Analyses & Opinions
Un défi trop grand pour Martelly et nos médias
- Détails
- Catégorie : Opinions
- Publié le mercredi 13 juin 2012 02:11
Dans un message défilant au bas de l'écran, les téléspectateurs de la Télévision nationale d'Haïti (TNH) ont appris vendredi que c'est grâce au président Michel Martelly que le peuple haïtien pourra visionner les matchs de l'Euro. Sur recommandation de la présidence, le droit exclusif détenu par la TNH s'étend à une brochette de stations de télévision qui peuvent, en captant les images de la TNH, servir leur clientèle. Ce ne sont pas les menaces maladroites du média d'Etat contre les stations de télévision contrevenantes qui inquiètent, mais la reprise d'une idée datant de 1974.
En 1974, Haïti participe pour la première fois de son histoire à une phase finale de la Coupe du monde de foot, en Allemagne, avec 15 autres équipes. L'Etat haïtien ne disposant pas encore de sa propre chaîne de télévision, c'est Télé-Haïti qui diffuse les trois matchs de l'équipe nationale. Les commentateurs soulignent que c'est grâce à la sollicitude du président à vie de la République que le peuple haïtien a la chance de voir en direct les rencontres. Quand Haïti fut éliminée, la sollicitude se poursuivit. Les téléspectateurs de la région métropolitaine purent regarder les principales rencontres jusqu'à la finale entre l'Allemagne et la Hollande. De Coupe du monde en Coupe du monde, la sollicitude du président à vie se poursuivit. La formule cessa de servir en 1986.
Et voilà que la TNH ressort l'esprit de ce cadeau présidentiel. Si en 1974 on pouvait faire croire que le président à vie avait le droit de disposer de l'argent public comme bon lui semble et comme le sien propre, est-ce encore le cas ? N'est-ce pas du budget de l'Etat que proviennent les fonds qui financent la retransmission de l'Euro ? Pourquoi ressuscite-t-on cet amalgame méphitique ?
Cela dit, le vrai problème des retransmissions, que nous les payions cher ou que nous les pirations allégrement, réside dans le fait que nous ne nous soucions pas de diffuser sur nos ondes nos compétitions nationales. Aucun sport, aucun championnat n'a l'attention des médias, l'appui des sponsors, la sollicitude présidentielle.
En 1974 et jusqu'en 1986, Télé-Haïti, sur sa seule chaîne en français - canal 2 -, diffusait tous les matchs de la Coupe Pradel, alors unique compétition de football de la région métropolitaine. Même un match Etoile VS Bacardi, équipes réputées faibles, avait droit, en prime time, au direct à la télévision. Les stations de radio avaient leur cabine au stade Sylvio Cator, retransmettaient toutes les rencontres en direct. Le stade se remplissait une ou deux fois par semaine pour des derbys et des chocs au sommet. Les différentes équipes avaient leurs fanatiques et leurs attaches dans des quartiers de la capitale.
Le football vivait une vie intense. Les championnats interscolaires, le championnat interrégional et les championnats de vacances nourrissaient les clubs. La sélection nationale se portait mieux qu'aujourd'hui. La passion pour les joueurs et les clubs aussi. Télé Sport sur Télé-Haïti parlait des sports locaux en priorité.
Depuis 1986, le football étranger est devenu le principal dérivatif et le sein de substitution pour les tous les Haïtiens amants du ballon rond. Les retransmissions remplacent nos championnats. La TNH n'est pas mise au service du sport haïtien. Les radios s'en sont désintéressées. Les gouvernements aussi. Les télévisions gratuites en ondes claires ont définitivement enterré le sport local, même si de temps à autre un match du championnat national Digicel est diffusé sur nos petits écrans.
Michel Martelly, grand supporteur du football local, le gouvernement de Laurent Lamothe ou les médias, de leur plein gré, auraient pu imaginer- en échange de l'utilisation gracieuse des droits de retransmission de la Coupe d'Europe, puis, sans doute, des jeux Olympiques-, l'introduction d'un quota de retransmission de rencontres nationales par les télévisions.
Autant de matchs de football étranger en direct que de matchs des équipes haïtiennes en direct. Idem pour le basket-ball, le tennis et les autres sports. Une politique audiovisuelle en accompagnement d'une politique sportive. Une politique qui ferait la part belle aux athlètes haïtiens qui triment sans visibilité face aux téléspectateurs satisfaits de regarder jouer les autres que nous sommes devenus.
Mais c'est rêver que de croire que les sportifs haïtiens méritent autant d'attention de la part de leur leader d'opinion et des responsables publics. Ce défi nous dépasse. Martelly et les médias ont d'autres chats à fouetter.
La sollicitude ne va pas aussi loin. La charité sportive et audiovisuelle bien ordonnée ne construit pas des lendemains meilleurs.
Le gant vous est jeté ! Mettez du sport local sur nos télés et à l'antenne de nos radios.