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Crédit, oui...mais...
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Economistes et cols blancs du système bancaire parlent. En « off », comme en « on », ils partagent des infos, expriment des préoccupations après le « plaidoyer » du président Michel J. Martelly pour que les banques commerciales octroient plus de crédit au peuple. « Il faut d'abord créer les conditions pour avoir plus de crédit », croit Kesner Pharel.
Sans forcer sur les traits d'un tableau économique sombre, défavorable aux crédits malgré des taux d'intérêt historiquement bas, l'économiste, dans la foulée, renvoie la balle au chef de l'Etat. Intéressé à savoir en quoi la politique économique du gouvernement favorise des crédits aux secteurs productifs, Pharel, loin d'être fan des banques de développement (BD), indique que l'Etat dispose de ses propres leviers pour financer les secteurs productifs.
« L'Etat a la BNC, le FDI, la BPH. Il peut aussi placer des ressources provenant du budget de la République dans des fonds spéciaux pour financer les PME et le secteur agricole », fait remarquer Kesner Pharel, regrettant que le chef de l'Etat « s'expose » en parlant d'un sujet très technique et très sensible, sans briefing. « Une crise financière et une crise bancaire, c'est la dernière chose qu'on voudrait avoir », souligne l'économiste favorable à la création d'un cadre économique propice aux affaires et à l'inclusion financière en Haïti où seulement 10 % de la population en milieu urbain et 5% en milieu rural a accès au crédit.
Contrairement à ceux qui imputent uniquement la responsabilité de ce faible niveau de crédit à l'indolence ou à la mauvaise foi des banques commerciales, Kesner Pharel présente quelques chiffres. Les dépôts à vue et d'épargne dans le système sont de 82 % contre 20 % pour les dépôts à terme, révèle l'économiste. Dans ces conditions, la banque doit toujours avoir à sa disposition l'argent du déposant qui peut le réclamer à n'importe quel moment. Ce n'est pas le cas en République dominicaine où le taux du dépôt à terme est de 30 %, argumente Pharel, convaincu que les banques commerciales haïtiennes, en surliquidité, sont conservatrices par obligation de respect des normes prudentielles.
Même rhétorique
« La surliquidité n'est pas le reflet de la mauvaise foi des banques, car les taux d'intérêt sont très bas », confie un banquier en « off ». Le gouvernement, poursuit-il, ne peut pas s'immiscer dans le marché pour demander plus de crédit. « Si le gouvernement veut augmenter le crédit, cela ne peut se faire qu'à travers des instruments de marché et un cadre favorable à l'investissement », soutient-il, citant quelques mesures indispensables si l'on veut renverser la tendance. « Il faut une politique monétaire qui définisse le taux d'intérêt, des incitations fiscales et des mécanismes de garantie des risques de crédit », argumente ce banquier, croyant que le gouvernement devra garantir les crédits pour les « start-up » (les nouvelles entreprises) qui font faillite dans des proportions importantes. « Plus de 70 % des start-up font faillite », soutient-il. « Tous ces instruments vont fonctionner dans un cadre favorable à l'investissement, à savoir la stabilité politique, le respect du droit de propriété et une justice forte et équitable », souhaite ce banquier, qui rejette les critiques contre le système bancaire « chiche, dit-on, à octroyer des crédits ». « Au 27 juillet 2012, le total des crédits octroyés par le système bancaire est de 49 milliards de gourdes sur des dépôts totaux de 146 milliards de gourdes », explique ce banquier, prompt à souligner que 30 à 32 % de chaque gourde déposée à la banque est confiée à la BRH en réserve obligatoire non rémunérée. En moyenne, les banques prêtent environ 30 % des fonds à leur disposition, poursuit-il, un zeste tatillon en appelant à une baisse du taux de réserve obligatoire non rémunérée perçu par la BRH, assez timide sur le front des crédits à l'industrie avec sa filiale, le Fonds de développement industriel (FDI). La BNC, en termes de liquidité, au 31 mars 2012, dispose de 27,7 milliards de gourdes, la Unibank 17,8, la Sogebank 13,6, Capital Bank 3,3, Scotiabank 2.7, la Citybank 2,4, la Sogebel 1,9, la BUH 1,6 et la BPH 1,0 milliard, selon ce banquier, citant des chiffres de la BRH. « Tout cet argent, ce n'est pas celui des banques, mais celui des déposants », souligne à l'encre forte ce banquier.
Faible demande solvable
2,2 milliards de dollars US (53 milliards de gourdes) sont en dépôt dans le système bancaire haïtien. Le taux de réserve obligatoire sur chaque dollar est de 34 %. Les prêts en dollars sont limités à 50 % du total des dépôts en dollars, soit 1,1 milliard de 2,2 milliards de dollars, selon un autre banquier. « Au 27 juillet 2012, le portefeuille des crédits en dollars était de 604 millions de dollars », poursuit ce banquier, rappelant que les banques font des affaires et financent tout projet bancable et tout client solvable. En dépit des taux d'intérêt au plus bas depuis les 20 dernières années, la demande solvable n'a pas augmenté de manière significative, note le même banquier, soulignant en revanche que « le crédit dans le système bancaire, du 30 septembre 2011 au 27 juillet 2012, est passé de 40 à 49,6 milliards de gourdes, soit une croissance de 24 % ». « Le vrai défi est de faire 7 % de croissance. Comme ça, en 10 ans, le revenu national doublerait », ajoute ce banquier, qui lie l'augmentation du PIB à celle du taux de crédit.
Comme ce banquier, l'économiste Pierre Marie Boisson est ouvert à toute discussion avec le président de la République, Michel Joseph Martelly. « La première condition pour que le crédit se développe, c'est la demande solvable. Si tu forces le crédit, tu auras des crises », soutient Boisson. « Quand les risques sont élevés, comme en Haïti, les banques sont conservatrices, car elles ne peuvent pas perdre plus de 2 % des crédits octroyés. C'est le plus élevé, dans les pays sous-développés. Si c'est plus élevé alors c'est la faillite, la disparition », ajoute Boisson, qui est pour un renforcement de la classe moyenne, 7 % de la population actuelle avec des revenus mensuels chiffrés entre 400 et 4 000 dollars US par mois. « Même cette classe moyenne ne construit pas de logements à cause des contraintes foncières », explique-t-il à fond dans son plaidoyer pour que l'Etat crée les cadres favorables à l'investissement, au développement économique. C'est ça le travail de l'Etat, indique l'économiste, qui souligne que le résultat est toujours catastrophique quand l'Etat croit qu'il peut faire mieux que le privé. Soulignant que le secteur bancaire est passé de 2 000 à 150 000 crédits en 20 ans, Boisson opte pour un partenariat renforcé entre le secteur privé et le secteur public.
«De la poudre aux yeux», selon Camille Charlmers
« C'est de la poudre aux yeux, car le président Martelly sait très bien que le système financier haïtien n'a rien à voir avec l'économie réelle de ce pays. C'est un système construit sur une logique de spéculation, sur des taux d'intermédiation exagérés lequel système n'a jamais eu la volonté d'appuyer les secteurs productifs », indique l'économiste et altermondialiste Camille Charlmers. « C'est, poursuit-il, un système de rente qui fait de l'argent dans la vente de devises ». « Il faut, d'après Charlmers, changer complètement la logique de ce système pour qu'il vienne en appui à la production ». « Dans les 125 milliards de gourdes d'épargne captées, il faut qu'au moins 60 à 65 % soient orientées vers les secteurs productifs. La gestion des portefeuilles doit prendre en compte la situation objective des acteurs économiques afin de développer des rapports de confiance avec les agriculteurs », plaide Charlmers, qui dit n'être pas favorable au crédit pourri. « Ce n'est pas le cas, je ne suis pas favorable au crédit pourri. Quand les institutions financières développent des relations de proximité avec les clients, les chiffres montrent que l'expérience n'est pas mauvaise. 96 à 98 % des 1 million de clients des caisses populaires remboursent les prêts contractés », explique-t-il, appelant, d'un autre côté, la BRH à mettre en place une architecture financière qui permet de stimuler la production nationale. Le gouvernement doit abandonner l'orientation monétariste, sortir de la politique conservatrice, responsable de l'assèchement du crédit, souligne Camille Charlmers qui critique le FMI. « La politique monétariste imposée par le FMI empêche la BRH d'utiliser une partie des réserves obligatoires disponibles pour stimuler la production », admet l'altermondialiste, tout aussi critique envers les banquiers haïtiens qui financent les importateurs revendant des fois 10 fois plus cher des produits de consommation de masse sur le marché haïtien.
Entre-temps, les arguments s'affrontent sur le crédit. Le président Martelly, mardi dernier, avait donné le coup d'envoi. « Aujourd'hui, est-ce que vous sentez qu'il y a une politique sociale et économique qui va dans le sens de la vision du gouvernement Martelly/ Lamothe à travers les banques ? On ne la trouve pas », avait déclaré Martelly dans son diagnostic. Le chef de l'Etat voudrait que le portefeuille de crédit des banques soit plus important. Dans le respect des normes prudentielles, des lois nationales et internationales régissant le secteur, avait souligné Martelly, qui est d'avis qu'il faut persuader et non recourir à la force pour convaincre les banquiers, certaines fois empêtrés avec des surliquidités flirtant le milliard de dollars us, de la nécessité de donner plus de crédit. « Il y a ONAPAM pour les cotisants de l'ONA. BNC est venue avec Kay pam. Mais, à cause de certains problèmes, quelques citoyens ont trouvé du crédit. Le peuple n'a rien bénéficié. Moi, je veux que l'on se penche sur la recherche de moyens pour prêter à la population. Pas à n'importe qui. Il y a des gens dépourvus de moyens financiers qui ont de bonnes idées d'affaires », avait indiqué le président Martelly, citant des agriculteurs qui pourraient devenir de grands entrepreneurs s'ils avaient accès au crédit. Il s'intéresse aussi au crédit au logement. « S'il y a des problèmes de titres de propriété, il faut que les banques en informent l'Etat. On se mettra ensemble pour créer des commissions afin de gérer ces problèmes et apporter des solutions », avait affirmé le chef de l'Etat haïtien, déterminé à discuter avec les grands argentiers de la République.
Pressé, Martelly n'envisage pas pour le moment la création d'une banque de développement capable de financer les PME intervenant dans différents secteurs de l'économie, durement frappés par le séisme du 12 janvier 2010. « Tout ce qu'on veut créer en démarrant prendra beaucoup de temps », avait précisé Martelly, qui, jusqu'au week-end dernier, n'avait pas officiellement contacté l'Association professionnelle des banques (APB) pour discuter de la question.
Roberson Alphonse
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Le Nouvelliste