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Les ‘racistes’ Dominicains profitent de nos luttes intestines
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- Publié le lundi 21 octobre 2013 14:07
PORT-AU-PRINCE, 11 Octobre – Nos voisins dominicains ont un avantage certain : nos divisions, nos querelles fratricides et souvent sans objet mais par pur égocentrisme. Nombrilisme. Infantilisme même.
Car la plus grande faiblesse de la communauté dominicaine d'ascendance haïtienne ce n'est pas en elle mais c'est la décadence en tout point au pays d'origine.
Un arrêt de la Cour constitutionnelle de Santo Domingo, aujourd'hui dominée par l'extrême droite anti-haïtianiste (Haïti ayant occupé pendant 22 ans la partie orientale de l'île, c'est contre les Haïtiens que sera déclarée l'indépendance de la République dominicaine en 1844), nous ramène aux pratiques haineuses du temps du dictateur criminel Rafael Trujillo (assassiné enfin en 1961) pour enlever la nationalité aux Dominicains d'ascendance haïtienne remontant jusqu'à 1929. Autrement dit, quatre générations.
La décision des 'grands juges' dominicains ne manque pas de provoquer actuellement un tollé de par le monde.
Trop faible pour relever la tête ...
Mais ce n'est pas seulement le racisme qui propulse la faction anti-haïtianiste aujourd'hui au pouvoir à Santo Domingo de par son alliance avec le parti officiel, le PLD (Parti de la libération dominicaine), mais aussi et surtout son assurance que la société haïtienne est aujourd'hui trop faible pour pouvoir relever la tête.
Sinon comment expliquer que alors que nous affichons un déficit dans notre balance commerciale aussi scandaleux (plus d'1 milliard de dollars d'importations en 2012 quand nous peinons à leur vendre pour plus de 100 millions), une telle provocation eut pu être conçue par des gens intelligents et soucieux de la fortune économique de leur pays !
Querelles de clocher ...
C'est que au-delà de notre désastre économique qui alimente la croissance de notre voisin (le seul pays avec lequel celui-ci a un tel excédent commercial), Haïti affiche un mal encore plus profond. Presque congénital : la division.
La même semaine où la Cour constitutionnelle dominicaine prenait sa décision outrageante, en Haïti vous avez une Présidence et un Parlement à couteaux tirés, ni l'un ni l'autre capable de prendre une importante décision ; et une opposition sans autre programme que la démission du président de la république, une fois de plus. Etc.
Comme si nous avons tant à faire avec nos luttes intestines, nos querelles de clocher qu'il ne nous reste plus le temps ni la force et l'intelligence pour rien d'autre.
Or nos voisins sont nos principaux observateurs. Encore plus ceux d'entre eux qui guettent depuis toujours le moment de tirer quelque revanche soit historique (les deux décennies d'occupation au 19e siècle), soit raciale ! La République dominicaine est à dominante métissée (blanc, indien, noir). Haïti est un peuple noir. Délibérément.
Il suffirait d'une menace crédible de fermer la frontière par où se fait le gros du commerce dominico-haïtien ...
Le poison ...
Mais si contrairement à nos voisins le racisme, qu'il soit officiel ou institutionnel, est totalement ignoré en Haïti, si nous n'avons rien conservé des conflits ethniques ou religieux qui continuent à faire rage sur la terre africaine, par contre nous avons hérité du colonisateur français (Haïti fut colonisée pendant quatre siècles et principalement par la France) une autre forme de division : par la couleur de la peau et la prédominance (surfaite) de la culture européenne. Plus clair de peau = plus près de l'ex-colonisateur = plus près de sa civilisation imposée comme supérieure ...
Et de fil en aiguille, cette multiplication des barrières s'est établie au cours des générations, ne se limitant plus à la question de couleur, mais s'étendant à l'infini, le poison s'infiltrant dans chaque catégorie, chaque groupe, chaque famille. Chaque conscience ...
Comme nous le rappelle si bien cette interrogation dans un texte publié sur le site de l'agence Alterpresse : 'l'on peut se demander pourquoi la société haïtienne, et en particulier les élites, se taisent-elles ? Serait-ce qu'elles ne se sentent pas concernées par le sort de ces 'gens-là ' ?
Et l'auteure de poursuivre (tout à la fois choquant et incroyable) : 'A la différence des Dominicains de tous âges et de toutes catégories sociales qui font entendre leur voix (...), sortent dans les rues et se mobilisent contre cette décision (qu'ils jugent) inique de la Cour Constitutionnelle' (de leur pays).
Et de conclure : 'Aurions-nous perdu notre capacité d'indignation et d'empathie ?'
'Moun sa yo' ...
Il y a d'abord le 'ces gens-là ' noté plus haut. En créole, 'moun sa yo'. C'est le terme traditionnel pour marquer la différence de classe, mais pendant longtemps et jusqu'à encore très récemment : la barrière de couleur.
La majorité des Dominicains descendants d'Haïtiens sont les enfants des paysans haïtiens qui, poussés par la misère en Haïti, ont émigré en nombre toujours plus grand vers les plantations de canne dans le pays voisin.
L'Haïtien bouffi de préjugés, même malgré lui, n'aurait donc pas la capacité de distinguer que la progéniture en question (nous parlons de 4 générations) a grandi dans un pays offrant des possibilités autres en matière d'éducation et d'opportunités professionnelles. Et aussi d'ouverture sociale ...
Mais nous retiendrons aussi cette dernière réflexion de Rachelle Charlier Doucet (qui signe le texte) : 'Aurions-nous perdu notre capacité d'indignation et d'empathie ?'
Etat d'idiotie heureuse ...
Il est certain que les séquelles historiques ne peuvent tout excuser. Mais que plus sûrement, au cours de ces deux dernières décennies de cannibalisme politique, nous avons perdu tous nos repères, tous nos modèles.
Et enfin que dans ce domaine comme en tout autre nous attendons, ben oui, l'aide humanitaire. La Cour interaméricaine s'est déjà saisie de la question, le Haut Commissariat des Nations Unies aussi. Etc.
Que l'on nous ait un peu aidé aussi à sombrer dans cet état d'idiotie heureuse, peut-être ! Mais en politique comme dans la vie privée, c'est en prenant ses responsabilités qu'on assume sa souveraineté.
Le seul espoir est que la provocation des racistes de Santo Domingo soit justement le seul genre de choc (électrique) capable de nous réveiller !
Source: Haïti en Marche 11 Octobre 2013