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Roberson Alphonse: Des chefs décalés par rapport à un pays qui galère

martelly decale

Le président Michel Martelly a finalement annoncé que le nouveau round de discussions avec les acteurs politiques débutera le lundi 22 septembre 2014. Certains diront qu'il était temps ! D'autres, férus d'éphémérides, sensibles aux symboles, feront le rapprochement avec l'élection le 22 septembre 1957 de François Duvalier.

Qu'il s'agisse ou non d'un pur hasard du calendrier, il y aura du grain à moudre. Pas uniquement pour cette raison. Le chef de l'Etat, quarante-huit heures après, prévoit de quitter la table des discussions pour participer à l'Assemblée générale de l'ONU à New York.

Sur la tribune, Michel Martelly ne ratera peut-être pas l'occasion de mettre en avant sa volonté de dialoguer avec l'opposition pour trouver une solution à la crise préélectorale. Compte tenu de l'attitude jusqu'ici de certains poids lourds de la communauté internationale, il est peu probable que l'on tape sur les doigts du président Martelly. Le parfait coupable est déjà désigné. Le groupe des six est à la fois mouton noir et bouc émissaire.

Echec et mat pour le chef de l'Etat. Bravo! Bon timing pour l'ONU. Superbe coup de com pour la consommation internationale, s'enflammeront ses partisans. Même si le tout est cousu de fil blanc. Rien de nouveau sous le soleil. Chose ordinaire dans l'arène politique où il est indispensable de gagner la bataille de l'opinion. Attention aux victoires à la Pyrrhus.

Mais a-t-on le temps pour ces petits jeux, à trois mois et quelques jours de janvier 2015 ? Difficile à dire. Cela dépend des objectifs des protagonistes. Surtout ceux qu'ils n'avouent pas. Surtout ceux qui se déclinent, d'un côté en « ti pas kout » et de l'autre en tabula rasa. La dernière formule, l'idéal pour l'opposition qui rêve d'avoir la machine étatique à sa disposition pour s'assurer de gagner les élections. Par tous les moyens. Vive la démocratie à l'haïtienne!

Pour les sceptiques, blasés par le jeu des politiques, les nouvelles discussions ne déboucheront sur rien. N'empêche que ceux qui croient encore au miracle se demandent si Martelly, à son retour, sera enclin à faire ce qu'il faut. Pour réduire la méfiance envers le gouvernement. Pour trouver un consensus avec le groupe des six et les partis politiques de l'aile dure de l'opposition sur le CEP. Ses adversaires lâcheront-ils du leste ?

Entre-temps, pendant que les chefs décalés de la réalité font leurs chichis, le pays, lui, galère. Pas en silence. Les manifestations suscitées par les difficultés socioéconomiques, 194 manifestations au total, ont augmenté d'environ 31% par rapport à la même période en 2013. On a signalé 53 manifestations violentes, les manifestants ayant érigé des barricades et lancé des pierres, soit une augmentation de 96%. Ces chiffres proviennent de la MINUSTAH. Le nombre de meurtres a augmenté de 24% avec 416 cas signalés par rapport à la période correspondante en 2013. En grande partie, ces homicides sont imputables aux rivalités entre des gangs pour le contrôle de quartiers sensibles situés dans la grande périphérie de Port-au-Prince. Selon la MINUSTAH, 76% environ des homicides ont été enregistrés dans ces secteurs. Il n'est un secret pour personne que ces populations vivent dans des conditions socioéconomiques très précaires.

Ces chiffres décrivent une réalité que la propagande de l'exécutif ne saurait masquer. Ils témoignent d'un malaise. Ils démasquent aussi le groupe des six et une opposition politique de blocage, en panne d'alternative. Spectatrices du drame de leurs vies, les populations, désabusées, font de moins en moins confiance à la politique, aux politiques. Ce n'est pas une surprise qu'aux dernières élections Martelly ait été élu avec moins d'un million d'électeurs, avec une légitimité populaire limitée. Pour le moment, rien n'indique que la donne va changer dans ce pays où l'on prétend faire du neuf avec du vieux. Entre-temps, petit à petit, le pays avance vers la zone de turbulence.

Roberson Alphonse
Source: Le Nouvelliste