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Et si la diaspora développait Haïti ?

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Les transferts de la diaspora haïtienne représentent plus de 20 % du PIB national. Vu l'augmentation continue des chiffres au fil des ans, ne devrait-on pas envisager une opportunité de développement au moyen ces fonds ?

En Haïti, comme dans toute société moderne, les revenus sont multiples. Les salaires, les revenus commerciaux (profits, dividendes…) font bouger l’économie octroyant un pouvoir d’achat à chaque ménage. Mais un autre type de revenus pèse très lourd dans l’économie haïtienne : les transferts. Représentant plus de 20 % du PIB haïtien, les transferts de la diaspora vers Haïti s’élevaient à plus de 1,923 milliard de dollars en 2014. Ce montant est relativement la plus grande proportion de toute l’Amérique latine et des Caraïbes. Si ces transactions peuvent autant influencer  l’économie, sauraient-elles offrir une tournure favorable au développement d’Haïti ?

Depuis le début de l’exode massive des Haïtiens vers l’étranger, les transferts d’argent ont entamé une courbe croissante. Déjà en 2006, la diaspora transférait plus d’un milliard de dollars vers l’alma mater. Haïti était le deuxième pays de la région latino-américaine à comptabiliser tous ces transferts. Selon une enquête de la Banque Interaméricaine de développement (BID), ce déluge monétaire pourrait favoriser le développement économique et social du pays. Par exemple, l’enquête indiquait que les gens de la classe moyenne reçoivent de l’argent. Donc les transferts ne sont pas nécessairement dédiés aux familles les plus pauvres ; 42 % des bénéficiaires avaient un niveau d’études secondaires. De plus, cette opportunité économique est à la disposition de plus de 500 000 familles haïtiennes.

Cette enquête de la BID visait à encourager le gouvernement, les entreprises privées et les Haïtiens à  investir une partie de ces montants dans le secteur financier. Depuis les transferts ont continué, les montants ont augmenté, mais les variations de l’économie n’ont pas été aussi positives. Le taux de croissance économique était de 2,3 % en 2006 et de 3,8 % en 2015, passant par une baisse de -5,4 % en 2010. Cependant il a atteint 6,1 % en 2011, le plus important taux pour ces dix dernières années. Et il se trouve que pour cette même année, le montant des transferts a atteint 2.057 milliards de dollars, le plus élevé de cette dernière décennie. Ce qui fait penser à une éventuelle corrélation entre les transferts et le taux de croissance ; mais ce n’est peut-être qu’une coïncidence…

En 2007, le gestionnaire du Fonds multilatéral d’investissement (FOMIN) affirmait : « Le monde entier sait pertinemment ce que veut dire la diaspora haïtienne, ce que cela représente pour Haïti. » L’activité économique générée par les transferts dans ce pays a toujours été considérable. De la création d’emplois à l’augmentation du PIB, les transferts sont une mine d’or pour ce pays. Quand le gouvernement Martelly-Lamothe  a lancé le Fonds National de l’Éducation qui consistait à prélever une taxe de 1,50 dollar sur chaque transfert, la prévision budgétaire sur les cinq ans s’élevait à 180 millions de dollars. Si cette décision n’a pas été bien accueillie, elle n’a pas eu grande influence sur la fréquence et le montant des transferts venant de la diaspora. Le montant de ces prélèvements destiné au développement social, l’éducation, représente un gros chiffre pour le budget national.  

Pour parler de développement, il faudrait que certains indicateurs économiques ou que certains facteurs varient dans un sens positif. Par exemple, il faudrait que la production augmente, que la balance commerciale soit équilibrée.  Aujourd’hui, l’exportation rapporte près de 1 milliard de dollars à ce pays alors que l’importation lui coûte plus de 4 milliards, ce qui totalise une balance de paiement de 3 milliards de dollars. Les transferts étant utilisés pour la consommation, nous pouvons supposer que les 2 milliards de la diaspora ne font que transiter dans l’économie haïtienne. Et, bien sûr, il reste encore 1 milliard à couvrir. Tant que ces montants ne serviront pas à l’accumulation de capital, aux investissements, à l’entrepreneuriat, il est impensable que les transferts favorisent le développement de ce pays.

De plus, le chiffre élevé des transferts qui ne cesse d’augmenter n’est que la somme de l’ensemble des montants envoyés par des Haïtiens de la diaspora à des proches. Pour parler d’investissements, l’argent doit être accumulé. Investir pour le développement reviendrait à canaliser ces montants ou une bonne partie dans un seul sens ; ce qui paraît un peu utopique. Selon Marc-Alain Boucicault, économiste, coordonnateur d’Elan Haïti, la solution envisageable en ce sens serait d’établir une relation plus étroite avec la diaspora.  Il faudrait donc bâtir une structure impliquant grandement nos compatriotes à l’étranger. L’argent qu’ils envoient en Haïti n’est pas la totalité de leurs revenus. Beaucoup font de l’épargne ou encore des investissements isolés. Une démarche plus pertinente consisterait à trouver des opportunités d’investissement pour ces gens de la diaspora, des opportunités qui seront favorables à leurs proches dans un délai moyen.

La diaspora reste l’un des plus grands acteurs de l’économie haïtienne. Cela fait trop longtemps que les chiffres le prouvent. Mais aujourd’hui, c’est l’économie mondiale qui est menacée et nos bienfaiteurs d’outremer ne sont pas à l’abri. Que se passera-t-il quand beaucoup d’entre eux ne pourront plus faire des transferts ?... De toute façon, le modèle d’assistanat n’est pas un cheval gagnant. Vous connaissez sûrement cet ancien dicton : « Donnez un poisson à un homme, et vous le nourrissez pour un jour. Apprenez-le à pêcher et vous le nourrissez pour une vie. »  Il reste seulement que les Haïtiens de la diaspora, et surtout les grands décideurs de l’économie haïtienne, puissent trouver une solution durable et gagnante pour les parties concernées.

Steeve Bazile
Source: LeNouvelliste