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Haiti-Musique: Récupération politique du spectacle Tabou et Kassav au parc historique de la canne a sucre.
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- Publié le jeudi 16 août 2012 13:45
Haïti-Musique-Politique : Tabou, Kassav… « Tèt Kale »
Par Gotson Pierre
Certains spectateurs garderont un goût amer du spectacle des orchestres Tabou Combo (Haïti) et Kassav (Martinique/Guadeloupe), le 10 août dernier, au Parc historique de la Canne à Sucre, en périphérie de Port-au-Prince, où une apparente récupération politique de cet événement par le pouvoir a choqué plus d’un.
Ce spectacle, perçu comme un des plus grands rendez-vous populaires de l’été, a attiré un public nombreux, qui souhaitait vivre un moment de fête avec deux groupes mythiques de l’univers musical de la Caraïbe.
Des spectateurs ont accepté de payer le prix fort pour partager un instant qui pouvait être inoubliable, les tickets annoncés à 1500,00 Gourdes ayant été en effet vendus 2000,00 Gourdes au guichet.
Débuté avec un peu de retard, le spectacle, qui a été retransmis à la télévision, a vite enthousiasmé le public, en dépit de critiques sur la qualité de la sonorisation et l’aménagement de l’espace.
Les musiciens se sont donnés à fond, étant conscients de l’enjeu de cette rencontre, qui a mobilisé diverses couches de la population haïtienne ainsi que de nombreux étrangers qui séjournent dans le pays.
Les succès de Kassav, dont « Zouk la se sèl medikaman nou ni », « Soley », « Siwo », « Anba latè », se sont enchainés durant deux heures d’horloge, avec des performances remarquables des stars comme Jocelyne Berouard, Jean Philippe Martelly, Jacob Desvarieux et Georges Décimus.
Les tubes du milieu des années 80 et des années 90 du groupe martiniquais/guadeloupéen ont permis à nombre de personnes d’effectuer un flash back des plus rafraîchissants.
En deuxième partie, malgré une attente trop longue et inattendue, le public a fait une ovation au Tabou Combo, emmené notamment par Herman Nau, les chanteurs Roger M. Eugéne (Shoubou), Yves Joseph (Fanfan Tibotte), devenus des voix caractéristiques de la légendaire formation musicale, sans oublier le talentueux guitariste Dener Ceide.
Dans la foule, juste devant la scène, se donnaient à voir des visages rarement remarqués depuis quelques temps dans ce genre d’activités. Le public a entonné allègrement des refrains comme « Bébé Paramouth », « Yo », « Aux Antilles », « Bolero », « Beseba », « Lage m pou m pale », etc.
Au fort de la prestation du Tabou Combo, le président-chanteur Michel Martelly (Sweet Micky) s’est invité ou a été invité sur scène, ce qui n’a pas été une surprise.
La présence de Martelly - accompagné de son épouse Sophia et de son Premier ministre Laurent Lamothe - avait déjà été remarquée dans la foule, applaudissant Kassav.
Une fois sur scène, le chef de l’État a pris racine, se produisant tantôt en lead vocal, tantôt en choriste ou en animateur vedette.
Venant voir Tabou et Kassav, des spectateurs n’ont pas caché leur désappointement, tandis qu’une partie de la foule, chauffée à blanc, s’est laissée entrainer inconsciemment ou non dans un jeu qui avait tout l’air d’une tentative de récupération politique.
« Viktwa pou pèp la » (Victoire pour le peuple), chanson de campagne de Martelly, a été entonnée par un petit groupe de partisans du pouvoir, qui n’ont cependant pas réussi à imposer leur refrain.
Rejoignant le président, des chanteurs comme Hervé Anténor (Shaba) de Djakout Mizik et Roberto Martino de T-Vice ne se sont pas gênés à entonner/scander des slogans à la gloire du chef de l’État.
L’intolérant Shaba a parodié sa chanson titrée « Police », laissant croire que les forces de l’ordre seraient appelées à la rescousse contre tout opposant à l’administration Martelly. Comme quoi, un avertissement clair que la répression serait encore une méthode de résolution des problèmes politiques en Haïti.
Moins exubérant, Roberto Martino n’a quand même pas fait l’économie de ses salves de « Tèt Kale », leitmotiv des discours de Martelly et qui symbolise l’image du président (crane rasé).
Shoubou n’a pas été en reste et a « cédé sa place » au président, sous une pluie de confettis rose et blanc (couleurs de référence de Martelly), pour l’interprétation d’une chanson. Tandis que Jean-Philippe Martelly de Kassav, visiblement ébloui, est remonté sur scène pour « improviser » en compagnie du « cousin » Sweet Micky.
Le spectacle a alors pris l’allure d’une vaste opération d’appui au pouvoir en place, ce qui a choqué pas mal de personnes, dont certaines sont parties sans attendre la fin du concert.
Faut-il penser que l’administration de Martelly chercherait à s’approprier toutes les sphères de la société et que même les possibilités de se recréer et s’amuser ne devraient échapper au contrôle du pouvoir ? L’espace public serait-il en train de se refermer pour tous ceux qui ne feraient pas allégeance au chef ?
D’apparence anodine, ce qui s’est passé le 10 août au Parc historique de la Canne-à -Sucre devrait alerter les citoyennes et citoyens, pétris de valeurs démocratiques, des dérives auxquelles peuvent conduire certaines attitudes de nos gouvernants.
La musique et la politique ne font pas nécessairement mauvais ménage. Tout artiste est libre d’avoir ses opinions politiques et de se mettre au service de certaines causes. Mais les musiciens, en aucun cas, ne devraient faire le jeu de politiciens et laisser récupérer politiquement, à des fins de culte de personnalité, l’émotion qu’ils procurent à leurs admirateurs.
Verrons-nous bientôt revenir le temps où des orchestres étaient amenés à introduire dans leurs répertoires des chansons faisant l’éloge du régime dictatorial des Duvalier et ventant les « qualités » des tyrans (père et fils) « à vie », qui avaient fait régner sur le pays une paix de cimetière ?
Dans les années 30, ce genre de pratique était associé, notamment en Italie et en Allemagne, à un courant politique appelé fascisme. [gp apr 13/08/2012 17:00]
ALTER PRESSE