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Arnold Antonin : l’impunité, « un séisme permanent »

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« Le règne de l'impunité ». 65 minutes. C'est la durée d'un flash-back en images, d'un électrochoc. Cette fois encore, Arnold Antonin ravive des plaies d'une époque. A dessein. L'oubli tue une seconde fois les morts des Duvalier, ceux des régimes d'après et casse les survivants, plantés avec leurs souvenirs devant le mur épais de l'injustice. Devant la caméra d'Arnold Antonin, environ une cinquantaine de personnes, des deux côtés de la barricade, racontent.C'est l'histoire des filles Bouchereau. De celle de Marguerite Bouchereau Clérié, une femme-fille, marquée par l'ultime image de son père poussé dans le coffre d'un véhicule le 26 avril 1963.

Accusé d'être de connivence avec ceux qui ont attenté à la vie de Jean-Claude Duvalier alors en culotte courte, Jean Bouchereau, militaire de formation, n'est jamais rentré chez lui. Il n'y a pas de date de décès. Des fois, les infos sont celles venues d'un prisonnier ayant survécu à un membre de la famille. C'est le cas du musicien Jacky Ambroise, gosse de 7 ans, qui n'a jamais revu sa mère et son père, arrêtés par la police secrète du régime. « Je ne les ai jamais revus. Tassy a enfoncé un crayon dans les yeux de mon père », conte le leader du groupe String qui a, en plus de la passion pour la musique, un autre point commun avec Beethova Obas. L'auteur du refrain « M pa ka ri, lè m ri se pou m maske kriye m » a perdu son père lui aussi. Un cousin, Michel Obas, était pris dans les mailles du filet et s'appeler Obas, un péché mortel.

A Limbé, Cazale, La Trembley, Plaisance, la chape de plomb pesait de tout son poids. Liliane Pierre-Paul, en sanglots, revit l'horreur. « J'ai été humiliée. Ils ont exigé que je marche nue pour qu'ils fassent des commentaires sur mon corps », suffoque la journaliste vedette, icône de la presse, épinglée le 28 novembre 1980 avec Anthony Pascal (Konpè Philo), Gigi Dominique, Pierre Clitandre... La brutalité de la police politique, capable de torturer le fils de six ans de Marie-France Claude, glace le sang. Patrick Lemoine, Alix Fils-Aimé, Robert Duval, Gérald Bloncourt, Gérard Louis, eux aussi, s'expriment. Ils disent. Michel Soukar, Max Bourjolly assument, face à la camera, qu'il était du devoir des opposants d'alors de prendre les armes face à un pouvoir dynastique et tyrannique. Max Bourjolly, arrêté en revenant de la République dominicaine, a fait un tour dans les services du redoutable Albert Pierre (Ti boule). Ce n'était pas un tendre. Acédius St-Louis, le colonel Serge Coicou étaient comme sur une autre planète. Coicou savait que Boss Peinte commettait des exactions. Du palais, il soutient n'être pas au courant que l'on y torturait des prisonniers politiques. Pas de scoop. Pas de révélations. Personne ne compromet ou ne se compromet. Rien non plus sur Jean-Claude Duvalier, revenu au pays le 16 janvier 2011, inculpé depuis avec peu de chance d'être condamné.

La bataille d'arguments entre les avocats sur l'imprescriptibilité ou non des crimes contre l'humanité traverse ce film d'Arnold Antonin. Les avocats des victimes indexent « l'absence de volonté de faire une instruction correcte ». Rodolfo Mattorollo de l'UNUSUR, lui, parle d'instruction « bancale ». Il évoque la possibilité de porter le dossier devant la Commission interaméricaine et la Cour interaméricaine des droits de l'homme. « Tous les pouvoirs de l'Etat doivent faire preuve de volonté politique pour mettre un terme au règne de l'impunité», soutient ce vieil ami d'Haïti. C'est indispensable pour casser le cycle de l'impunité.

« Il est regrettable que l'on ne puisse pas juger Duvalier », soutient Me Bernard Gousse. Dans un autre tempo, Me Reynod Georges, l'avocat de Jean-Claude Duvalier, sable déjà le champagne de la victoire dans ce film qui revient sur des assassinats perpétrés longtemps après le départ de Jean-Claude Duvalier, dont celui d'Antoine Izméry, de Guy Malary, des paysans de Jean-Rabel, de Jean Léopold Dominique. L'impunité, malgré la comparution de Jean-Claude Duvalier, reste, selon Arnold Antonin, un séisme permanent qui mine tous les efforts de progrès d'Haïti. Poignant, ce film, projeté à la FOKAL ce lundi, sera largement diffusé . Une promesse du cinéaste qui combat l'oubli. Comme ses acteurs qui gardent des photos en noir et blanc, des échos de voix, des sourires, un câlin d'un parent disparu dans ce pays où il n'y a pas de lieu de mémoire.

Roberson Alphonse
Source: Le Nouvelliste

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