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L’Espagne appelle à l’aide le continent latino-américain

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Une épaisse fumée noire s'élève vers le ciel. La route qui part de l'aéroport de Jerez de la Frontera pour emmener les dix-neuf chefs d'Etat assister vendredi 16 et samedi 17 novembre au XXIIe sommet ibéroaméricain, dans la ville andalouse de Cadix, passe devant les chantiers navals, qui se meurent avec la crise. Pour attirer leur attention, les chômeurs du secteur y brûlent des pneus et déploient des banderoles exigeant « du travail pour la baie ».

Sans doute pensent-ils à leurs compatriotes de Galice, dans le nord du pays, qui ont appris cet été que la compagnie pétrolière mexicaine Pemex fera construire chez eux deux hôtels flottants pour ses plateformes offshore. Un projet qui donnera du travail durant 30 mois à 3000 personnes dans des chantiers navals qui n'avaient pas signé de nouveaux contrats depuis 5 ans et a perdu 7000 emplois en deux ans.

Ils ne sont pas les seuls à appeler de leurs vœux les investissements des « multilatinas », ces grandes entreprises d'Amérique latine parties à la conquête du monde. La belle Cadix, d'où sortirent durant des siècles les bateaux en route pour « les Amériques », aspire à redevenir la porte d'entrée du « Nouveau continent » en Europe. C'est tout l'enjeu du sommet qui s'y tenait ce week-end et avait pour mot d'ordre celui de la "relation rénovée".

« Nous avons besoin de plus d'Ibero-Amérique, » a plaidé le roi Juan Carlos lors de la cérémonie d'inauguration de cette rencontre internationale qui réunit chaque année les chefs d'Etat d'Amérique latine, d'Espagne et du Portugal. « Auparavant, l'Amérique latine était une opportunité pour l'Europe. Aujourd'hui l'Europe doit être une opportunité pour l'Amérique latine, » avait défendu plus tôt le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, devant un parterre de chefs d'Etat, dont la présidente du Brésil, Dilma Roussef, ceux du Chili, de la Bolivie, du Mexique, de la Colombie ou de l'Equateur. Ne manquaient à l'appel que ceux de Cuba, d'Argentine, du Venezuela, du Nicaragua du Guatemala, du Paraguay et de l'Uruguay.

A sa naissance, en 1991, ce sommet international était une référence dans la région. L'Espagne, la « mère patrie », était courtisée par ses anciennes colonies, qui sortaient de « la décennie perdue » des années 80, celle de la crise et des dictatures. Son entrée dans l'Union européenne et sa transition démocratique, après la mort de Franco, en faisait un modèle à imiter. En position de force, Madrid cultivait ses relations avec un continent qu'elle considérait comme sa chasse gardée et ses grandes entreprises, comme les banques Santander ou BBVA, Telefonica ou la compagnie pétrolière Repsol y prenaient position.

Mais aujourd'hui, l'Espagne ne fait plus rêver les nations émergentes d'un continent qui affiche une croissance enviable quand la vieille Europe est en récession. Et c'est la péninsule qui l'appelle à l'aide, en essayant de faire valoir le rôle qu'elle pourrait jouer dans la région , où la Chine est de plus en plus présente. "Le développement ne peut pas se baser seulement sur l'exportation des matières premières. L'Espagne et le Portugal peuvent apporter de la technologie, des bonnes pratiques, un stock d'investissements et une porte d'entrée pour ses investissements croissants en Europe," a insisté Jesus Garcia, secrétaire d'Etat en charge de la coopération et du monde ibéro-américain, à la veille de la rencontre. Pour le ministre des affaires étrangères, José Garcia Margallo, « l'Espagne doit être une plateforme pour les entreprises latino-américaines qui souhaitent investir en Afrique du Nord. »

Mais l'Amérique latine a-t-elle encore besoin de l'Espagne ? Le Brésil, devenu la sixième puissance économique mondiale, peut se passer de son intermédiation. Tout comme le Chili, dont le PIB par habitant est proche de la moyenne européenne et le Pérou qui croît à des rythmes soutenus.

L'Argentine a montré le peu de considérations qu'elle accordait à ses relations avec l'Espagne en privatisant YPF, la filiale argentine de la compagnie pétrolière Repsol sans préavis, ce qui a provoqué une crise diplomatique qui explique au moins en partie son absence à Cadix.

Le président de l'Equateur, Rafael Correa, s'est mis en position de force en rappelant que le chômage n'est à Quito que de 4,6%, promettant de faciliter le "retour productif" de ses 600 000 immigrés en Espagne et invitant les enseignants espagnols â venir exercer à Quito où doit être mise en place une réforme universitaire. Selon une étude publiée par le gouvernement, 72% des Résidents équatoriens en Espagne souhaiteraient rentrer, mais beaucoup sont pris au piège par leurs crédits immobiliers.

Quant à la Bolivie, elle a choisi de qualifier son programme culturel de mise en valeur de la culture indigène, celle des peuples dits originaires, de "décolonisation".

Pour le chercheur en chef de l'institut de géopolitique Elcano, Carlos Malamud, « le virage à gauche de l'Amérique latine s'est accompagné d'un questionnement du concept de mère patrie et du rôle civilisateur de la colonisation, qui n'avait pas cours jusqu'alors. Et la crise de 2008 a donné des munitions à ceux qui bombent le torse face à une Espagne décadente. »

Plus généralement, après des années durant lesquelles des centaines de milliers de latino-américains sont venus participer à la fiesta du boom immobilier, « l'Espagne a cessé de représenter un objet de désir, » souligne le directeur de l'Institut des études latino-américaine (Ielat) de l'Université d'Alcala de Henares, Pedro Perez Herrero.

Avec la crise, les migrants d'hier ont pris le chemin du retour, faute de trouver un emploi en Espagne où un quart de la population active est au chômage. Et les Espagnols leur emboîtent le pas. Ce n'est pas le gouvernement qui les découragerait, lui qui incite les PME à suivre les traces des multinationales qui réalisent dans la région l'essentiel de leurs bénéfices. A condition toutefois de garantir la sécurité juridique des investissements, l'expropriation d'YPF par le gouvernement de Cristina Kirchner, ayant effrayé les chefs d'entreprises.

Mais si l'Espagne a tout à gagner de la bonne marche des relation iberoaméricaines, l'Amérique latine est-elle convaincue des bénéfices qu'elle en tirerait. En créant en 2010 la Communauté des Etats latinoaméricains et caribéens, (CELAC), "elle a montré qu'elle voulait s'affranchir du paternalisme des Etats-Unis, du Canada et de l'Europe," souligne M. Malamud.

Pour M. Correa, le sommet est avant tout "symbolique." L'occasion de cette photo de famille où compter les absents semblent plus importants que parler des échanges de ceux qui étaient présents. L'Espagne parviendra-t-elle à gagner davantage que cette image de cordialité ? Le sommet s'est contenté de laisser chacun des dirigeants présents faire un monologue sur ses propres préoccupations nationales sans définir d'axes pour une coopération mutuelle.

Samedi soir, les chefs d'Etat ont repris le chemin de l'aéroport de Jerez de la Frontera. Ils ne savent sans soute pas que cette ville célébrée pour ses vins, ses monuments et ses chevaux, est privée de ramassage des ordures depuis 15 jours du fait d'une grève qui fait le bonheur des rats, que la mairie dont les dettes avoisinent le milliard d'euros a licencié 260 employés municipaux et s'apprête à en licencier 150 autres, et que le chômage y est de 35% de la population active... Ou peut-être que si...

Sandrine Morel
Source: Espagne.blog.lemonde.fr