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Corruption et crise financière aux temps du choléra haïtien (1 de 3)
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Par Leslie Péan, 12 juin 2015 ---- L'épidémie de choléra qui a éclaté en octobre 2010 en Haïti, l’année du tremblement de terre du 12 janvier, a déjà fait plus de 8 500 morts en quatre ans. Des images montrant le déversement d’eaux usées provenant d’une base de militaires soldats de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) dans une rivière dont l’eau est consommée par la population ont permis de déterminer l’origine de l’épidémie qui a infecté plus de 700 000 personnes. Selon un groupe d'experts de l'ONU, « la source la plus probable d'introduction du choléra en Haïti était une personne infectée par la souche de choléra liée au Népal, qui se trouvait dans un campement de l’ONU à Mirebalais[i] ».
Par ailleurs, les soldats de la MINUSTAH ont été impliqués dans de nombreux scandales dont l’enlèvement et le viol d’un jeune homme de 18 ans par quatre soldats uruguayens et onze (11) cas d’abus sexuels pour la seule année 2014. Au chapitre du choléra, la lutte se révèle difficile étant donné les conditions sanitaires précaires dans lesquelles vit la grande majorité de la population. Après chaque avancée, un recul se manifeste.
Aujourd’hui, les nouvelles sont alarmantes à nouveau. L’aune d’évaluation des experts, qui était de 28 000 cas de choléra l’an dernier, une baisse significative par rapport aux 60 000 cas en 2013, ne peut pas être maintenue. Le coordinateur de la lutte contre le choléra en Haïti, Pedro Medrano[ii] estime, à partir des 1000 cas par semaine enregistrés les six derniers mois, que le cap des 50 000 nouveaux cas sera dépassé à la fin de 2015. Du 1er janvier au 28 mars 2015, 113 morts ont été recensés. Qu’un gouvernement soit insensible à pareille catastrophe et gaspille les fonds publics dans des carnavals et autres divertissements est symptomatique d’une insouciance maladive et inadmissible de la part des dirigeants du pays.
Dans notre vison des choses, le « choléra haïtien » apparaît comme une épidémie déclenchée dans un pays du tiers-monde sous occupation étrangère. Le virus est identifié par les propres spécialistes de l'occupant, comme transporté par ses troupes, sans pour cela accepter la moindre responsabilité sur le plan de l’indemnisation des victimes. L'expression « choléra haïtien » reflète aussi le refus du gouvernement haïtien d'engager les poursuites nécessaires pour obtenir réparation, tout en focalisant son action sur l’enrichissement illicite de ses suppôts et sur l'organisation de loisirs improductifs et extrêmement onéreux pour le Trésor public. Ainsi le pays est consumé à petit-feu, tandis que l'occupant exécute un agenda déroutant pour tous.
En fait, la société haïtienne est prise dans un tourbillon d’inversement des valeurs qui l’expose à toutes les corruptions. Y compris celle de la Croix Rouge américaine qui a collecté près d’un demi-milliard de dollars pour Haïti après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 et qui n’a construit que six maisons dans le quartier pauvre de Campêche, alors qu’elle s’était engagée à loger 130 000 personnes[iii]. Ayant adopté le vulgaire avec une certaine ferveur, notre société s’effrite au rythme d’un hédonisme incompatible avec les normes éthiques et morales ordinaires.
Le choléra de la corruption
Outre l’épidémie proprement dite, Haïti est en proie à un système de corruption tout aussi dévastateur. Toutes les malversations sont devenues possibles. Il ne se passe une bonne semaine sans qu’un fait de corruption notable ne soit révélé dans la presse. Et la vie continue comme si de rien n’était, dans l’impunité totale. Même pas une réprimande pour les coupables, comme cela se fait avec les banquiers dans le secteur de la haute finance aux États-Unis d’Amérique. En effet, ces derniers ne vont pas en prison et reçoivent des peines ridicules pour leurs forfaits parfois équivalant à 1% des montants extorqués. Et si de tels châtiments symboliques encouragent le crime, on peut s’imaginer la hausse des incitations à voler et piller en Haïti où les renards entrent et sévissent en toute liberté dans le poulailler. C’est le cas avec la dilapidation des fonds PetroCaribe[iv]. Le tableau est sombre et émaillé de truquages de tous genres. Il n’y a aucune transparence ni dans le choix des projets, des agents d’exécution, des firmes de supervision, ni dans les amendements apportés en cours de route aux contrats initiaux.
Haïti est le théâtre d’une triple crise qui se déploie avec la corruption, la crise financière et monétaire, le tout autour d’une épidémie de choléra qui sème la panique. Ceci était prévisible étant donné la surface du quadrillage du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) consacrant, de par son nom, l’absence lamentable d’une vision d’avenir. Quel cerveau normal pourrait décider de nommer une organisation politique « Parti des crânes rasés » ? Comment ignorer qu’une telle appellation renvoie au stéréotype des « crânes d’os » à consonance fasciste ? Cela donne déjà une idée de la débilité d’une pensée, experte seulement en plaisanteries grossières. Seulement des messages politiques confus peuvent en sortir. Au fait, ce « Parti à la boule zéro » a décidé d’assouplir sinon d’effacer mêmes les règles les plus élémentaires nécessaires au vivre ensemble, augmentant ainsi la complexité des problèmes auxquels la société haïtienne est confrontée.
La confiance n’existe plus et le pays tout entier est dans l’impasse. Les néophytes au pouvoir n’ont d’autre modèle que le pouvoir absolu de Duvalier. En taxant la diaspora et en révoquant les maires élus quelques mois après sa prise du pouvoir, le président a excellé dans la démagogie et a gaspillé les rares atouts de popularité que lui avait conférés son sobriquet accrocheur de « Sweet Micky » et qui l’avaient aidé dans sa rapide ascension. Ayant vite perdu le sens des réalités, il récolte aujourd’hui les fruits de son entêtement à refuser d’organiser les élections prévues par la Constitution. La corruption s’est intensifiée. Ses amis au pouvoir ont avalé pratiquement tout. Et, sentant que le vent va tourner, ils prennent des bouchées triples depuis six mois. Ce qui revient à pénaliser la gourde qui dégringole à un rythme sans précédent.
Dans l’analyse scientifique de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA) sur la situation financière et l’efficacité des dépenses publiques pour l’année 2013-2014, les tourments de l’administration haïtienne sous le gouvernement Martelly sont présentés dans le menu détail et illustrent l’état d’esprit dominant. C’est la condensation des problèmes hérités du duvaliérisme sanguinaire. L’absence de maturité du personnel politique en proie à la confusion est patente. Le pari du développement a été perdu avec les piètres performances du gouvernement Martelly dans l’utilisation des fonds PetroCaribe et de l’Aide Publique au Développement (APD), soit un total de 49 milliards de gourdes. L’incompétence dans toute son horreur est manifeste. Le gouvernement prouve tous les jours qu’il ne possède aucune des qualités requises pour gérer le pays. Les tâches les plus élémentaires sont continuellement reportées aux calendes grecques et rien ne se fait.
L’effet rasoir à double lame
La CSC/CA a exposé sans détours la corruption à tout-va dans l’utilisation de la loi d’urgence pour signer des contrats de gré à gré, sans appel d’offres et sans la moindre transparence. Ainsi, les dirigeants d’un petit groupe de firmes privées ont fait leurs choux gras avec l’argent public. 546 millions de dollars de contrats ont été ainsi signés. Ce coup de boutoir n’était qu’un début, car en février 2015, l’État avait des arriérés de paiement de 180 millions de dollars pour ces contrats signés en 2010. L’effet rasoir à double lame s’est manifesté dans toute sa laideur. Contrairement aux lois qui stipulent que l’avance de démarrage pour l’exécution de travaux ne doit pas dépasser 30% du montant total, le gouvernement a avancé dans des cas bien documentés jusqu’à 60% et même de 72% de ce montant. Par exemple, dans le Nord-Ouest, une firme qui devait construire un pont sur la rivière Barre reliant Anse-à -Foleur à la commune du Borgne a reçu une avance de démarrage représentant 64% du montant du marché depuis décembre 2012. Pourtant, deux ans plus tard, les travaux avaient à peine démarré. La même situation se rencontre à Jérémie où une entreprise a reçu 3.6 millions de dollars sur un montant total de 5 millions de dollars, soit 72%, pour des travaux qui n’avaient pas encore démarré six mois plus tard. Un autre exemple de la gabegie est celui du pont Hyppolite au Cap-Haïtien. Ce projet qui aurait dû être terminé en quatorze (14) mois, est en gestation depuis pratiquement quatre ans.
Les forcenés au bracelet rose ne lésinent pas dans leur rage de tout prendre pour eux et pour leurs amis. Un vrai scandale ! De manière générale, d’une part, 52% des 28.4 milliards de gourdes alloués à l’investissement ont été utilisés pour 51 contrats de gré à gré avec trois (3) firmes internationales qui mobilisent ainsi 75% de ces fonds. D’autre part, en ce qui concerne les fonds alloués aux firmes nationales, il convient de signaler que deux firmes ont reçu 42% de l’enveloppe globale des 25.5 milliards de gourdes consacrés à cette catégorie. En estimant qu’il est dans son bon droit, le PHTK et ses associés raflent tout. C’est ce que la CSC/CA a démontré en écrivant : « les dépenses publiques engagées et exécutées au cours des deux dernières années et dont les résultats auraient dû se faire sentir au cours de l’exercice 2013-2014 ont été globalement inefficaces sur le plan interne. En fait, les abus divers qui ont été relevés ne sont susceptibles de garantir ni la performance interne des contrats, ni la performance économique, encore moins de mettre le pays sur la route de 2030[v].» (à suivre)
Historien - Economiste
[i] Human Rights Watch, Rapport mondial 2015 : Haïti, janvier 2015, p. 4.
[ii] « Le choléra menace de nouveau Haïti », Le Devoir, Montréal, 8 mai 2015.
[iii] Justin Elliott, ProPublica et Laura Sullivan, NPR3, « Comment la Croix-Rouge a récolté un demi-milliard de dollars pour Haïti — et construit six maisons », Le Nouvelliste, 3 Juin 2015.
[iv] Leslie Péan, « La corruption rose et les fonds PetroCaribe », AlterPresse, 15, 16, 17, 18, et 19 novembre 2014. Lire également, « La dilapidation des fonds PetroCaribe par le gouvernement Martelly », AlterPresse, 17, 18, 19, 20 et 21 mars 2015.
[v] Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA), Rapport sur la situation financière et l’efficacité des dépenses publiques pour l’exercice 2013-2014, Port-au-Prince, 17 février 2015, p. 161.
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