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Martelly se trompe et veut tromper tout le monde
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- Publié le lundi 2 septembre 2013 04:12
Par Leslie Péan, 1er septembre 2013 --- La couleur est maintenant annoncée. La rentrée scolaire n’aura pas lieu le 2 septembre 2013 mais le 1er octobre 2013. La gargote financière des carnavals « zokiki » pour « zogaga » ayant épuisé les crédits budgétaires pour l’exercice 2012-2013, il ne reste plus de fonds pour la rentrée scolaire préalablement annoncée pour septembre. Pour les moindres dépenses, le gouvernement Martelly doit donc attendre l’exercice
budgétaire 2013-2014 qui commence le 1er octobre. Un artifice qui n’échappe à aucun esprit avisé. C’est la troisième année de suite qu’une telle aberration se produit. Optant pour le nivellement par le bas, le gouvernement renvoie la rentrée aussi bien pour les écoles publiques que privées. Une exception majeure : les enclaves constituées par les écoles privées étrangères ! Le voile est levé sur la vraie nature des prétentions et déclarations du gouvernement concernant l’éducation des enfants du peuple.
Encore une fois, l’objectif des 200 jours de classe recommandé par l’UNESCO ne sera pas atteint. Le ministre de l’Éducation nationale, M. Vanneur Pierre, avait pourtant annoncé le 18 juin dernier que la rentrée des classes aurait lieu le lundi 2 septembre 2013. Le nouveau calendrier diminue de 21 jours le nombre de jours de classe par rapport à l’année scolaire 2012-2013. Nous nageons dans un océan de lettres E qui désignent des échecs retentissants. Outre les défaillances récurrentes d’Energie et d’Etat de droit, un troisième E (Education) affiche un vide que l’activisme de Martelly ne peut nullement compenser. Le spectacle des trois débâcles de la rentrée scolaire en septembre 2011, septembre 2012 et septembre 2013 indique en clair l’absence d’une réflexion fondamentale sur l’éducation. Ce sont des échecs sur toute la ligne traduisant l’absence d’un désir de refondation, de reconstruction et de renouveau.
Deux mois après son annonce du 18 juin 2013, le gouvernement Martelly donne une autre occasion de rire ou de pleurer aux parents haïtiens et à leurs enfants. Rire ou pleurer dans un monde où l’impossible, condamnable ailleurs, est souhaitable et réalisable. Avec même la recommandation qu’il faut s’y habituer. C’est toute la différence entre un travail bien pensé et un travail artisanal bâclé. L’exemple de la médiocrité vient d’en haut. C’est un coup de massue asséné aux parents et aux jeunes qui comptent sur l’éducation pour relever leur niveau d’instruction et leurs chances de réussir dans la vie. Pendant ce temps, le fossé social s’élargit, car ceux qui ont des moyens ont déjà envoyé leurs enfants dans les enclaves scolaires étrangères. La baisse de niveau continuera à se creuser aux dépens des enfants du peuple. Qui de ce fait n’auront pas droit aux lumières nécessaires pour voir clair dans la nuit haïtienne. Le président Martelly n’en a cure car ses enfants ont déjà commencé leur année dans une école étrangère anglophone.
En tout état de cause, il importe de faire le lourd constat de la subjectivité tordue des acteurs politiques dirigeant le pays. Qui se répercute autant dans l’appareil productif que dans le régime d’accumulation. Leur conception de la réalité est basée uniquement sur la référence explicite au développement de projets miniers d’extraction d’or et d’argent d’une part et à la claire volonté d’appuyer le projet Monsanto d’introduire des organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l’agriculture haïtienne afin d’éliminer les derniers symboles d’autosuffisance alimentaire d’autre part. C’est manifeste et conscient. Dans cet état latent, le tourisme sert de relais dans l’effondrement planifié à l’ombre de la kokoratisation.
La poudrière des connivences
Le gouvernement essaie de se sortir de ce mauvais pas en regardant avec indifférence la reprise de la guerre entre les bandits des groupes Delmas 2 et Base 117, actifs dans les quartiers de Bel-Air, Simon Pelé, etc. Entre le gang et le vol chimérique organisé, ces bandits qui tirent à hauteur d’homme sont lâchés comme des chiens. Tout laisse penser qu’il existe une zone de connivence entre le pouvoir et eux. Question d’indiquer que la société est assise sur une poudrière qui peut exploser à tout moment. Surtout si le pouvoir est menacé de destitution par le Parlement. L’artifice consiste à mobiliser un certain nombre de marginaux pour semer la terreur et concentrer sur eux tous les regards. L’immense gâchis administratif est ainsi oublié. Et la collusion entre le Ministère de la Justice, qui libère les tueurs, et le Ministère de l’Intérieur qui utilise leurs services.
Une autre zone de connivences est celle qui existe entre le pouvoir Martelly et l’ambassadeur aux jupons roses, ancienne collègue de Sophia Martelly à la USAID, connivence dénoncée par vingt-un (21) députés dans une lettre ouverte au président Obama en date du 23 août 2013. Martelly a montré que pour lui politique rime avec arrestation arbitraire comme le cas des frères Enold et Josué Florestal l’illustre. Il n’y va pas de main morte en nommant le commissaire fasciste Francisco René, alias « Gwo Moso », dont la première mesure a été de siffler « la fin de la récréation » à la manière du « le bal est fini » d’une autre triste période de notre histoire. Gwo Moso pratique un mélange de menaces et d’avertissements grotesques en refusant à des parlementaires le droit de visiter les deux frères Florestal incarcérés pour des motifs non élucidés. Il tente ainsi de restituer au label « autorité de l’État » le goût répressif perdu, retrouvé par les nostalgiques de l’ancien régime.
Entretemps, le gouvernement Martelly donne la joie à son bon peuple en s’assurant d’accompagner ses prestations d’une ambiance de carnaval populaire tèt kale. Avec le double sens inhérent à un tel discours où les scrupules s’évanouissent. Candeur oblige ! Au cas où des trublions tenteraient d’interrompre la partie, Sweet Micky mettra ses talents d’acteur et sa vitalité à contribution. Avec sons, gestes et images, il sait comment accrocher l’attention des foules et tout est oublié. Il a le don de faire avaler au peuple, grâce à la musique, ce qui est contre ses intérêts. L’industrie de l’amusement saura absorber toutes les capacités de pensée et d’action. Les pulsions seront plus fortes que la raison. Solution boiteuse dira-t-on. Mais Sweet Micky sait comment faire triompher l’absurde avec sa musique mécanique et déshumanisée. C’est son for de danser et de faire danser sereinement dans un univers kafkaïen. Sa conviction personnelle. Surtout quand il peut compenser en semant ça et là les espèces sonnantes d’un mercantilisme vulgaire.
La farandole des aberrations
Le modèle du renvoi de la rentrée scolaire paraît s’appliquer aussi au renvoi sine die des institutions parlementaires, et spécialement du Sénat. Impossible d’avoir une réunion faute de quorum. Curieuse coïncidence ! Mais en fait, le bras de fer a lieu pour les raisons que l’on sait. Pour que ne soient pas votées les conclusions des rapports d’enquête du Sénat et de la Chambre des députés appelant à la destitution du Président et des autres parjures complices dans les violations dénoncées par les commissions parlementaires. Les accusés sont déterminés dans leur crime contre la nation. Ils ont qualifié les accusations de chimériques, affirmant qu’elles ne reposent sur aucune preuve tangible.
En effet, comment obtenir ces preuves quand le Président de la République refuse de donner au Commissaire du gouvernement l’autorisation d’interroger ses chauffeurs, gardes de corps et autres témoins clés de la tenue de la rencontre ? Quelle meilleure manière de sauvegarder l’ordre public que celle d’entretenir le mystère à propos de tout et de rien ? Le gouvernement Martelly n’hésite devant rien pour arriver à ses fins et endiguer les problèmes pour que tout se termine en queue de poisson. La dernière trouvaille dans la farandole des aberrations est exprimée dans le document expliquant la position de six des Conseillers membres de la Commission d’enquête du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) en date du 22 août 2013. Les six Conseillers ont dénoncé les obstacles dressés sur leur chemin par Arnel Alexis Joseph, président du CSPJ, afin de bloquer l’avancement de l’enquête.
Martelly a beau dire à la radio qu’il veut rompre avec son passé obscur, il est en train de s’obscurcir lui-même par sa politique chaotique. Dans sa folle randonnée, il fait des escales par-ci par-là et poursuit les activités qui ont conduit Jojo Lorquet à mettre son buste dans le bûcher. Un immense barbecue dans lequel il est la proie des flammes. L’incandescence importe peu au président Martelly. Il l’entretient souvent en posant des actes bizarres qui sont comme des pneus usés qu’il jette du matin au soir dans le brasier. Exit décence et ordre public avec ce « Père Lebrun » vivant qui avance dans un vagabondage à peine masqué. Rite accompli selon un cérémonial de hargne à détruire à tout prix qui varie dans les formes mais avec le fond de la férocité originelle d’un prédateur.
Les exigences fondamentales de la logique et de la bienséance
Impressionnant spectacle d’une accoutumance extraordinaire au feu qui a conduit Sweet Micky à se réchauffer avant-hier avec le Dr. Morno, hier avec Mòlòskòt, aujourd’hui avec Don Kato. Il s’approprie des biens du premier, désavoue les activités déclarées frauduleuses du second et coupe les vivres au dernier, qui a osé le critiquer avec la chanson ALORAL. Autant de pratiques qui s’inscrivent dans les traditions les plus antidémocratiques du pays. Des traditions bestiales que le duvaliérisme a rafistolées à l’excès avec une plus grande religiosité que la religion. La rupture de la communication avec le réel se fait dans une indifférence totale au regard des autres. Une indifférence provoquant des agissements qui intriguent les gens sensés, tout en fascinant les jeunes enclins à la facilité. Un système de références pour se tromper et tromper tout le monde. D’où ses dangereux risques de prolifération.
La politique chaotique est enfin mise en relief par la tentative de Martelly de banaliser la mort du juge Jean Serge Joseph. Même ceux qui voudraient être cléments à son endroit sont obligés de déchanter. Ne parlons pas de la manière grossière dont il enfreint les lois élémentaires de la logique et de la bienséance en s’absentant une semaine sans rien dire à qui que ce soit. Au point de faire croire que l’institution présidentielle est une ignoble mascarade. Une vraie comédie ! À moins que le président Martelly veuille bien montrer et démontrer par ses provocations à quel degré la conscience haïtienne est endormie, sinon étouffée.
Le fait que les agissements scandaleux du Président ne semblent provoquer aucune réaction de masse est peut-être la meilleure démonstration de ses talents de prestidigitateur. Si ce n’est de la lassitude de la société. À ceux qui voudraient le blâmer en privé, quand il dépasse les bornes, il répond NON. Il se dit négatif et il assume. On le savait porteur de scandale et on l’a choisi. Certains avaient même dit que la charogne est séduisante et salutaire. Donnez-nous la charogne (Ban charony nan !), clamaient-ils. C’est dans sa négativité que le positif germera. Du positif qui se révèle sur du négatif. Comme en photographie, la communauté internationale a tenu à montrer, pas seulement avec l’épidémie de choléra, ce dont elle est capable. Ce qu’elle peut faire comme geste humanitaire tournant à la comédie tragique.
Qu’on nous comprenne. Il ne s’agit pas de rejeter les initiatives venant de la base. Nous sommes partisan de la participation du commun des mortels dans la vie politique. C’est une bonne chose. Le changement ne saurait venir uniquement des sommets de la société et de l’État. Tout le monde a son mot à dire. Mais il faut un apprentissage. Le cas de Lula au Brésil est exemplaire d’individus qui ont appris sur le tas. Cireur de bottes à 12 ans, Lula a été ouvrier métallurgiste, puis syndicaliste. En 1980, il fonde un parti politique (le Parti des Travailleurs), est élu député, candidat à la présidence en trois occasions avant d’être élu président la 4e fois en 2002. Il importe de reconnaître que l’accession de Martelly à la présidence en Haïti est le résultat du laminage de la société haïtienne par le duvaliérisme. Choix résultant de l’aveuglement dans l’incertitude martelé par le paradoxe du dictateur François Duvalier imposant son fils de 19 ans à une population désemparée.
Le piège de la facilité
Le formidable legs de nos ancêtres sur le plan géopolitique (la victoire contre l’esclavage) ne s’est pas traduit sur le plan de la vie politique interne par une organisation des pouvoirs permettant la promotion de tous. Au contraire, la concentration des pouvoirs chez le chef providentiel a rétréci les libertés et engagé le pays dans des luttes despotiques sans fins. La dénaturation des grands idéaux s’en est suivie. Cette acceptation d’une interprétation particulière du despotisme des traineurs de sabres est permanente dans notre histoire de peuple. Nous n’avons pas encore pu nous débarrasser des contraintes de nos origines douloureuses pour nous inventer un devenir collectif en rapport avec les grands idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité.
Le gouvernement Martelly a démarré dans la dérive avec l’arrestation du député Arnel Bélizaire et sa politique de calbindage. Affichant une vision duvaliériste, il agite une conception de la vie qui se résume à la bamboche et à la débauche. C’est pour lui la norme qui prend de multiples formes dans tous les domaines. Spécialement dans celui des finances publiques dont Madame la ministre des finances a démissionné pour protester contre la gabegie. La politique actuelle est essentiellement de type personnaliste et dépend de la volonté du chef de l’État. Il n’y a aucun plan rationnel et tout le monde doit obéir strictement à ses illusions. On s’explique donc la détérioration des conditions de vie des 80% de la population vivant avec moins de deux dollars par jour. Le tableau 1 indique la hausse des prix des produits alimentaires constatée par la Commission Nationale à la Sécurité Alimentaire (CNSA), de l’arrivée au pouvoir de Martelly en mai 2011 à aujourd’hui. Les prix sont en gourdes au marché de la Croix des Bossales à la capitale. Les six premiers produits sont en livre, l’huile de cuisine est en litre et le spaghetti est en sachet de 350 grammes.
Cette dynamique diabolique préoccupe aussi les entrepreneurs nationaux qui retirent doucement leur soutien à Martelly car ce dernier ne leur laisse pas une part acceptable des contrats qui sont plutôt donnés à des firmes dominicaines. Au moment où le gouvernement lance une campagne publicitaire tapageuse pour la relance du tourisme, on apprend une diminution radicale de la production d’électricité et l’éclatement d’un nouveau scandale avec le renvoi de la directrice de l’Electricité d’Haïti (EDH). Un secteur aussi stratégique que l’électricité continue de se détériorer. Cela accroit particulièrement les coûts de production dans toutes les branches d’activités et réduit généralement la compétitivité de l’économie.
Cette situation est d’autant plus révoltante qu’au même moment le gouvernement s’engage dans des tentatives pour écorcher le peuple en triplant le budget alloué à la présidence de 95 millions de gourdes à 329 millions de gourdes en trois ans. Les financiers en herbe du gouvernement qui croyaient pouvoir augmenter les impôts aux dépens des citoyens n’ont pas eu le soutien des sénateurs. Ces derniers ne sont pas tombés dans le piège de la facilité consistant à surtaxer une population déjà pauvre. Face à l’appât du gain sur une population misérable, ils ont préféré l’austérité pour le plus grand bien de la grande majorité. Les Sénateurs ont refusé de tomber dans le piège du pouvoir exécutif qui, loin de tout sens du ridicule, se décerne à lui-même des palmes d’or.
En clair, Martelly refuse de faire marche arrière. Son objectif est de parachever le projet de déstructuration de la société haïtienne entrepris à tous les niveaux par les Duvalier. Ce ne sont pas des erreurs de détail qui ont conduit à la mort du juge Jean Serge Joseph. Ce sont des bourdes monumentales commises par l’équipe Martelly qui incarne, vaille que vaille, le retour à l’ordre tonton-macoute. Il y a donc erreur sur la marchandise. L’Environnement et l’Emploi, les deux derniers E, ne sont pas mieux logés. Conjoncturellement et structurellement, la situation n’a pas évolué dans le bon sens. C’est l’effondrement de la confiance et la fin des illusions. En voulant surfer sur la crête des vagues des carnavals, Martelly est en train d’asphyxier le pays en maintenant sous l’eau la tête de ses citoyens.
Lelie Pean Economiste, Historien
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