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Haiti-Politique : Ce sont les premiers pas qui comptent

Tout-Haiti-Facebook-profilLe président de la République, M. Joseph Martelly s’est entortillé davantage dans les mailles de l’inconstitutionnalité avec la formation du nouveau Conseil Électoral Permanent, issu d’un processus entaché de mille et une irrégularités. Paradoxalement, ce sont ceux et celles qui sont dotés de la responsabilité de faire les lois et de les faire respecter qui s’obstinent à creuser et à lui préparer le chemin tortueux de l’illégalité. Hier, il revenait à des parlementaires peu soucieux de la bonne marche du pays d’amender dans l’obscurité la plus épaisse la Constitution de 1987. Au cours des premières semaines de son quinquennat, le président Martelly avait rejeté l’amendement proposé qui, d’après ses premières analyses, etait truffé de fraudes et d’erreurs. Il y a même soupçonné un piège qui lui serait tendu. Malgré cela, il a promulgué le même amendement plus d’un an après sans autre forme de procès. C’est le nouveau président de la Cour de Cassation, la plus haute instance judiciaire du pays et président constitutionnel du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire le CSPJ, Me Anel Alexis, qui a accompagné le chef de l’État dans ce forfait. Cet allié fidèle du président de la République a profité de l’absence de trois membres sur huit- le neuvième se trouvait à l’étranger- de cette instance tout récemment nommée pour choisir de son propre chef les trois personnes devant siéger, au nom du pouvoir judiciaire, au Conseil Électoral Permanent. Me. Alexis ne s’est même pas embarrassé du principe de la majorité absolue requis pour faire sa nomination alors qu’il n’a pas droit de vote. Le ver est déjà dans l’amendement de la Loi-mère et de sa promulgation.

En effet, le nouvel amendement a enlevé aux Collectivités territoriales certaines de ses prérogatives démocratiques. Elles ne peuvent plus participer à la constitution du Conseil Electoral Permanent dont la responsabilité incombe désormais exclusivement aux trois grands pouvoirs traditionnels, en l’occurrence, les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif. Chacun d’eux a droit à trois représentants. Excipant de sa bonne foi pour mettre fin aux sempiternels Conseils Électoraux Provisoires- le pays en a connu une quinzaine au cours de plus d’une vingtaine d’années- le président Martelly s’est empêtré dans l’illégalité la plus fragrante en publiant la liste des six membres du nouveau Conseil, soit ceux de l’exécutif et ceux du Conseil Supérieur du Pouvoir Judicaire, malgré le tollé qu’a provoqué la brutale méthode de Me. Alexis. Il a fait fi de la proportion réservée à l’assemblée nationale des parlementaires. Il a hiérarchisé les pouvoirs dans la lignée du présidentialisme fort de tous les régimes haïtiens précédents en s’accordant la part du lion. Les mailles de l’inconstitutionnalité sont devenues tellement serrées que tous les pas du président Joseph Martelly le conduisent vers le même précipice. Il sera très difficile à son pouvoir de s’en sortir.

Le président Martelly subit les conséquences de son calcul erroné

Existerait-il une voie légale pour contourner la résistance d’une fraction importante du sénat qui refuse jusqu’à présent tout compromis dans le dossier de la formation du Conseil Électoral Permanent ? La Chambre haute est amputée d’un tiers de ses membres, arrivé à la fin de leur mandat depuis quelque trois mois. Le président Martelly subit les conséquences négatives de son calcul erroné de n’avoir pas organisé les élections pour le tiers du Sénat et les Collectivités territoriales durant le mois de novembre de l’année dernière suivant le délai fixé par la Constitution. Ainsi, comme la vie est mouvement, la minorité du début s’est transformée en une majorité imposante et opposante. Celle-ci refuse pour des raisons diverses, soit d’ordre idéologique pour certains ou d’ordre politique ou simplement personnel pour d’autres, de collaborer au choix des trois personnalités que la Charte fondamentale ou l’amendement, son fils bâtard, octroie à l’assemblée nationale. Le président s’enfonce dans l’illégalité quand de son propre chef, il autorise le fonctionnement d’un Conseil Électoral Permanent de six membres au lieu des neuf constitutionnellement prévus. Sur certaines pressions, d’après plus d’un, venant de ses conseillers internes et de quelques courants de ladite communauté internationale, il a ainsi franchi le rubicond. Suit-il un plan que son équipe et lui se sont tracé ? Navigue-t-il à vue pour arriver à des fins qu’il s’est proposées ? Le cours des évènements nous donnera la réponse.

Le proche avenir s’annonce indécis

Deux grands obstacles augurent d’imminentes difficultés qui vont obscurcir les processus électoraux pour le renouvellement du tiers du Sénat et des collectivités territoriales. La grande majorité des partis politiques traditionnels qui en réalité baignent avec des nuances près dans la même logique néolibérale que les deux branches de l’Exécutif se montrent offusqués de la conduite du président comme s’il agissait seul en dehors d’un corps organique, d’un système politique vieux de plus deux cents ans. Ils se sont démarqués de son comportement personnel et ont déclaré qu’ils bouderont les prochaines élections.

Le président Martelly s’appuie sur deux équations connues pour continuer sa course vers l’inconnu. Il spécule, pour placer ses pions, d’une part, sur l’indifférence des masses populaires qui affichent un certain mépris de ce jeu de trublions où les intérêts de ces derniers ne se confondent pas avec les leurs. Ce peut être, pourtant, une indifférence calculée ou disons mieux une procrastination en attendant de se mobiliser sur leurs vraies causes comme elles en ont toujours fait montre à travers le temps. Le président Martelly, d’autre part, a bien mesuré les limites de la déclaration de la classe politique qui n’a que la force d’une misérable pression. Les partis politiques de droite ou d’obédience sociale- démocrate qui occupent le terrain politique, malgré qu’ils soient tout récemment formés, ont déjà montré des signes d’épuisement. A peine sont-ils capables de canaliser les grands mouvements de colère populaire même s’ils n’ont pas la capacité de les déclencher. Le pays est habitué avec les ‘’sans cœur’’ qui ne rechignent pas face au pouvoir politique et surtout au pouvoir de l’argent et de l’honneur. Ce seront les propres membres de ces partis qui se porteront candidats et s’inscriront au processus électoral parce qu’ils ne diffèrent pas dans leur nature l’un de l’autre. Tout le monde est familier avec leurs arguments pour expliquer leur décision prise au mépris de la ligne de leur parti. Avec une forte dose d’immoralité, ils reprocheront, plus tard, au Conseil Electoral, les fraudes, sa partialité s’ils échouent. Que les fraudes ou la partialité se vérifient ou non. Avec un manque d’éthique politique, la direction de ces partis réclamera celles ou ceux qui auront la chance d’être élus comme étant leurs ‘’camarades de combat’’ s’ils réussissent aux élections comme si aucune indiscipline n’avait été commise. Ce sont ces genres de gouffre béant qui ensemencent les crises.

En fait, il appert que la vraie difficulté sera de savoir sous quelle loi électorale ce Conseil va asseoir son autorité, car il doit envoyer sa proposition de loi au président de la République qui aura à la soumettre au vote des deux Chambres. En tenant compte de l’opposition croissante au sein de la Chambre basse qui s’aligne sur la demande d’un nombre considérable de sénateurs de constituer un ultime Conseil Électoral Provisoire, la prochaine loi électorale obligatoire, d’après la Constitution, qui devra guider le Conseil électoral Permanent court, un risque énorme d’être rejetée, malgré les pressions ouvertes du Département d’État. Mme Cherry Mills, chef du cabinet de Mme Hillary Clinton, accompagnée de Mme Pamela Ann White, la nouvelle ambassadrice des États-Unis d’Amérique, vient d’effectuer ce mardi 21 août, entre autres, sa deuxième tournée au Parlement dans un laps de temps très court. Elles ont rencontré le président du sénat et président de l’assemblée nationale, Dieuseul Simon Desras et le vice-président de la Chambre des députés Pauly Faustin, en absence de son président Levaillant Louis-Jeune qui se trouve en dehors du pays, sous l’innocent prétexte de visite de courtoisie. Logiquement, cette courtoisie aurait dû se dérouler entre pairs parlementaires des deux pays libres et souverains.

Quelle peut être l’utilité de la complicité de tels personnages ? Ils pourront par des moyens forcés faire bouger les choses en leur sens ou en leur faveur tout en sachant que parallèlement ils brouillent davantage la carte du président Martelly et aggravent la crise qui exige pour sa solution une toute autre qualité d’analyse. L’on ne doit pas isoler le président Martelly du reste de ses adversaires conjoncturels parce qu’ils appartiennent au même embranchement politique antipopulaire avec des nuances parfois, il est vrai, considérables. L’actuelle turbulence politique est loin d’être une œuvre spontanée. Elle est forgée d’un matériau composite, issu de toutes les manœuvres de ses prédécesseurs depuis la fuite de Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986, si l’on veut dater cet imbroglio. D’ailleurs, c’est un excès de langage admis dans notre pratique de considérer ces divers courants qui se croisent et s’entrecroisent quotidiennement dans les multiples couloirs du pouvoir comme étant des opposants. Ce n’est pas du fait qu’Il leur arrive souvent de ne pas s’entendre sur leurs visions tactiques tout en caressant le même rêve stratégique bourgeois ou petit-bourgeois qu’ils se sont érigés en de véritables opposants politiques. C’est pourquoi nous disons que le proche avenir s’annonce indécis, car la lutte n’est pas menée au bon endroit.

Que faut-il changer ? La durée ou la nature du Conseil Électoral ?

Alors que la situation socio-économique empire avec une augmentation substantielle du coût de la vie et une dégradation accélérée de nos Valeurs, l’attention est portée plutôt sur la durée du mandat du Conseil électoral ou du moins sur la façon dont il est composé. D’une façon générale, c’est ce dont les gens discutent au lieu de réfléchir sur sa nature. Est-ce parce que les différents Conseils qui se sont succédé depuis la fin des années 1980 sur la scène politique ont été provisoires qu’ils ont vendu aux puissances impérialistes la dignité et la souveraineté du pays en dépit de la présence remarquable d’un grand nombre de conseillers honnêtes et patriotiques ? Est-ce du fait de leur situation éphémère qu’Ils se sont anesthésiés pour livrer le sort des élections aux étrangers ? La montagne, malheureusement pour la nation, a toujours accouché d’une souris. À l’exception d’une minorité de gens responsables qui visent à l’avancement de la grande majorité de la population, ils ont facilité la victoire aux élections à une pléiade de corrompus, d’irresponsables et ou souvent d’incompétents. Un Conseil Électoral permanent ne va rien changer en ce sens. Le problème ne réside pas dans sa durée mais très sûrement dans sa nature. L’effet de la propagande bourgeoise n’en est pas pour rien. Elle a induit en erreur le peuple d’ici et d’ailleurs en lui faisant accroire que ces formes d’élections sont les seules qui soient valables et acceptables. Pourtant, les élections à la démocratie capitaliste réclament des sommes d’argent de plus en plus grosses et contribuent à la création d’une ploutocratie qui se donne les bras à travers les cinq continents. Par conséquent, elles excluent les petits paysans, les prolétaires et d’autres couches et classes sociales qui sont constitutivement dépourvues de grands moyens financiers et qui peuvent être pourtant plus riches en citoyenneté que ces vendeurs de tout.

En guise de conclusion

A moins d’un sursaut démocratique du chef de l’État et de ses collaborateurs les plus influents, la seule issue qui leur reste est de s’engluer dans l’inconstitutionnalité, car les premiers pas sont déjà comptés. L’égo de M. Martelly rendrait cette alternative très difficile et affecterait aussi son autorité. Il a emprunté un chemin qui est apte à déboucher sur des turbulences dont les principales victimes seront encore les masses populaires. Il en sera ainsi pour longtemps en attendant qu’elles parviennent à bien construire leur camp et à avoir la force réelle pour participer à la direction de leurs luttes et la capacité pour conduire en bonne voie leur victoire et transformer cette dernière en conquête finale sans l’autorité auto-proclamée d’intermédiaires indécis et opportunistes de la petite bourgeoisie. Seule la gauche progressiste et révolutionnaire peut marquer la différence et offrir l’unique alternative. Cette gauche qui existe en puissance se trouve dans l’obligation d’agglutiner ses forces non en se contentant d’additionner les initiatives anciennes et ou nouvelles à la suite de simples opérations arithmétiques mais plutôt par et dans une pratique commune pour aboutir à son unification.


Par Marc-Arthur Fils-Aimé
Directeur de l’Institut Culturel Karl Lévêque

Source: AlterPresse le 28 aout 2012