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Déclaration d’organisations de la société civile haïtienne à la veille de la seconde ronde des conversations multilatérales sur le dossier haïtiano-dominicain

Drapeau-Haitien

A l'approche de la prochaine ronde de conversations des deux commissions ad hoc haïtienne et dominicaine prévue pour le 3 février à Jimani, nous, organisations signataires de cette note croyons opportun de faire état des faits suivants et d'émettre quelques recommandations :

A) Constats

La déclaration du 7 janvier 2014 signée par les deux parties à Ouanaminthe et les déclarations subséquentes dans la presse par des officiels haïtiens, avaient laissé entendre que le gouvernement dominicain s'était engagé à prendre des mesures garantissant les droits acquis des Dominicains d'ascendance haïtienne visés par l'arrêt du Tribunal constitutionnel TC 168-13. Or, du 7 janvier à ce jour, le gouvernement dominicain n'a pris aucune mesure concrète en ce sens. Au contraire, l'on assiste plutôt à un ensemble de manœuvres qui permettent de mettre en doute la bonne foi des interlocuteurs dominicains. Parmi elles, citons :

1. des déclarations d'officiels dominicains pour faire croire à l'opinion publique dominicaine et internationale que la République d'Haïti, en reconnaissant le droit souverain de la République Dominicaine de déterminer les conditions d'attribution de la nationalité et d'édicter ses lois migratoires, avait changé sa position concernant l'arrêt TC 168-13.

2. des démarches auprès de l'opinion publique internationale, y compris l'OEA, visant à faire croire que le problème épineux créé par l'arrêt TC 168-13 était pratiquement résolu, grâce à ce dialogue bilatéral. En effet, de nombreuses déclarations dominicaines entretiennent la confusion en présentant systématiquement l'application du Plan National de Régularisation (qui concerne des immigrants étrangers, en majorité haïtiens) comme la solution au problème de dénationalisation de Dominicains déchus de leurs droits acquis par l'arrêt TC 168-13.

3. des imprécisions dominicaines concernant un supposé engagement dominicain de surseoir aux « déportations» d'Haïtiens pendant 18 mois, engagement qui n'est pas mentionné dans la déclaration de Ouanaminthe. Par contre, l'article 4 du Plan de régularisation stipule clairement que tout étranger qui ne remplit pas les conditions ou n'obéit pas aux dispositions de régularisation sera sujet à déportation.

4. des manipulations dans la presse dominicaine annonçant la levée imminente de l'embargo sur les œufs et poulets, comme l'un des points concédés par la République d'Haïti. Point qui a fait l'objet de démenti formel par le secrétaire d'état à l'agriculture, M. Michel Chancy.

Par ailleurs, l'on continue d'assister à la pratique de certains hauts fonctionnaires dominicains de parler en termes irrespectueux de la République d'Haïti, de ses dirigeants et de son peuple. Nous nous référons en particulier aux propos d'un fonctionnaire de rang ministériel, M. Euclides Gutierrez Felix traitant le gouvernement haïtien « d'une bande de petits délinquants » (voir zdigital du 15 juin 2013) et à ceux de Vincho Castillo qui avait qualifié Haïti d' « État-Narco » (Listin Diario du 23 juillet 2013). Ces propos injurieux venant de fonctionnaires étrangers sont inacceptables, quelles que soient par ailleurs les reproches que nous, citoyens haïtiens, pouvons adresser à nos dirigeants.

B) Recommandations:

Face à cette situation, les signataires de la présente réitèrent leur appel précédent à la vigilance et à la fermeté de la part du gouvernement haïtien en ce qui concerne ces discussions.

La République d'Haïti ne peut faire moins que tous ceux et celles qui, en République Dominicaine, dans la Caraïbe, en Amérique et ailleurs, ont clairement fait savoir leur position en condamnant cette décision scélérate de la Cour constitutionnelle dominicaine. Haïti doit continuer à maintenir sa position initiale et définir des stratégies pour renforcer le nombre d'alliés internationaux autour de cette question. Elle doit continuer à réclamer de manière inébranlable la révocation pure et simple de l'arrêt TC 168-13, qui devrait être la condition sine qua non à la signature de tout accord avec la République Dominicaine.

La République d'Haïti, à travers son ambassade en République Dominicaine, doit formellement adresser aux autorités dominicaines la protestation la plus claire contre les écarts de langage d'officiels dominicains, inadmissibles pour l'Etat et le peuple haïtiens, et tout à fait contraires aux normes régissant les rapports entre nations civilisées.

Les deux gouvernements ayant convenu de relancer la Commission Mixte bilatérale haïtiano-dominicaine, les signataires recommandent fortement d'en effectuer le bilan, ce qui permettrait d'identifier les problèmes qui l'ont rendue jusqu'ici dysfonctionnelle. En même temps, les orientations de fond pour le traitement des trois principales questions contentieuses, (i.e. migration, commerce et sécurité frontalière) devraient être clairement définies au niveau des commissions ad hoc.

En ce qui concerne l'État haïtien, la déclaration conjointe laissait entendre qu'il s'est engagé à fournir des documents d'identification appropriés aux travailleurs migrants en République Dominicaine afin de compléter le processus de régularisation. Jusqu'à date, en dehors d'un arrêté paru dans le Moniteur le 16 janvier 2014, accordant à toute personne dépourvue d'acte de naissance, un délai de 5 ans pour faire régulariser son état civil, aucune annonce n'est faite pour expliquer les dispositions prises afin de permettre à nos concitoyens de se doter de ces documents et du coup finir avec la situation irrégulière qu'ils vivent en République Dominicaine et qui les rend vulnérables à toutes sortes de violations de Droits Humains. Face à cette situation, les signataires de la présente réitèrent leur appel précédent à la célérité et à la vigilance de la part du gouvernement haïtien.

La République d'Haïti doit continuer à demander l'implication des sociétés civiles haïtienne et dominicaine comme partie prenante dans ce dialogue, en soulignant que le secteur privé des affaires ne peut en aucun cas être représentatif à lui seul de la société civile toute entière.

Pour finir, les organisations signataires, tout comme la société civile haïtienne dans son ensemble, aimeraient être informées sur l'agenda des prochaines réunions et particulièrement de la seconde prévue à Jimani dans moins de quinze jours. Redisons-le : « Plus le processus est transparent et participatif, plus forte sera la position de l'Etat et du peuple haïtiens dans la gestion de ce délicat dossier ».

Fait à Port-au-Prince, le 22 janvier 2014

Pour le Groupe d'Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR.) : Jean Baptiste Azolin

Pour le Service Jésuite aux Réfugiés et aux Migrants (SJRM) : Père Antoine Lissaint

Pour le Collectif Haïtien sur les Migrations et le Développement (COHAMID) : Guy Alexandre

Pour la Fondation ZILE : Edwin Paraison

Pour le Comité Mémoire 1937 : Rachelle Charlier Doucet

Soumis par Edwin Paraison

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