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La corruption rose et les fonds PetroCaribe (1 de 5)

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par Leslie Péan, 13 novembre 2014 ---  Depuis sa prestation de serment le 14 mai 2011, le gouvernement de Michel Martelly (Sweet Micky) a bénéficié d’une aide extérieure massive. Cette assistance financière s’élève à près de deux milliards de dollars par an en dons, tous bailleurs confondus, et à plus d’un milliard de dollars en prêts. Ces crédits octroyés à des conditions douces proviennent essentiellement de la facilité financière PetroCaribe, commencée sous le gouvernement de René Préval en 2008 avec le Venezuela. Haïti bénéficie de 25 à 30 millions de dollars par mois de prêts, soit entre 300 et 360 millions de dollars l’an avec PetroCaribe, pour une période de 23 ans au taux d’intérêt annuel de 1%. Les sommes reçues par Haïti au titre de prêts représentent près de quatre fois le montant théoriquement collecté mensuellement à travers la taxation illégale des appels entrants et des transferts de la diaspora.

Mais pour Haïti, le résultat net de l’intégration dans l’initiative PetroCaribe est du lave men siye atè (se laver ses mains et les essuyer sur le sol) du fait que la gestion de cette manne financière échoit entre les mains de personnes sans vision, sans compétence et se dénommant eux-mêmes des bandits légaux. Une vraie graine de calamité a été plantée avec la bande Tèt Kale connue pour son appétit glouton et sa velléité pour le « Show business Â». Alors que le président Préval refusait d’endosser la camisole rouge des Chavistes pour ne pas irriter les Américains, ce sont les partisans de la négation préalable de tout projet populaire considéré comme « sentant mauvais Â» qui s’autoproclament Chavistes avec leur chemise rouge pour récolter les pétrodollars du Venezuela. On comprend que les autorités américaines ne soient ni offusquées ni préoccupées car ils savent que c’est du mauvais spectacle ! De la mise en scène pour brouiller les pistes.

Aujourd’hui cette facilité financière, provenant du gouvernement à sensibilité de gauche du Venezuela, permet à l’État haïtien dirigé par un gouvernement se réclamant du duvaliérisme de trouver une manne pour ses rapines à travers son budget d’investissement. Le président Chavez a honoré ce qu’il considère être une « dette historique Â» envers Haïti, en reconnaissance de l’appui donné à Miranda en 1806 et à Bolivar en 1816 par les gouvernements haïtiens. L’ironie de l’histoire veut que ce soit un gouvernement dirigé par une droite populiste qui en tire les fruits au bénéfice d’un petit groupe et au détriment de la population en général.

La gestion de la manne financière du Venezuela est assurée par l’entité dénommée Bureau de Monétisation des Programmes d’Aide au Développement (BMPAD) servant d’intermédiaire entre le fournisseur vénézuélien PDVSA et les compagnies pétrolières en Haïti. Ces dernières «  paient à l'État 100% de la valeur FOB des cargaisons. Selon les prix du baril sur le marché international, le Gouvernement haïtien transfère 40% à 70% des montants perçus, à la PDVSA Petroleo S.A. Le solde restant, soit 60% à 30%, doit être payé par Haïti, sur 25 ans à un taux d’intérêt annuel de 1% après un délai de grâce de 2 ans[i]. Â»

La cerise sur le gâteau et le gâteau sur la cerise

 De 2006 au 30 septembre 2014, Haïti a bénéficié d’un montant total d’ importations d'environ 31.7 millions de barils de produits pétroliers s’élevant à US$ 3,447,374,984.20. Ces produits pétroliers sont la gazoline, le diesel, le kérosène, le mazout et l’asphalte en provenance du Venezuela. Dès le commencement des activités financées par le fonds PetroCaribe, les accusations de corruption pleuvent sur le fonctionnement de l’institution BMPAD qui, loin d’être une institution de financement au service du bien public est plutôt vue comme une pompe à phynance pour les favoris et amis du président de la république.

Nous avions alors écrit : « les fonds de PetroCaribe sont gérés par le gouvernement de Préval comme le furent ceux de la Régie du Tabac et des Allumettes (RTA) sous François et Jean-Claude Duvalier. Ces fonds ne sont pas fiscalisés et dépendent uniquement de la présidence qui les utilise à sa guise. Les dilapidations de la bande à Préval sont connues. Les plus récentes sont les 197 millions de dollars dilapidés en 2008, puis les 163 millions de dollars disparues en un mois en 2010 dans des contrats de gré à gré avec des amis du pouvoir[ii]. Â» On sait qu’il y a même eu mort d’homme quand Robert Marcello, directeur de la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP), a été enlevé puis assassiné par les gangsters du pouvoir d’alors car il s’opposait à la manière dont ces derniers voulaient utiliser ces fonds à travers le Centre National des Équipements (CNE).

Les assassins de Robert Marcello n’ont pas fait marche arrière dans leurs pratiques criminelles depuis. Ils sont même passés à une vitesse supérieure dans leur mainmise sur l’État. Ce qui provoque des réactions de certains parlementaires comme le député Steven Benoit qui déclare le 1er septembre 2010 : 

« Je suis très surpris d'apprendre qu'après avoir « gagote » 163 millions de dollars que le pouvoir a décidé d'utiliser 103 millions provenant du programme PetroCaribe »[iii].

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Depuis la prestation de serment de Martelly le 14 mai 2011, 216 projets totalisant plus d’un milliard et cent six millions de dollars (voir tableau 1) ont été exécutés ou sont en voie d’exécution dans le plus grand désordre avec les fonds de PetroCaribe. La plus grande opacité règne sur la rentabilité réelle des projets pour le pays, la façon dont ils sont choisis, les études conduites pour déterminer leur faisabilité, les procédures utilisés pour recruter les firmes chargées de leur exécution, les moyens pour assurer leur gestion et leur entretien. À la gabegie microéconomique, s’ajoutent des éléments macroéconomiques dont la gestion monétaire qui provoquent la dépréciation de la gourde d’une part et la hausse des prix de consommation courante. À la prise de pouvoir le 14 mai 2011 par le gouvernement Martelly, le taux de change pour 1 US$ était de 40,26 gourdes. Aujourd’hui fin 2014, il est de 46 gourdes pour 1 US$.

Pendant que les fonds PetroCaribe sont gaspillés dans des carnavals et des voyages, le gouvernement vénézuélien a encore rétrocédé à Haïti trois cent soixante-neuf millions de dollars américains tirés de la portion cash payée par Haïti qui totalisait un milliard et 215 millions de dollars US au 31 juillet 2013. Ces fonds rétrocédés financent des projets gérés par l’entreprise mixte Société d’Investissement Pétion Bolivar SAM Â». Toutefois, cette dernière, créée le 28 mars 2012, est d’une grande opacité. La seule information la concernant est que l’institution vénézuélienne PDV y détient 51% des actions. L’aide du Venezuela a permis la création de trois usines électriques totalisant 61 mégawatts dont 34 mégawatts à Carrefour, 13.6 mégawatts aux Gonaïves et de 13.6 mégawatts au Cap-Haïtien. Dans le domaine de l’agriculture, 7 600 paysans bénéficient de cette aide qui est orientée vers la production rizicole dans la vallée de l’Artibonite. 10 000 hectares produisant 5.2 tonnes de riz à l’hectare ont été réhabilités, et ont été construits198 kilomètres de canaux, 139 kilomètres de drain et 44 kilomètres de routes secondaires[v].

Les inquiétudes exprimées antérieurement sous le gouvernement Préval concernant la mauvaise utilisation des fonds PetroCaribe ont refait surface sous le gouvernement Martelly avec plus d’intensité. La perception de l’arbitraire s’est renforcée à la lumière de la révélation par les journalistes Jean-Michel Caroit[vi] et Nuria Peria[vii] de contrats signés de gré à gré en une journée avec une seule firme dominicaine pour une valeur de 385 millions de dollars US ainsi qu’à la suite de la publication du Rapport préliminaire de la Commission d’Audit (CA)[viii] commandé par le premier ministre Garry Conille.

Le droit de savoir

Face au tir de barrage auquel il a été confronté pour protéger les malfrats impliqués dans cette escroquerie, le premier ministre Garry Conille a dû démissionner en février 2012. Dès lors, les renards sont libres dans le poulailler libre avec la communauté internationale délivrant un satisfecit déclarant la compétence des incompétents et l’honnêteté des voleurs. Aucune enquête n’a été ouverte par le parquet en Haïti sur les accusations de corruption contre le président Michel Martelly suspecté d’avoir reçu 2.5 millions de dollars de firmes dominicaines de construction. Les versements ont été effectués par les trois entreprises HADOM, DOCE et ROFI, preuves à l’appui. Tout comme le parquet n’a pas ouvert une enquête sur le rôle potentiel de Michel Martelly dans la disparition d’Evinx Daniel. La société haïtienne a le droit de savoir quand un individu disparaît après avoir été vu pour la dernière fois en compagnie du président de la République. C’est à nouveau le bond en arrière, le règne de la mafia et l’ensauvagement macoute dans cette logique de corruption historique consubstantielle analysée dans nos ouvrages[ix].

Le gouvernement Martelly semble avoir utilisé les grands moyens pour imposer le mutisme en faisant taire les parlementaires et les journalistes prêts à vendre leur âme afin que des questions ne soient pas posées sur ses dossiers sulfureux aux excès clairement visibles. Toutefois, en 2013, le sénateur Jocelerme Privert, Président de la Commission sénatoriale Économie et Finances, ne l’a pas entendu de cette oreille et a soulevé un coin du voile, surtout à un moment où la dette pétrolière d’Haïti avait atteint 938 millions de dollars. Ã‰voquant l’opacité et le gaspillage des fonds PetroCaribe, le sénateur Jocelerme Privert a provoqué l’ire de la Ministre des Finances qui a fait un baroud d’honneur en défendant la gestion de l’administration du BMPAD.

En décembre 2013, on arrive au cœur de la catastrophe et de l’horreur. La mauvaise utilisation des fonds PetroCaribe conduit le journaliste Roberson Alphonse à plonger dans l’œil du cyclone. Il écrit :

« un autre sénateur s’est offusqué que le gouvernement « utilise les catastrophes naturelles comme paravent pour engager des fonds en dehors des procédures dictées par la loi sur les marchés publics ». Après le cyclone Sandy, 450 millions de dollars ont été engagés sans appel d’offres, a expliqué ce parlementaire, qui rejoint les observations de la Banque mondiale. "Quand effectivement des investissements publics se font sur cette base, sans passation de marché, sans compétition, il y a de la place pour des suspicions de corruption", s’est désolé ce parlementaire. Hasard du calendrier ou "coup de com" planifié, la rencontre de Mary Barton-Dock avec la presse est intervenue vingt-quatre heures après la publication du rapport annuel de Transparency International sur l’indice de perception de la corruption. Selon ce classement, Haïti occupe la 163e place sur 177 pays[x]. Â»

En plusieurs occasions, Marie-Carmelle Jean-Marie, la ministre de l’Économie et des Finances, a dû voler au secours des choix d’un gouvernement qu’elle n’approuve pas dans son for intérieur et qu’elle réfute souvent indiquant la cacophonie existante au sein même de la caverne. Car, il s’agit d’une vraie caverne d’Ali Baba. Les indices sont multiples. Par exemple, quand en 2012, le premier ministre dit que le taux de croissance est de 7%, la ministre de l’Économie et des Finances ne met pas des gants pour rectifier et dire que le taux de croissance est seulement de 2.8%. Quand en 2013, le président de la République raconte la fable de la création de 400 000 emplois, la ministre de l’Économie et des Finances rectifie encore et parle de création de 10 000 emplois. (à suivre)

Leslie Péan
Economiste - Historien


[i] PDVSA et BMPA, Accord PetroCaribe, Rôle du Bureau de Monétisation, 2006.

[ii] Leslie Péan, « Le cataclysme des Duvalier et celui du 12 janvier 2010 Â», Alterpresse, 15 mars 2010

[iii] Roberson Alphonse, « L'odeur des dollars de PetroCaribe ou l’achat du silence de certains candidats a la présidence ? Â», Le Nouvelliste, 2 septembre 2010.

[iv] Bureau de Monétisation des Programmes d’Aide au Développement (BMPAD).

[v] PetroCaribe Management, Report Quarter I, People’s Ministry of Petroleum and Mining, Caracas, 2014, p. 26.

[vi] Jean-Michel Caroit, « Un scandale de corruption entache les autorités dominicaines et haïtiennes», Le Monde, 3 avril 2012. Voir aussi https://www.youtube.com/watch?v=msOpEebKIq4

[vii] Jean-Michel Caroit, « Les pièces du scandale Â», Le Nouvelliste, 2 avril 2012. Lire aussi Nuria Peria, « Documento del caso Félix Bautista Â», http://www.scribd.com/doc/87837992/...; « Nuria revela que Félix Bautista y amigos regalaron millones de dólares a Martelly Â», Acento.com.do, 02 de abril del 2012.

[viii] Rapport préliminaire de la Commission d’Audit (CA), Haiti-Observateur, 14-21 mars 2012.

[ix] Leslie Péan, L’Ensauvagement macoute et ses Conséquences (1957-1990), Tome 4, Editions Maisonneuve et Larose, Paris, France, 2007 ; Leslie Péan, Le Saccage (1915-1956), Tome 3, Maisonneuve et Larose, Paris, France, 2006 ; Leslie Péan, Tome 2, L’État marron, (1870-1915), Maisonneuve et Larose, Paris, France, 2005 ; Leslie Péan, Economie Politique de la Corruption, (1791-1870), tome I, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003.