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La politique d’humiliation de Martelly (2 de 3)
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- Publié le jeudi 10 septembre 2015 01:48
Par Leslie Péan, 5 septembre 2015 --- Dès le début du 20e siècle, Haïti inaugure une tradition malsaine où trois condamnés du procès de la Consolidation deviennent présidents de la République. Cette tendance molle s’est durcie avec l’armée organisant des élections frauduleuses depuis l’occupation américaine. Le mal s’aggrave encore au 21e siècle avec les « bandi legal » au pouvoir érigeant leur pouvoir sur le socle de l’humiliation consacrée dans la mascarade électorale de 2010. La fraude est orchestrée par les forces d’occupation car, comme le précise Bertrand Badie, « l’humiliation est devenue une propriété structurelle du système international[i]. » Scénario repris le 9 août 2015. Le Conseil Electoral Provisoire (CEP) déclare coupables quelques boucs émissaires pour les actes de brigandages dénoncés. Ainsi, sans état d’âme, le CEP permet aux centaines de délinquants Tèt Kale, armés de T65, Uzi, Fal, 9 millimètres et autres armes de guerre, de s’échapper et de poursuivre leurs méfaits en toute impunité.
Le complexe d'infériorité d’un incompétent
L’ambassade américaine déclare : « Il y a eu des imperfections mais dans l’ensemble les élections sont acceptables. » Les « bandi legal » ne sont pas inquiétés. Michel Martelly continue de dire des bêtises, d’énoncer des joyeusetés, incapable de la réserve que lui impose sa fonction. Dépassant toutes les limites, il dit à la population de ne pas voter « pou yon ban nèg pòv » (candidats sans moyens financiers). En faisant éclater sa vulgarité à la moindre occasion, Martelly contraint ses collaborateurs et subalternes à l’avilissement s’ils veulent garder leurs postes. La honte ne se manifeste pas et est intériorisée par les acteurs politiques. Rares sont ceux qui osent lui répondre du tac au tac. Même ceux que Martelly n’ose encore avilir personnellement le sont en pratique, car ils sont obligés d’avaler ses avanies. Solidarité ministérielle ou devoir de réserve, qui sait ?
En participant au gouvernement, ils n’ont pu le désavouer jusqu’à ce que la goutte d’eau de Miragoâne ait fait déverser le vase et porter le parti Fusion à retirer ses représentants du gouvernement. Le monde desséché de l’indignité s’affirme avec le triomphe du complexe d'infériorité de l’esclave qui applaudit aux exactions de son maître. En plein dans l’engrenage du ressentiment, Martelly estime indésirables tous les gens possédant un savoir confirmé. Et il utilise l’humiliation pour les forcer à démissionner ou à devenir des « poussières d’hommes »[ii]. Ces observations nous amènent à conclure qu’il s’agit d’une vision de la gouvernance fondée sur l’humiliation des cadres et autres gens plus compétents que lui.
La politique d’humiliation de Martelly commence par l’habitude d’arriver en retard aux rencontres auxquelles il est attendu. Par exemple, quatre heures de retard à la célébration de la fête nationale à l’ambassade de France le 14 juillet 2012. Il a appris sa leçon de François Duvalier qui lui aussi faisait faire le pied de grue parfois plus de dix heures à ses visiteurs. Associé à nombre de bandits, Martelly s’est lui-même décerné le titre de « bandi legal ». Ses gesticulations ordurières ne manquent pas. Son dernier geste à l’endroit de Rotchild François jr (Ministre de la communication) qu’il a qualifié de bluffeur et menteur en direct sur scène et à la télévision, renvoie à des pratiques de délinquance qui accablent la société haïtienne.
Le choix entre la peste et le choléra ne conduit nulle part
Ce n’est pas une question de manger et de boire, choses dont on peut se passer deux jours et parfois trois. Le mal haïtien est dans l’air qu’on respire et dont on ne peut se séparer même quelques minutes. La pollution est telle qu’elle affecte les meilleurs esprits et oblige à retenir son souffle lorsqu’on aborde certains sujets, tant elle est grave. Cette pollution des esprits conduit aux choix kafkaïens entre mulâtrisme et noirisme, entre des noirs mulâtristes (Jean-Claude Duvalier, René Préval) et des mulâtres noiristes (Frédéric Duvigneau, Maurice Flambert). Entre la peste et le choléra, le choix ne conduit nulle part ! Ça pue, dit Richard Morse[iii], cousin de Martelly. Les assassins commettent des crimes pendant que l’intelligentsia se perd en questions nébuleuses, se demandant si les gens sont tués de face ou de dos. Enfin il s’en trouve qui vont jusqu’à affirmer que seule la version du mort peut permettre d’élucider un meurtre.
La génération duvaliériste a grandi dans l’humiliation acceptée comme politique avec le ministre Jean Julmé clamant à la radio en 1966 : « jamais je ne trahirai mon maître ». Duvalier n’avait aucune retenue et a émasculé les Haïtiens pour se grandir. Il a infligé l’humiliation suprême à Haïti en imposant son cancre de fils de 19 ans comme président. Aujourd’hui la (dé) génération Tèt Kale va plus loin dans l’abject. Le député Luckner Noël de Ouanaminthe se met spontanément à genoux le 14 mai 2013 devant le président Martelly. La jeunesse assiste à la télévision à ce spectacle d’avilissement irrémédiable. Les autres personnages du régime font tout pour ressembler au chef suprême. Le régime Martelly n’est-il pas parvenu à instituer une esthétique du crane rasé au point que les rares qui gardent encore leurs cheveux étonnent, détonnent, et sont perçus comme des dissidents ?
On n’a pas besoin de confidences intimes pour parler du rapetissement des individus autour de Martelly qui, selon le Miami Herald, « est accusé de soulever, avec son style de gouvernance, la question très fragile en Haïti de classe et de couleur[iv]. » Convaincu de son magnétisme, il déclare au quotidien allemand Franfurter Allgemeine en octobre 2014 : « les gens ne font pas que m'écouter, ils font ce que je dis. Quand je leur dis " à droite " alors, ils vont à droite »[v]. Les cercles du pouvoir Tèt Kale fonctionnent dans une sorte de masochisme où les individus chagrinés se plaisent à être humiliés.
Le syndrome de Stockholm conduit à faire quotidiennement l’apologie de la bêtise. Le prestige n’existe plus et on se cramponne au pouvoir quelles que soient les avanies. On n’a jamais entendu Martelly humilier les bandi legal de teint clair qui l’entourent. À partir de la matrice coloniale de l’humiliation de l’homme noir, il envoie sa bave sur les enfants du peuple qu’il considère inférieurs et sans personnalité. Ainsi, il insulte cette courageuse femme de Miragoâne en lui disant : « "Pute ", "Trouve-toi un homme ... ", "Va te faire prendre derrière le mur …." »[vi].
Le système judiciaire ne fonctionne pas car, comme l’indique Robert Lodimus, après cette forfaiture à Miragoâne, Martelly aurait dû « être poursuivi pour injures graves, diffamation, violences verbales et harcèlement sexuel[vii]. » L'avilissement des caractères participe de la pratique de restavek multipliée à l'infini pour aboutir à une forme de domestication générale. Martelly s’amuse à avilir sa mère[viii], son épouse[ix], ses collaborateurs en désacralisant leur rêve d’être secrétaires d’État, ministres, députés ou sénateurs. Faute de coups de pied dans le derrière, il y va du revers de la manche, de la rigolade décomplexée et de l’impertinence inégalée. Sa façon de démasquer les marionnettes qui l’entourent le fait accumuler les pratiques d’avilissement et dévoile qu’il s’agit pour lui d’une technique de régulation de son pouvoir. (à suivre)
Historien - Economiste
[i] « Rencontre avec Bertrand Badie, professeur de Relations Internationales, au sujet de son dernier livre, "Le temps des Humiliés", Valentin Schmite et Nonfiction, « Bertrand Badie, penseur de l’humiliation », Slate.fr, 29 octobre 2014.
[ii] Leslie Péan, « Sale temps de "poussière d’hommes" », AlterPresse, 22 août 2015.
[iii] Richard Morse, cousin de Sweet Micky parle de Noirs Vs Mulâtres en Haïti, Sakapfèt, Décembre 2009.
[iv] Jacqueline Charles, « Five years after devastating earthquake, Haïti still struggle with old demons », Miami Herald, December 31, 2014.
[v] « Die Menschen hören mir nicht nur zu, sie machen, was ich sage - wenn ich sage, ,geht nach rechts‘, dann gehen sie nach rechts. » Eckart Lohse und Jochen Stahnke, « Der Mann der offenen Baustellen », Frankfurter Allgemeine, 29 octobre 2014.
[vi] Frantz Duval, « Notre ineffable premier bandit légal national injurie une femme seule », Le Nouvelliste, 30 juillet 2015.
[vii] Robert Lodimus, « Le règne des charognards », Radio Télévision Caraïbes, 2 août 2015.
[viii] « Men manman charony nan », déclarait-il à l’entrée de sa mère à un bal qu’il animait. Lire Leslie Péan, « La danse des quidams », AlterPresse, 23 octobre 2012.
[ix] « Pour la deuxième fois consécutive en un mois, le président Martelly a publiquement humilié sa femme en public. Devant un parterre d’habitués du Palais national, il a lancé des propos orduriers à l’encontre de sa belle- mère tout en alléguant que ce n’est pas Sophia qui l’a nommé président (kolangèt manman w, Se pat ou kit te nonmen m prezidan). Cette mise en garde a fait couler des larmes à la première dame, qui a reproché à son mari de l’avoir prise à parti en public. », Haïti-Observateur, 17-24 juillet 2013, p. 2.
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