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Punir le blanchiment, noircir la souveraineté ?

blanchiment-argentLe projet de loi sur le blanchiment des avoirs et le financement du terrorisme ne fait pas l'unanimité en Haïti. Observateurs et législateurs se montrent particulièrement réticents face à cet inexplicable empressement qu'on veut imposer au pays pour la ratification de cette loi, sous peine de sanctions. Les avocats et notaires sont inquiets alors que le président de l'Association des économistes haïtiens, Eddy Labossière, se demande qu'elle autre sanction pourrait-on donner à une Haïti qui depuis 200 ans a déjà goûté à toutes les sanctions de ses « amis » de l'international.

C'est la Fédération des barreaux d'Haïti (FBH), en particulier le Barreau de Port-au-Prince, qui s'est fait le porte-parole des contestataires de cette loi qui punit le « blanchiment » tout en « décolorant » la souveraineté nationale.

Le terrorisme à tous les coins de rue ?

Près d'un an depuis que cette loi est en discussion au Parlement, les avocats en ont finalement eu une connaissance officielle, en évitant à la dernière minute des accrocs majeurs à la Constitution. « Cette loi dans sa teneur actuelle est contraire à la Constitution haïtienne en ce qu'elle permet qu'un haïtien soit distrait de la justice de son pays pour être jugé dans un autre pays », dénonce Me Carlos Hercule qui est parti en croisade contre cette loi devenue subitement urgente.

L'article 4 de la loi sur le blanchiment des avoirs est particulièrement innovant. Procédant à une définition du concept d'acte de terrorisme et des situations qui renverraient à une telle infraction. Le premier alinéa de cet article place aussi sous le label de terrorisme « tout acte destiné à provoquer le décès ou des blessures corporelles, psychologiques graves à une ou des personnes ». Cette dernière phrase se trouve dans le quatrième et avant-dernier sous-point de cet alinéa qui dans les autres sous-points parlait surtout d'un contexte où l'acte est posé en vue d'intimider un gouvernement ou une population ou de faire pression sur une organisation internationale. Mais ce quatrième sous-point se donne une portée plus large et semble se placer en dehors du contexte décrit dans le reste de l'alinéa. Il stipule tout simplement : « On entend par acte de terrorisme (...) tout acte destiné à provoquer le décès ou des blessures corporelles, psychologiques graves à une personne ou des personnes ».

A ce sujet, Me Hercule se demande comment une blessure corporelle pourra être qualifiée d'acte de terrorisme. Cette innovation, au demeurant abracadabrante, peut selon les barreaux de la République servir de puissant instrument de répression et de combat politique.

Les avocats et les notaires dénoncent

L'article 11 de la loi pose aussi problème. Il introduit, sans énumération, une catégorie de professionnels qui seraient « non-financiers ». On ne pourra que déduire que dans cette catégorie on peut retrouver les notaires, avocats, arpenteurs, courtiers etc. Ainsi l'article stipule : « Les institutions financières et les entreprises et professions non financières sont tenues de déclarer à l'UCREF les transactions en espèces d'un montant égal ou supérieur au montant règlementaire, qu'il s'agisse d'une opération unique ou de plusieurs opérations qui apparaissent liées entre elles ». On a peu entendu les institutions financières se plaindre de cet article qui les oblige à dénoncer leurs clients, mais quant aux professionnels du droit ils sont déjà montés au créneau.

« L'avocat est de par sa nature, le confident de son client et c'est cette confiance qui guide leurs relations. Si cette confiance disparait c'est l'importance même de l'avocat auprès du client qui disparait », a fait remarquer un avocat qui intervenait à l'hôtel Le Plaza, à Port-au-Prince, lors d'une large discussion entre avocats par rapport à la teneur de cette loi « urgente » sur le blanchiment des avoirs.

Les hommes de lois critiquent aussi le fait de permettre au ministère de la Justice de geler des fonds soi-disant destinés à financer le terrorisme. Au fait, cet article n'implique pas uniquement le ministère de la Justice mais prévoit que le gel doit être prononcé par arrêté ministériel, pris en Conseil des ministres, à la diligence de trois ministères, dont celui de l'économie et des finances et celui la planification et de la coopération externe. Sans être une instance juridictionnelle, ce Conseil des ministres, organe de l'Exécutif, s'est vu confier par cette loi une attribution qui, selon les juristes, peut lui permettre de persécuter et de déposséder les opposants du pouvoir.

Vous avez dit sanctions économiques pour Haïti ?

Comme une grande innovation dans l'histoire du Parlement haïtien, c'est sous la pression d'un délai venu de l'extérieur que l'on a invité les parlementaires à réfléchir et à voter « le plus vite possible », la loi relative au blanchiment des capitaux et au financement du terrorisme. Le délai préalablement fixé au 15 mars 2013, a dû être prorogé ; on est aujourd'hui en avril, rien n'est encore dit sur le sort de cette loi votée par les sénateurs mais encore en discussion chez les députés. L'Association des professionnels de banques (APB) se réserve le droit de demander un moratoire au groupe d'actions financières de la Caraïbes (GAFIC) qui menace de jeter sur Haïti de sévères sanctions économiques si cette loi n'est pas votée, sans tarder.

Remontant dans l'histoire d'Haïti, l'économiste Eddy Labossière fait remarquer que depuis sa naissance, Haïti n'a pas cessé de subir les sanctions de l'international. Haïti a dû vivre l'autarcie peu après son indépendance qui n'était pas reconnue par les tenants internationaux. Le président Jean-Pierre Boyer a dû payer pour obtenir la levée de cette sanction, rappelle le professeur Labossière qui fait aussi remarquer que récemment le pays a dû subir trois ans d'embargos, l'une des plus graves sanctions économiques. « Je ne vois pas quelle autre sanction plus grave pourraient nous réserver les amis de l'international». L'économiste croit tout de même que les parlementaires devraient accélérer leurs travaux sur cette loi. « S'agissant d'Haïti, je crois qu'on a épuisé tous les modes de sanctions »

Entre-temps, la loi sur le blanchiment fait encore débats. Si les députés y opèrent des modifications, ladite loi devra être retournée au Sénat. Et le temps passera. Ainsi, le Parlement haïtien prendra « le temps nécessaire » pour la voter, au nom du principe de l'exercice libre et souverain de la fonction législative.
Eddy Laguerre

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