert… traitait de « lâches Â» ceux qui avaient pris le large, qui s’étaient mis à couvert dans les ambassades plus ou moins fiables afin de ne pas se faire épingler et exécuter comme leurs collègues.

   Dans le film « Quo Vadis ?» de Mervyn LeRoy, l’empereur Néron déclara ridiculement, presque les larmes aux yeux: Â« Voyez comme il est méchant, Pétrone, il a préféré se suicider au lieu de me laisser le plaisir de le tuer… Il disait pourtant qu’il était mon ami… Pétrone m’a trahi… Â»

   Abasourdi, dégoûté, apeuré par le carnaval des atrocités politiques, le pays tremblait et retenait son souffle avant la présentation du prochain spectacle d’horreur au palais de l’infamie.

       Avec l’affaire des dix-neuf officiers, le pays avait pris un coup de panique au visage. Les adultes n’osaient pas en parler à haute voix, bien que les stations de radio eussent retransmis les délires et les élucubrations en direct de l’assassin- président, vantant les bienfaits et théorisant sur les principes d’une « révolution bordélique Â». Un voisin nous apprenait que François Duvalier avait fait fusiller des hommes qui lui étaient pourtant fidèles et loyaux, et que dans les faits, il n’y avait aucun complot d’assassinat. C’est la mégalomanie, disait-il, qui exposait ce « Josef Mengele (1)» aux effets d’hallucinations maladives et qui le précipitait dans le gouffre de la psychopathie et de l’hystérie.

   Durant 29 années, le coin de terre des Haïtiens allait devenir le royaume de la corruption, de la misère, de la peur et de l’exode. Pris de frayeur, profondément inquiets, les parents cherchaient par tous les moyens à mettre leurs enfants à l’abri. Pour les protéger de Caligula, ils les envoyaient à l’étranger, une fois qu’ils avaient passé la dix-huitaine. Ceux qui avaient les moyens financiers adéquats passaient par les filières régulières : demande de visas d’étudiants auprès des ambassades, sollicitation de bourses d’études, application pour le statut de résident permanent en Amérique du Nord ou en Europe. Les adultes, les jeunes, les adolescents moins favorisés recherchaient des solutions à la portée des conditions de leur existence. Ils s’évadaient à bord d’embarcations de fortune, en espérant atteindre les côtes de la Floride… Nombreux sont ceux qui ont terminé le voyage dans la gorge des requins de l’Atlantique ou derrière les barbelés de Krome. Souvent la nuit, je revois les silhouettes de Clotaire, Raphaël, Charlie, Fernand, Nadine, Charité, Islande, Exantus, Rosemène…, tous, des jeunes gens du quartier qui se sont noyés dans l’océan, après le naufrage du voilier « Sauve qui peut Â» qui les transportait au gré du vent… Il n’y a ni gilets de sauvetage ni canots pneumatiques à bord de ces « bâtiments Â» artisanaux. Cette nuit-là, c’est la mère de Raphaël qui a réveillé toute la cité avec ses cris, ses hurlements et ses pleurs. Elle venait de recevoir la nouvelle de la noyade de son fils… Armand, le rescapé, a raconté qu’il avait tout tenté pour sauver son cousin. « Il faisait nuit, a-t-il expliqué, les forces commençaient à me manquer… Â» On a compris facilement la suite… Pour sauver sa peau, Armand n’a eu d’autre choix que d’abandonner à son triste sort le malheureux qui ne savait pas nager... Le lendemain, les riverains ont dénombré environ une centaine d’individus, surtout des jeunes âgés entre 15 et 20 ans, qui avaient rencontré la mort dans cette aventure insensée… Et, ce qui demeure frustrant, rien de tout cela n’a changé sur la terre de cette République dépucelée dans son berceau. Dès sa naissance.

   C’est absurde – j’emprunte le mot à Camus – de faire partie, contre sa volonté, de la distribution d’une pièce théâtrale qui met en scène « l’absurdité Â» paroxystique. Et drogué par la peur, chacun se résigne à jouer son rôle dans la perfection, à interpréter le personnage qui lui est imposé, sans manifester le moindre sentiment de réticence voire de révolte, sans laisser transpirer le moindre élan de désapprobation voire de rejet… N’est-ce pas vraiment douloureux et avilissant pour l’individu de se sentir, en qualité de victime, condamné à exécuter pour longtemps encore, et à genoux, la contredanse de l’impuissance et de la faiblesse devant le « trône insultant Â» de l’absurde…? La cécité et la surdité psychologiques, le mutisme peureux, voir sans voir, écouter sans entendre, voilà ce qui a permis à quelques uns d’entre nous de se soustraire abjectement à la fureur explosive du führer…

   Au pays dont je vous parle, les parents apprenaient aux enfants dès leur jeune âge à courir, à grimper dans les arbres, à sauter les murs et les barrières, à traverser les fleuves et les mers à la nage, à se terrer comme des lapins, à trouver leur chemin dans l’obscurité, à survivre dans l’hostilité des forêts… afin qu’ils arrivassent, le cas échéant, à échapper aux dents de la mort et aux griffes de la torture.

Mais qu’importe…?

Qu’importe compagnon de la Liberté?

Et si les pas de la militance

Devront te mener

Au poteau d’exécution

Ou dans les culs-de-basse-fosse ténébreux,

Tu entendras,

Tout le long du funeste chemin,

La voix solidaire des camarades

Qui chantent :

« Ce n’est qu’un au revoir… Â»

 Qu’importe…?

Qu’importe compagnon de la Justice?

Et si « le train a sifflé trois fois Â»,

Marche crânement

À la rencontre de ton destin.

Défaite ou victoire :

C’est par l’acte que viendra

Le verdict de l’histoire...

 

Qu’importe…?

Qu’importe ma sœur?

Qu’importe mon frère?

Et si tu dois crever au « Fort de Joux Â»,

À « Guantanamo Â»

Ou dans une quelconque prison secrète,

Pars en « paix Â» et sans « regret Â»!

Le combat des pauvres

Est comme le « flambeau olympique Â».

Il voyage de main en main,

Pour arriver à destination…

    – Mon frère, reprend mon interlocuteur, Olympe nous a envoyés les dieux les plus méchants, les plus terribles pour nous persécuter. Cependant, nous sommes également, comme Hercule et Persée, fils de divinité, mais des divinités qui incarnent la sagesse et la raison… Nous sommes des descendants d’Athéna ou de Minerve, d’Ogou Ferraille ou de Saint-Jacques le Majeur, nous vaincrons … J’ai entendu cette réplique dans le film « Les raisins de la colère Â» : « Ils ne son pas des êtres humains. Un être humain n’accepterait pas d’être si misérable. Â» C’est un vieux pasteur protestant du nom de Tassy qui opinait de la sorte, en regardant des centaines de paysans contraints d’abandonner leurs terres durant la récession de 1929 aux États-Unis, et qui tombent dans le nomadisme et la pauvreté la plus outrageante. Celui qui est déjà en prison peut-il avoir peur de se faire enfermer?

   – Mais qu’est-ce qu’il faut faire, d’après vous, pour en finir avec l’horreur, ai-je ajouté comme question?

   – Rendu à ce point de déclin, n’importe quel pays aurait déjà explosé…!

   – Sauf le nôtre….! Mais pourquoi?

     – La réponse peut paraître insultante pour certains, je le reconnais. Cependant, elle n’est pas trop loin de notre vérité historique. Ce n’est pas la misère qui poussera les Haïtiens à la révolte et à l’insoumission. Ils sont arrivés comme des parias sur cette île et ils y ont vécu comme tels. Ils sont habitués à la famine et au froid. Ils ont l’habitude de dormir à la belle étoile. De commencer à sarcler dès l’aube, pour terminer au crépuscule, en prenant pour seul repas, un verre d’eau et un morceau de cassave à base de manioc. Les gens de notre peuple ont la peau dure. Dire que, même dans ces conditions-là, il y en a qui vivent jusqu’à cent ans! Ils sont incapables de revendiquer d’autres conditions de vie. On ne peut pas avoir envie de quelque chose que l’on ignore. Ce qu’il faut faire, c’est leur apprendre qu’il y a d’autres façons de vivre, qu’il ne peut pas y avoir plusieurs catégories d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards dans un pays, sur la planète, que ce n’est pas normal de suer sang et eau pour une croûte de pain sans mie et un gobelet d’eau insalubre, infectée de germes de choléra. Si l’on veut changer la situation économique déplorable des ouvriers et ouvrières,   des travailleurs et travailleuses, il faut faire comme Cuba : mener une lutte farouche contre l’analphabétisme, l’ignorance, l’inconscience qui génèrent la désolidarisation et l’individualisme. C’est cette réalité regrettable qui constitue toute la force des dictateurs qui abusent de leur pouvoir politique. Il est temps de faire comprendre que nous sommes le peuple! Nous passons tout notre temps à prier pour les morts. Les morts n’ont pas besoin de prière. Car ils sont bien, là où ils sont allés. Il faut penser plutôt aux vivants. Encore dans « Les raisins de la colère Â», le vieux Joad a répandu une poignée de terre sur sa poitrine et il a trépassé. Son cÅ“ur s’est arrêté de battre immédiatement et son visage fatigué est passé de l’inquiétude éphémère à la sérénité perpétuelle. Il avait juré de ne pas quitter sa terre. Foudroyé par l’apoplexie, il a tenu sa promesse envers lui-même… En pensant à l’ouvrage de John Steinbeck, un chant de patriotisme se profile dans mon cerveau.

Nous sommes la patrie;

Nous sommes éternels.

Qu’importe si elle est poussiéreuse,

Sèche et infertile,

La terre qui nous supporte?

Elle est notre mère nourricière,

Notre joie et notre force.

Qu’importe si elle est,

Comme ils disent,

La plus pauvre des Amériques?

Elle est notre terre…

Nous n’en avons pas d’autre.

Lorsque nous partons ailleurs,

Sous la pluie battante,

Chassés par la misère,

L’insécurité et la méchanceté,

Nous l’emportons toujours

Dans nos cœurs blessés.

Elle est notre terre,

Notre souffle

Et notre avenir.

Elle est notre terre,

La pionnière de la « LIBERTɠ»

En Amérique…

   L’odeur forte et fraîche de la mer transportée par le vent tripotait mes narines. Envahissait ma gorge. Et se logeait dans mes poumons. Je continuais d’écouter l’homme qui déroulait son discours sur le capital, la surexploitation des pauvres, le crime contre l’humanité, la mortalité infantile et maternelle, le paupérisme…; mais aussi sur la prise de conscience, la lutte collective, la résilience, la victoire finale des prolétaires, le rétablissement de la dignité humaine… Et je comprenais facilement que tous les ingrédients pour cuisiner une « insurrection populaire » en Haïti sont déjà déposés soigneusement, depuis longtemps, sur les comptoirs des frustrations… Il ne manque que les chefs cuisiniers…!

     Le 7 février 1986, les Haïtiens n’ont pas trouvé leur Pancho Villa, leur Emiliano Zapata, leur Antonio José Sucre, leur Jean-Jacques Dessalines, leur Toussaint Louverture, leur Luis Carlos Prestes, leur Père Hidalgo, Leur Fidel Castro… Le sang n’a pas arrêté de couler sur la poitrine de ce pays. Et comme Jacques Prévert, on se demande où va tout ce sang?

« â€¦ Et le sang n’arrête pas de couler…

Où s’en va-t-il tout ce sang répandu

le sang des meurtres… le sang des guerres…

le sang de la misère…

et le sang des hommes torturés dans les prisons… Â»

                                       (Jacques Prévert, Chanson dans le sang)

 

   Puis est venu le temps de l’euphorie. Celui du 16 décembre 1990. L’hémorragie n’est pas stoppée. La mer de la Caraïbe continue de faire bombance avec la chair et le sang des boat people haïtiens. Car l’« ancien temps Â» n’avait pas fini de mourir. L’opération de « déracinement de l’ivraie Â» ne fut pas complétée. Laissé pour mort le 7 février 1986, le « Démon Â» s’est métamorphosé comme une chenille. Il a pu reprendre son rang à la faveur de la magouille électorale de novembre 2010, avec l’aide des puissances occidentales et avec la complicité de l’ex-président René Préval.

Seule l’« annulation Â» des scrutins frauduleux du 9 août et du 25 novembre 2015, seule la « révocation Â» sans délai du régime politique des « kale tèt Â», seule la mise en place d’un « gouvernement de transition révolutionnaire Â» permettront au peuple haïtien de se réengager sur le chemin qui conduit à la « Liberté Â».

Robert Lodimus

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 Référence

1.- Josef Mengele, officier nazi, médecin dans le camp d’Auschwitz durant la seconde guerre mondiale (1939 – 1945).