Economie
PetroCaribe-Sénat : les complices de service...
- Détails
- Catégorie : Economie
Par Hérold Jean-François
Après avoir renversé un président de la République qui avait un soutien populaire comme rarement chef d'État haïtien l'a eu, le 30 septembre 1991, l'Armée avait de bonnes raisons de croire qu'elle était intouchable et que sa prépondérance dans le système politique haïtien était consacrée. D'ailleurs les militaires et les militaristes haïtiens sont profondément pénétrés de la certitude que la nation est née avec l'Armée, comme quoi le destin de l'institution militaire est lié à l'existence même de la nation.
L'Armée d'Haïti et ses chefs qui l'ont conduite à sa perte, toute «la grande famille du 30 septembre» était loin de douter qu'avec le coup d'État contre Jean-Bertrand Aristide, l'institution militaire, par son comportement et sa gestion catastrophique de l'espace politique, avait creusé sa propre tombe. On a beau lancer des mises en garde et des avertissements que les militaires et leurs supporteurs, confiants dans leur superbe étaient trop rivés à leurs petits intérêts de maîtres du moment pour voir venir la fin imminente.
Le 26 mai 1993, dans le journal Le Nouvelliste, nous avions publié un texte intitulé : « Le Dernier Képi». Nous avions mis en lumière que le Général Raoul Cédras pourrait être la dernière tête à képi qui s'imposerait à la nation par le fait d'être le Commandant en chef des Forces armées d'Haïti, et que l'Armée jouait son avenir... Mais à l'époque, la partie était belle et l'Armée pensait détenir toutes les cartes. L'intransigeance était le maître mot, les militaires occupaient tout l'espace, Marc Bazin est à la barre avec ses «plusieurs chapeaux», la répression fait rage dans le camp populaire, les alliés du grand quartier Général, parmi eux, le Front pour l'Avancement et le Progrès d'Haïti (FRAPH) , articule la terreur pour neutraliser les populations des quartiers populaires soutenant la résistance au coup d'État, l'Armée pensait avoir un bel avenir devant elle...Nous connaissons l'histoire...
Pourquoi revenons-nous avec cette illustration historique?
Dans plusieurs écrits précédents, nous avons attiré l'attention sur la menace qui pèse sur le Parlement en général et sur le Sénat de la République en particulier. Hier encore, dans une adresse au nouveau Président du Sénat, Joseph Lambert, nous avons mis en évidence les risques qui pèsent sur le Grand Corps si aucun effort n'est fait pour rectifier le tir. Mais aujourd'hui, la majorité présidentielle ne recule devant aucune position répugnante pour cautionner le plus grand détournement de fonds du Trésor public de toute l'histoire d'Haïti. Avec des complices et supporteurs aussi zélés que la bande au Sénateur Kedlaire Augustin, chef de cette majorité qui met sa science ou sa bêtise au service de la mauvaise cause, les sénateurs ne pensent certainement pas que la 50e Législature pourrait être les derniers kilomètres du Sénat dans l'histoire politique de ce Corps dans l'histoire de notre pays. Le Sénat, presque aussi vieux que la nation, peut bien être en train de jouer le dernier acte de la pièce avec le dossier du détournement scandaleux des fonds du programme PetroCaribe. Mais que peut-on être bête quand on est un fanatique aveugle! Que peut-on prétendre lire à l'envers les prescrits de la Constitution et argumenter en sens contraire! Et que peut-on être aussi sot pour penser que toute la République est à ce point ignare pour ne pas voir l'imposture et la sotte arrogance d'un avocat qui se prévaut de son diplôme et de son statut d'homme de la basoche pour jouer à l'intelligent, à l'insolent. Pour mémoire, nous rappelons in extenso, le libellé de l'article 118 de la Constitution en vigueur:
Article 118:« Chaque chambre a le droit d'enquêter sur les questions dont elle est saisie».
Pourquoi la nation dont le dénuement lui voue le mépris, le dénigrement, la vomissure de dirigeants de grande puissance, devait-elle continuer à engraisser de son sang et sa sueur des parasites qui constituent un Corps qui œuvre contre ses intérêts supérieurs, contre sa survie. Pourquoi les Haïtiennes et Haïtiens devront-ils, à la prochaine élection, aller consciemment voter pour renouveler le Corps des complices des potentiels concussionnaires de l'État qui ont détourné l'argent et les moyens qui auraient pu servir à changer leurs conditions de vie. Qu'est-ce qui empêcherait l'idée de renvoyer le Sénat, de faire son chemin et de revenir avec une Chambre unique des Communes qui défendraient désormais les intérêts des mandants de leur proximité dont ils ne trahiraient point le mandat? Pourquoi le pays ne devrait pas voir les meilleures opportunités qui soient dans l'idée de la convocation d'une Assemblée constituante qui travaillerait sur une toute nouvelle Constitution qui remplacerait la charte du 29 mars 1987, en respectant ses acquis quant au caractère démocratique de l'État; tout en nous débarrassant, avec tous les avantages que cela représente en gain économique et en garantie de fidélisation aux intérêts de la nation et de son peuple souverain, de tous les Corps inutiles dont l'existence dans l'état de dépravation et de délabrement mental actuels, constitue une menace pour le fonctionnement du régime démocratique perverti?
Ce choix conscient ne nous offrirait-il pas les moyens adéquats et l'opportunité de travailler désormais au développement des collectivités, des communes et de l'espace rural haïtien pour nous relever, refaire notre image et nous projeter en meilleure forme dans le regard du reste du monde? Pour ce que coûte le Sénat à la République, la répartition du budget ainsi récupéré aiderait de façon substantielle à transformer les réalités qui n'ont pas bougé dans ces espaces, depuis l'Indépendance. Ne convient-il pas de sortir de notre ghetto et de jeter un regard prospectif sur ce qui se fait ailleurs, au Sénégal notamment, avec l'argent alloué précédemment au Parlement. Construire de meilleures infrastructures scolaires, des bibliothèques, des centres de santé, des hôpitaux, des systèmes d'adduction d'eau potable, des centres de loisirs, des infrastructures culturelles et sportives pour l'épanouissement de la jeunesse, des centrales électriques à partir de choix multiples, ne sont-ce pas là de bien meilleures options qu'un Sénat budgétivore, inopérant et inutile à la République?
Si la relève d'Haïti passe par l'effacement du Sénat au profit d'une efficiente Chambre des Communes où chaque Député n'a aucun autre choix que de défendre les intérêts de son patelin, quelle que soit son attache politique, au risque de ne pas pouvoir retourner dans sa circonscription, s'il s'écarte de sa mission, le pays ne doit pas hésiter une seconde pour adopter cette option.
Qu'est-ce qui nous empêche, par ailleurs, de constater l'actuelle confusion des pouvoirs entre le Parlement et l'Exécutif dont la toute prépondérance est renforcée, contrairement et à la lettre et à l'esprit de la Constitution du 29 mars 1987 qui prône la séparation des pouvoirs jaloux de leurs prérogatives non transférables? Quel avenir a notre pays, si, de façon incompréhensible, il ne se secoue pas, ne se met pas debout pour voir et comprendre la nécessité de réagir en toute urgence, face à ce complot d'une association de malfaiteurs, d'un groupe de sangsues, qui à lui seul, veut s'octroyer tous les bénéfices du Budget de la République financé à coups de sacrifices imposés à un peuple en pleine inanition et qui, en retour, ne reçoit rien comme service? Qu'est-ce que la majorité présidentielle au Parlement a-t-elle en commun avec la majorité des citoyens démunis qu'on laisse exposer dans des cités bidon, patauger dans la boue infecte, au contact des fatras qui meublent son quotidien à tout moment et le long de canaux nauséabonds vecteurs de toutes sortes de maladies; qui n'a que le choix d'envahir les trottoirs et les rues de nos villes, de se déguiser en marchandes, pour essayer de ne pas crever de faim, étant exposée jour et nuit au dégagement de CO2 des grosses cylindrées aux sirènes assourdissantes de ses officiels et représentants qui, à la vérité, ne représentent désormais plus qu'eux-mêmes?
Donnez-nous une seule, rien qu'une raison pour qu'Haïti, dans ses couches majoritaires, le peuple dont les parlementaires, pour la plupart, trahissent le mandat en toute circonstance, maintienne le système politique actuel en dysfonctionnement, sans agir et réagir comme les peuples opprimés savent le faire, pour exiger sa réforme?
Les complices de service dans toutes les avenues du Parlement dont l'argent du PetroCaribe avait financé la campagne, ceux qu'on avait vus dans la séance du 31 janvier 2018 au Sénat de la République, défendre sans vergogne, sans gêne ni retenue aucune, en toute indécence, le vol, le pillage, la dilapidation, le détournement par tous les moyens, ceux-là doivent savoir qu'ils sont les principaux fossoyeurs des institutions démocratiques dont la mission principale est de contrôler la gestion du pouvoir exécutif. En se faisant complices pour des services rendus et des avantages obtenus de ceux-là qui, de leur lieu de pouvoir et attributions, ont causé des préjudices à l'État, plutôt que de le servir en filles et fils dévoués et honnêtes, ils doivent savoir qu'ils partageront également leur sort dans l'opprobre. Ils mettent en danger les assises institutionnelles de la République qui n'aura pas d'autres choix que de se débarrasser des organes inutiles qui mettent en danger sa survie. En se référant au corps humain et à la théorie de l'évolution, ne dit-on pas que « tout organe inutile tend à disparaître»? ...
Herold Jean Francois
Source: Lenouvelliste