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Analyses & Opinions

A l’heure des grands choix : les pouvoirs d’Etat pas encore en mesure de jouer pleinement leur partition !

L’Exécutif conserve la capacité de rendre inopérant le principe de la séparation des pouvoirs

Par Marvel Dandin - L’impasse au Sénat perdure. Conséquence : la 49ème Législature au complet marque le pas ! Car, ce sont les deux instances du Parlement qui devraient pouvoir fonctionner pour que celui-ci évolue normalement, en parfaite synergie. Une chambre vote. L’autre lui emboite le pas et « vice versa ». Autrement, c’est la paralysie totale. A moins qu’on considère comme fonctionnement du Parlement les incessantes déclarations tonitruantes de parlementaires dans la presse et/ou les convocations intempestives et infructueuses de ministres et de directeurs généraux par les « Commissions parlementaires » super-inutiles !

Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) est investi. Dans les conditions que l’on sait : arrêté présidentiel publié tardivement par rapport au moment de la prestation de serment des membres de la nouvelle entité ; texte ne portant bizarrement que la signature du chef de l’Etat. Il parait que la Constitution (laquelle, en définitive ?) aurait bien voulu qu’il soit également signé des membres du Cabinet ministériel.

Mais, soit ! On a déjà fait pire que cela. D’ailleurs, pour clore tout à fait le débat soulevé 24 heures plus tôt, les présidents de l’Association nationale des magistrats haïtiens (ANAMAH) et de la Fédération des barreaux d’Haïti (FBH), ont rapidement signé et publié un communiqué laconique dans lequel ils déclarent « avoir pris acte » de ce que l’arrêté de nomination des membres du CSPJ a été publié dans le journal officiel Le Moniteur. Qu’est-ce que cela signifie : « avoir pris acte de » en lieu et place du juste questionnement relatif à l’absence de la signature des ministres au bas de l’arrêté ? Ne faut-il pas plus d’énergie à des magistrats et à des avocats qui osent vouloir œuvrer en faveur de l’indépendance de la justice ?

Les « bizarreries » apparemment accidentelles constatées à l’occasion de l’installation du CSPJ rendent compte de l’état d’esprit qui a vraisemblablement prévalu au niveau de l’Exécutif au moment où, suite à la pression conjuguée de certains secteurs nationaux et de l’international, il s’est trouvé dans l’obligation de « lâcher » la justice, cette proie qu’il détient jalousement depuis des lustres. Une telle situation présage des difficultés qui risquent de se présenter quand des magistrats et des avocats conséquents entreprendront de rendre concrète l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il est vrai qu’il ne faut pas négliger le poids de ceux qui, dans le judiciaire, se soumettent traditionnellement aux chefs d’Etat et de gouvernement. La bataille ne fait donc que commencer. D’autant que, comme on le soupçonne, l’Exécutif traditionnel n’a pas encore dit son dernier mot par rapport au projet d’indépendance et de renforcement du Judiciaire. On peut donc s’attendre à toutes sortes de manœuvre visant à maintenir le « statu quo » du contrôle du Judiciaire par l’Exécutif.

Bientôt, on va juger « sur pièce » la volonté de changement et d’indépendance des tenants du secteur judiciaire. Le président du CSPJ, le juge Anel Alexis Joseph, n’a-t-il pas déclaré solennellement qu’avec l’entrée en fonction du CSPJ les choses ne seront plus comme avant ? On verra donc bien. On attend de voir à l’œuvre les membres du CSPJ à l’occasion du choix des représentants du pouvoir judiciaire au sein du Conseil Electoral Permanent. Vont-ils, comme le craignent déjà certains, permettre à l’Exécutif de leur choisir « leurs 3 représentants » ? Quelles seront les modalités du choix dans ce secteur ? On sait bien que cela doit se faire par vote au Parlement. Quoique, en raison du quota des 2/3, la situation semble être compliquée au niveau du Grand Corps. Mais, au niveau du pouvoir judiciaire, comment cela va-t-il se passer ?

La société civile dite organisée devrait déjà se mettre au travail au sujet de ces préoccupantes interrogations. Il en est de même des « soi-disant » partis, regroupements et plateformes politiques. Tous, ils devraient se positionner afin d’empêcher que l’équipe au pouvoir, émanation des forces étrangères contrôlant le pays, n’accapare l’appareil électoral pendant les 9 années à venir pour se perpétuer au pouvoir, s’enrichir et mieux asseoir l’occupation.

C’est dans ce contexte assez particulier que le torchon brûle au Sénat. Les enjeux sont de taille. Pour les secteurs politiques. Pour le pays également. Le « pouvoir législatif est en lambeaux » à la veille de grandes décisions. En plus du CEP, de l’organisation des législatives partielles et des élections pour les collectivités territoriales, bientôt il va falloir constituer le Conseil Constitutionnel, chargé d’arbitrer les conflits entre les 3 pouvoirs et de se prononcer sur la constitutionnalité des lois. L’on devra aussi désigner et ratifier prochainement le nouveau Commandant en chef de la Police Nationale d’Haïti (PNH).

L’Exécutif présente entretemps l’apparence d’une certaine homogénéité, après la « triste parenthèse » Conille. Il semble gagner du terrain avec des « Ti manman cheri » par-ci, des « katye pa m poze » par-là ou des « kat asirans woz », du « kredi woz » et des activités « aba grangou ». Il s’agit donc d’un véritable arsenal social de combat dont les résultats politiques ne seront pas aussi maigres que le croient, à tort, les tenants d’une certaine gauche qui ne tiennent pas compte de l’existence d’une masse populaire affamée et marginalisée, aisément manipulable. Qu’on ne s’y méprenne pas : pour aussi populistes et démagogiques que puissent être de tels programmes, ils finissent toujours par permettre à leurs initiateurs d’engranger des dividendes politiques. Alors, l’Exécutif est « de guerre » et s’apprête indubitablement à damer le pion aux deux autres pouvoirs à l’occasion des prochaines échéances.

Dans la population, pourtant, on ne semble nullement concerné par ce qui se passe au niveau des « 3 pouvoirs ». Les gens vaquent à leurs occupations sans se soucier du dangereux dysfonctionnement ou de la désagrégation des institutions, dans le contexte d’une constitution amendée encore problématique publiée sur ordre des forces étrangères assurant le contrôle du pays, avec le concours empressé de certains nationaux acquis à leur cause.

Trois jours de festivités carnavalesques sont offerts aux Haïtiens à la fin de juillet. Peut-être que cela représentera un clou de plus dans le couvercle de l’infâme cercueil d’analphabétisme, d’aliénation et de déshumanisation dans lequel ils sont ensevelis voilà maintenant 208 ans…

Marvel DANDIN