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Contre le règne de la terreur rose: Un pouvoir en déliquescence peut-il accoucher de quelque chose de propre ? (deuxième partie)
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- Publié le mercredi 5 mars 2014 19:27
par Leslie Péan, 26 février 2014 --- La décomposition alarmante de la société haïtienne est orchestrée par des voyous du genre de Ti Brital qui assassinent aux ordres du Palais national. L’histoire de l’assassinat du juge Jean Serge Joseph le 13 juillet 2013 se répète et s’accélère. Les rumeurs ont été officialisées par nombre de témoins, dont Rachelle Acélat Joseph, épouse du juge Jean Serge Joseph, Maitres Joseph Manès Louis, Bernard St. Vil et Berge O. Surpris, juges au Tribunal de Première instance, Kettly Julien de l’Institut Mobile d’Education Démocratique (IMED), Maître Samuel Madistin[1], etc. Mais les ressorts profonds de la solidarité haïtienne ne sont pas cassés. La résistance s’organise contre l’extermination du courage et de l’intelligence. Contre tous ceux et celles qui disent « Vive la mort » comme les soudards du pouvoir fasciste de Franco chantaient en 1936, prennent le contre-pied les voix de la désapprobation et de la condamnation. Les démocrates refusent de laisser le Président crier « À bas l’intelligence » et faire de la mort la musique de sa présidence.
Contre le règne de la terreur rose
Les deux derniers témoins (Kettly Julien et Samuel Madistin) qui ont parlé au juge Jean Serge Joseph ont affirmé à la radio que ce dernier leur a parlé de l’invitation à la rencontre chez l’avocat Gary Lissade. C’est là que le juge aurait été empoisonné en présence du Président de la République et du Premier ministre. Ces voix pacifiques ont refusé de perdre la raison devant le règne de la terreur rose. Où en est l’enquête sept mois plus tard ? Le pouvoir Martelly refuse qu’on tire un seul fil de cette affaire, car il risque de se trouver tout nu ! Les Haïtiens sont condamnées à revivre un temps d’assassinats et de suicides masqués. La justice ne peut pas fonctionner et ceux qui osent parler savent qu’ils risquent leurs vies. L’épée de la mort est pendue sur toutes les têtes. C’est la perversion générale. Une situation délétère qui accentue la mauvaise image de soi. L’impunité des criminels abîme la société haïtienne.
Ces morts à la chaîne ne sont pas de simples tracasseries ou bavures, mais plutôt le travail d’experts responsables de ces opérations meurtrières. C’est le télescopage d’intérêts politiques et choix économiques à la fois désastreux. En voulant mettre fin au dispositif criminel qui contrôle Ayititoma, les démocrates et autres partisans du changement signent leur arrêt de mort. Yap mache ak sèkèy yo anba bra yo. Entretemps, les assassins débiles, piégés dans leurs propres conneries, circulent sans s’inquiéter. Sans prendre la moindre précaution, sûrs de leur impunité. Leur acharnement diabolique met tous ceux et celles qui veulent d’un autre pays dans une situation où ils ont un pied dans la tombe.
Les assassins sévissent pour un rien. On l’a vu lors de l’assassinat du policier Walky Calixte en 2012 par des gardes du corps d’un député. Le pacte avec la mort des membres de la PNH continue avec l’assassinat de Jean Richard Hertz Cayo en 2013, un autre policier victime proche de Calixte. Selon le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), « Entre janvier et décembre 2013, au moins huit cent soixante dix (870) personnes soit une moyenne de soixante treize (73) personnes par mois ont perdu la vie de manière brutale dont sept cent onze (711) par balles, quatre vingt seize (96) à l’arme blanche et soixante trois (63) autres, par lapidation[2]. » Haïti est en train de battre bien des records, en commençant par celui des Crétois qui envoyaient leurs jeunes se faire dévorer par le Minotaure. Jusqu’à ce que le monstre soit arrêté par Thésée …
L’adoration du mal
En Haïti, la méchanceté s’est installée confortablement. Au point que certains croient que nous sommes devenus tous bêtes. À force de s’accommoder des ravages du fléau politique, on semble aimer le monstre avec une grande tendresse. Désorientés par la disparition du sens, nous sommes devenus méchants et bêtes. Les assassins veulent d’un ordre immuable pour éviter surtout toute indemnisation des victimes. Minés par la mafia politique au pouvoir qui voue toute réforme à l’échec, des larmes de crocodiles sont régulièrement versées sur le déclin de toutes les valeurs. Étrange aveuglement ou encore rare hypocrisie des « bêtes et méchants ».
D’un autre côté, l’ordre international triomphant qui dicte la voie à suivre n’est pas de tout repos avec LAVALAS. En particulier, l’arbitre Washington craint une réactivation des pires régressions, malgré les positions modérées affichées par ce courant politique actuellement. Haïti est au pied du mur et nous avons des raisons d’être pessimistes tant que l’opposition démocratique n’arrive pas à résoudre l’imbroglio LAVALAS présenté comme un épouvantail. Nombre de partisans du changement craignent les chimères. C’est aussi le cas avec Washington et Paris qui ont peur des relents sulfureux de la machine de guerre LAVALAS. Les observateurs favorables au mouvement démocratique se doivent de les rassurer en leur donnant des raisons d’abandonner des comparaisons réductrices en l’occurrence. L’Histoire des dérives lavalassiennes est histoire et il ne faudrait pas que des interprétations sauvages viennent bloquer la participation de ces piliers du mouvement populaire dans la lutte contre le gouvernement Tèt kale.
Bien des excuses sont évoquées pour accepter et faire accepter le mal. Pour l’adorer en l’emmenant à la Maison Blanche, à l’Élysée et même au Vatican. Une adoration traduisant une masochiste maladresse. Dans un pays où nombre d’hôpitaux n’ont ni eau courante, ni eau potable pour donner à leurs patients, la population est forcée de s’accommoder du mal en acceptant que le gouvernement dépense 6 millions de US$ pour un autre carnaval. Nou san wont e nou bouche nen nou pou n bwe vye dlo santi. Tel est l’adage de notre apparente lucidité. Le gâchis est tel qu’on trouve des bien-pensants à déclarer sans rires que « tout est prioritaire ». Les aberrations du Minotaure du pouvoir absolu empoisonnent la vie et confisquent la pensée. D’où la perversion de nos mentalités !
La leçon de Kiev
Haïti ne peut s’en sortir sans revenir aux principes de base de fonctionnement de toute société viable. Cela passe par le bannissement du pouvoir personnel du Président de la République et du culte de la personnalité des petits chefs aux autres niveaux de l’administration publique. Haïti ne pourra pas se développer en vivant avec des dons. Il faudra envisager des prêts. Ce qui signifie d’une part la fin de l’apartheid bancaire, mais aussi la nécessité de rembourser. Or justement comment rembourser avec un pouvoir anarchique qui refuse la reconnaissance des dettes et surtout l’indépendance de la justice. On se rappelle le cas de Charles Édouard Narcisse[3], cet homme d’affaires haitiano-canadien, rentré en Haïti pour investir et redémarrer l’entreprise les Ciments d’Haïti qui avait fermé ses portes depuis trois ans.
Son expérience est édifiante de la pourriture sur laquelle aucune greffe n’est possible. « La remise en fonction de la cimenterie serait entrée en compétition avec les intérêts de cette famille qui importait du ciment de la Colombie, de Cuba et du Mexique. Selon la requête, cette famille importait aussi de la drogue dissimulée dans les sacs de ciment. Toutefois, les déboires de M. Narcisse auraient réellement commencé avec l’arrivée au pouvoir de René Préval en février 1996. Ce dernier, défavorable à la réouverture de la cimenterie aurait préféré la privatisation de l’entreprise dans l’intérêt d’une des grandes familles du pays. Selon ce que le document de cour indique, M. Narcisse aurait été la cible d’attaques de plus en plus violentes. On aurait tiré à la mitraillette sur sa voiture à deux reprises et un attentat aurait été perpétré contre l’usine de ciment. Au mois de septembre 1996, M. Narcisse aurait fini par donner sa démission. Il aurait été arrêté et emprisonné après avoir été sommé au cabinet du président pour expliquer son geste[4]. »
À la lumière de cette expérience, on comprend pourquoi c’est le chaos qui fait recette. Mais aussi on réalise pourquoi c’est tout le système qu’il faut changer en éliminant les poisons et autres intoxicants qui l’empêchent de fonctionner convenablement. Haïti tergiverse avec un système social pourri. Il n’y a rien d’autre à faire que de le remplacer. Ne nous faisons pas d’illusions : rien de bon ni de propre ne peut sortir de la bête immonde du pouvoir. Comme dit le vieux proverbe, on ne peut pas faire d’omelettes sans casser des œufs. Les Ukrainiens viennent d’en faire la démonstration à Kiev. C’est la leçon essentielle d’un combat auquel les Haïtiens sont invités. Un combat pour lequel les démocrates ne sauraient attendre le mot des ambassades ou de la communauté internationale.
Dans la lutte contre la tyrannie, les Padréjean, Boukman, Mackandal, etc. n’avaient pas besoin de savoir si la victoire était proche pour engager la lutte avec tous les moyens. Tout comme un Condorcet le fit aussi de son côté en 1781 en France contre l’esclavage, un an avant d’être reçu à l’Académie française. Aucun dialogue n’est possible entre les maitres et les esclaves. La jeunesse d’Haïti se doit d’affronter le gouvernement Martelly pour faire échec à tout retour au duvaliérisme et au despotisme. Elle doit mener ce combat sans louvoyer et sans ambigüité. La lutte des patriotes dominicains l’a bien montré. Il a fallu la détermination et le sens du risque d’un seul homme, Antonio de la Maza, pour déclencher l’étape finale de la lutte contre Trujillo. C’est cette détermination qui a fini par convaincre la CIA de se débarrasser de ce tyran que le gouvernement américain avait pourtant mis en place avec le concours de l’église catholique et de la communauté internationale.
Aux abois devant le monstre qu’elle a créé en Haïti, la communauté internationale s’est dit : « Il faut trouver une formule qui associe les principaux bailleurs de fonds, le gouvernement haïtien, les représentants des principales associations économiques industrielles, commerciales et agricoles. Ensemble, ils établiraient la nature et l'urgence des travaux à entreprendre, la répartition des frais entre ce qui est apporté par des dons extérieurs et ce qui est financé par le gouvernement (pour autant qu'il puisse financer autre chose que les charges courantes de fonctionnement, ce qui est peu probable). Le président de la République d'Haïti présiderait cet organisme. Le maniement des fonds (appels d'offres, contrats, contrôle des travaux, comptabilité, paiement des factures) serait fait par l'ambassade de chacun des bailleurs de fonds, soit par un organisme ad hoc nommé par le secrétaire général de l'ONU[5]. »
Cette vision est fallacieuse, car elle ne tient pas compte des paramètres du receveur. Tant que les motivations pécuniaires demeurent l’essence de la vie, les marchés de tous ordres continueront d’exploser avec leurs dealers et autres entremetteurs. Et surtout rien ne peut être fait pour prévenir les rejets de ces greffes quand la communauté internationale impose au peuple haïtien ses déchets comme modèles de développement et de gouvernance. C’est tout simplement l’ouverture d’une course aux enfers où les ventes aux plus offrants augmentent de manière exponentielle.
Historien, Economiste
[1] Rapport de la Commission spéciale d’enquête sur la mort troublante du Juge Jean Serge Joseph, 6 août 2013. La Commission spéciale d’enquête du Sénat hattien était formée par les sénateurs Pierre Francky EXIUS, président de la Commission Justice et Sécurité publique; Westner POLYCARPE, président de la Commission Santé Publique et Population; François Anick JOSEPH, président de la Commission Intérieur et Collectivités Territoriales; Steven Irvenson BENOIT, premier secrétaire du Bureau et Joël Joseph JOHN, deuxième secrétaire du Bureau.
[2] Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), Situation générale des Droit Humains en Haïti à la veille de la rencontre entre les Président des Etats-Unis d'Amérique et de la République d'Haïti, 4 février 2014.
[3] Paul-André Gilbert, « Un homme d’affaires poursuit Haïti pour 13 millions $ », Le Journal de Montréal, 31 octobre 2013,
[4] Ibid.
[5] François Blancpain, « Ce que l'histoire d'Haïti nous enseigne », Le Monde, Paris, 22 janvier 2010.
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