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Martelly défend devant les partis et la société civile le CEP permanent contesté

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Resté sur la corde raide, dans une posture de monarque, après une journée marathon d’échanges autour de la crise engendrée par la constitution d’un organisme électoral en déficit de crédibilité, le chef de l’Etat, imperméable aux avertissements et propositions de l’opposition, légitime les choix du CSPJ, propose le renforcement du dialogue avec le Parlement et les secteurs représentés au forum en vue de combler les sièges vacants au CEP et de rétablir la confiance ; les Sénateurs opposés au processus, l’OPL, le RDNP et Inite, les grands absents

Le Président Michel Martelly est resté campé mardi soir sur ses positions à l’issue d’un forum réunissant les partis politiques et la société civile sur la crise actuelle et marqué par le rejet de la formation d’un conseil électoral provisoire de consensus pour la réalisation des prochaines élections et la défense de la légitimité du CEP permanent vivement contesté, mais qui, selon le pouvoir, reste ouvert au Parlement et doit mettre les différents acteurs en confiance à travers le « dialogue ».

En vue de compléter l’organisme électoral fonctionnant à six membres parce que amputé des trois représentants du corps législatif, le chef de l’Etat a proposé l’extension aux présidents des commissions et groupes parlementaires du dialogue déjà initié avec les présidents des deux Chambres.

Privé d’un tiers de son effectif, le Sénat où seulement vingt élus siègent actuellement se trouve dans l’impossibilité de désigner à la majorité des deux tiers, en assemblée nationale avec les Députés, les conseillers électoraux manquants.

S’exprimant devant des dizaines de représentants de la classe politique et de la société civile ainsi qu’un solide groupe de personnalités progouvernementales réunis pendant plus de huit heures d’horloge à l’hôtel Karibe, Michel Martelly a également promis de poursuivre le dialogue avec les secteurs concernés en faisant clairement remarquer que le conseil électoral permanent n’était pas négociable.

« Les trois représentants du CSPJ ont été choisis à la majorité requise », a lancé du haut du podium le Président en s’arc-boutant au principe sacro-saint de l’indépendance des pouvoirs pour justifier son refus catégorique de réclamer des correctifs devenus pourtant quasiment impératifs suite au vote entaché de graves irrégularités ayant précipité dans une crise majeure le conseil supérieur du pouvoir judiciaire.

Reprenant l’argumentation juridique de deux des défenseurs acharnés de la position de son régime, l’ex-Sénateur Youri Latortue, aujourd’hui conseiller présidentiel, et Me Emmanuel Ménard, actuel directeur de la bibliothèque nationale, le chef de l’Exécutif a laissé entendre que « la loi électorale de 2010 clôt définitivement la liste des CEP provisoires » et que « le provisoire appartient au passé ».

Notant que le « nœud gordien de la conjoncture » est bien l’absence de confiance dans la machine électorale, Michel Martelly proclame son intention de la rétablir au nom de « L’Etat de droit qui lui est si cher » et des prochaines élections sénatoriales, municipales et locales qui, prévient-il, se tiendront coûte que coûte sous l’autorité du CEP permanent, seul habilité à les organiser. Les élections seront libres et démocratiques, a renchéri l’ancien chanteur surnommé « Sweet Micky » en affirmant que pour avoir été victime d’élections frauduleuses, il ne saurait « tolérer une quelconque dérive qui pourrait conduire le pays inexorablement au chaos ».

Le dirigeant haïtien a aussi répondu favorablement à une proposition de passage au vote électronique formulée par Rosemond Pradel, dirigeant de la Fusion des sociaux-démocrates et ex-secrétaire général du conseil électoral de 2006. Mais, le grand hic peut être l’opposition des bailleurs de fonds à cette modernisation du système électoral dit Martelly qui souhaite la remettre à plus tard -quand le pays sera parvenu à sa souveraineté économique- pour entrer dans l’ère du scrutin électronique, plus fiable et moins coûteux.

Plusieurs leaders politiques et responsables d’organisations de la société civile ont exprimé leur déception au terme d’un exercice qu’ils pensent futile et révélateur de l’entêtement du chef de l’Etat à soutenir un processus électoral controversé et susceptible de conduire à une nouvelle impasse politique.

Le Président, qui aura réussi le pari de mobiliser de nombreuses figures de l’opposition, a été l’instigateur d’une rencontre réalisée tout de même sans l’appui de certains absents de marque, les Sénateurs qui exigent le retrait du conseil électoral permanent dont Anick François Joseph, Moïse Jean-Charles, Jean William Jeanty et Andrys Riché, l’Organisation du peuple en lutte de Sauveur Pierre Etienne, l’ex-plateforme présidentielle Inite et le Rassemblement des démocrates nationaux progressistes (RDNP) de Mirlande Manigat. Numéro deux du parti de la rivale malheureuse de Martelly aux dernières élections, le Dr Gérard Evans Beaubrun a évoqué une réception tardive de l’invitation de la présidence pour expliquer leur absence tout en soutenant que le locataire du Palais National n’avait pas assez d’intelligence politique pour comprendre la nécessité de revenir sur sa décision.

Pour sa part, l’ancien ministre et ami de René Préval, Paul Denis, qui a une fois de plus mis en garde contre l’instauration d’un nouveau régime autoritaire en Haïti, a indiqué qu’aucune invitation formelle n’avait été adressée à Inite pour se faire représenter à la rencontre du Karibe Convention Center assimilée à un show médiatique.

Parmi les participants on distinguait Maryse Narcisse de Fanmi Lavalas et certains des adversaires les plus farouches au projet présidentiel, Jean André Victor (PLH), Turneb Delpé (PNDPH), l’ex-candidat à la présidence Jean Henry Céant, l’ancienne Sénatrice Edmonde Supplice Beauzile, présidente de la Fusion, passée à l’opposition depuis un certain temps, et Evans Paul (KID). Ce dernier a qualifié l’initiative de Michel Martelly de « carnaval politique ».

Dans l’autre camp, outre les membres du gouvernement, Youri Latortue et Emmanuel Ménard mentionnés plus haut, le Président de la république pouvait compter sur le soutien inconditionnel à quelques différences près de son conseiller spécial, l’ex-Sénateur Joseph Lambert, du politologue Gracien Jean, du maire de Delmas, Wilson Jeudi, de Mes Osner Févry et Renan Hédouville et de plusieurs membres d’OP.

Les représentants des organisations de défense des droits humains RNDDH, POHDH et Justice et Paix ont abandonné la salle où se déroulait la réunion en protestation contre l’accès à la parole qui leur a été refusé. A l’origine de cet incident, l’attitude jugée trop partisane du porte-parole de la présidence, Lucien Jura, modérateur de service, qui a également réprimandé à plusieurs reprises l’assistance à la manière d’un préfet de discipline.

Le rendez-vous de Karibe symbolise pour plus d’un un retour à la case départ et virtuellement une nouvelle étape vers l’aggravation de la crise qui risque à terme de déborder le cadre institutionnel.

Radio Kiskeya
Photo par Jean Marc Abelard