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Haïti a besoin d’un président à plein temps, non d’un dirigeant virtuel, et qui s’absente sans permission

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Editorial Haiti-Observateur

Quand bien même certains électeurs écervelés, ignorant le poids de leurs déclarations, par dépit de la gestion des politiciens traditionnels, auraient opté pour élire un « bandit légal » à la présidence du pays, nombre de citoyens ayant favorisé l'installation de Joseph Michel Martelly, au Palais national, se désistent déjà de leurs décisions.

En moins de deux ans au pouvoir, l'homme qui a prêté serment au nom du changement s'est révélé à tous les points de vue l'inverse du changement. Les dix-huit mois de l'administration de Sweet Mickey sont remplis d'événements, de décisions et de comportements jugés contraires aux responsabilités et à l'attitude du chef de l'État. Mais son dernier geste révèle tout ce qu'il est et tout ce qu'il n'est pas. L'absence du pays du président haïtien — et de son Premier ministre — à l'occasion de la commémoration de la bataille de Vertières ayant consacré la liberté des esclaves et accouché de la nation haïtienne démontre clairement que Michel Martelly n'a aucune intention d'être président à plein temps, un vrai gestionnaire des affaires du pays au moment où le peuple est confronté aux plus graves crises de son histoire et a grand besoin de ses dirigeants sur une base régulière et permanente.

Passe encore de bouder la commémoration de la bataille de Vertières, mais séjourner sur le continent où siège la puissance qui symbolise l'oppression de nos ancêtres, ainsi que ses alliés dans la répression contre les esclaves, constitue le plus grand mépris affiché à la mémoire des héros qui ont versé leur sang pour nous donner notre indépendance; cette visite européenne inopinée de M. Martelly risque d'at ténuer l'admiration et le respect des peuples du monde à l'égard d'Haïti. Pour la première fois en 209 ans, le chef de l'État se fait substituer aux cérémonies commémoratives de cette date, non pour cause de maladie ou quelque autre incapacité, mais parce que l'occupant du Palais national s'estime mieux dans sa peau avec ses « partenaires du Vieux Continent », la « diplomatie d'af faire » oblige. Pour comble d'insouciance à l'égard de la nation, les deux chefs de l'Exécutif ont décidé de s'absenter en même temps du pays, ayant d'autres chats à fouetter, en Floride et en Europe.

L'équipe actuellement au pouvoir, ayant la prétention d'être à la pointe du progrès en technologie, se croit en mesure d'assumer ses responsabilités par télécommande. Car depuis l'arrivée de Martelly au pouvoir, lui et ses conseillers n'ont pas cessé de vanter les vertus de la modernité sous forme d'usage à outrance du monde virtuel. C'est une bonne chose de mettre l'administration publique au diapason avec le reste du monde en exploitant à fond les opportunités offertes par l'informatique. Mais c'est une autre chose d'instituer une administration virtuelle imposée sans conditions préalables.

En effet, au nom de la modernité à la Laurent Lamothe, Michel Martelly pense qu'il n'a point besoin d'être présent en personne pour commémorer la bataille de Vertières. Grâce à la merveille de la vidéo conférence, il croit pouvoir s'adresser au peuple haïtien tandis que la première dame, Sophia Saint-Rémy Martelly et la ministre des Finances, Marie-Carmelle Jean-Marie, qui assure l'intérim à la primature, en l'absence de Laurent Lamothe, l'ont remplacé physiquement. Les deux femmes ont présidé à une cérémonie d'offrande florale en mémoire des Pères de l'Indépendance nationale, lors d'une cérémonie officielle au Musée du Panthéon national haïtien (MUNAPAH), et à laquelle ont participé plusieurs officiels du gouvernement.

Cela entre bien dans le cadre du programme initié par Laurent Lamothe par lequel la réunion du Conseil des ministres s'est effectuée par rotation dans des villes de provinces. C'est dans le même esprit que le président Martelly avait dirigé, par vidéoconférence, le Conseil des ministres qui s'était tenu récemment au Cap-Haïtien, alors qu'il se trouvait à la réunion de la CARICOM, à Sainte Lucie.

Nous invitons les citoyens haïtiens, où qu'ils se trouvent, à la mère patrie ou en diaspora, à méditer sur ces propos extraits du discours diffusé par le bureau de la présidence, au nom du président Martelly, absent du pays en ce jour mémorable :«

Pour évoquer ce jour glorieux, en classe, on récitait : « Vertières, Magnifique victoire. Triomphe des Noirs. Mort de l'esclavage.

« Ces périphrases retentissaient comme des sonneries de clairon. Elles galvanisaient les jeunes âmes et les gonflaient de fierté citoyenne. Leur musicalité chevauchait les esprits enthousiastes qui les déclamaient, qui les écoutaient. Et tous les petits écoliers haïtiens se sentaient François Capois dit la Mort se dégageant de sa monture abattue pour crier : « En avant, en avant.

« Deux cents neuf ans après cette aube d'ère nouvelle, qu'avons-nous fait de cet investissement sublime qu'ont placé en nous nos Pères Fondateurs. Le front baissé, les yeux pleins de honte, nous sommes obligés de nous avouer que nous avons galvaudé le legs qui nous a été remis. Les clairons se sont tus. Les cloches ne sonnent plus que pour marteler le glas. Glas des espoirs déçus. Glas de notre fierté avilie. Glas de notre personnalité de peuple dévoyée.

« Heureusement que nous pouvons compter aujourd'hui sur notre détermination pour que cela cesse

« Il faut que sous les cieux d'Haï ti, tintent à nouveau les carillons de la victoire.

« Vous le voulez si intensément, Peuple Haïtien, que vous avez adhéré à mon message de redressement national et m'avez choisi pour conduire vos destinées.« Vous m'avez élevé à la Première Magistrature de l'État pour que la communauté nationale divorce d'avec les démissions, d'avec l'enlisement dans la fange des intérêts à courte vue ».

Tout le discours du président Martelly, diffusé le 18 novembre2012, constitue une forfaiture du chef de l'État, un abus de confiance et un défi lancé au peuple haïtien, qui doit se donner les moyens de faire face à cette énième crise provoquée unilatéralement par le président haïtien avec l'appui des hommes et femmes qui dirigent avec lui.

Sans l'ombre d'un doute, une majorité des Haïtiens, dans un con -texte d'égarement, a rendu possible l'élection de Michel Martelly à la présidence du pays. À la lumière de cet affront fait au pays, celui-ci a des comptes à rendre à ses concitoyens, car Haïti n'a pas besoin d'un chef d'État virtuel, de surcroit qui s'absente sans permission.

Editorial Haiti-Observateur
Caricature: Le Nouvelliste