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Marie Carmelle Jean-Marie, la transfiguration gouvernementale ?

recette et depenses publiques

Ce 10 avril 2013, c'était la nouvelle du jour : la ministre de l'Économie et des Finances, Marie Carmelle Jean-Marie (MCJM) venait de remettre sa démission au chef du gouvernement Laurent Lamothe. Ce n'était pas l'acte en soi qui surprenait, puisque la rumeur sur son éventuelle démission avait déjà fuité ; mais plutôt le contenu de la lettre de démission qui suscitait l'émoi.

Elle écrivait : « L'exercice de ministre de l'Économie et des Finances dans tout gouvernement démocratique requiert beaucoup de rigueur et d'abnégation. C'est là un rôle très ingrat mais que j'ai assumé dès le premier jour avec cœur et conviction. L'objectif assigné au ministre de l'Économie et des Finances est de tenir le cap de la sagesse et de la constance, non pas pour restreindre l'action gouvernementale, mais pour l'inscrire dans le chemin vertueux du respect des règles prescrites, comme de la stabilité macroéconomique, qui est non seulement une condition nécessaire de la pérennité de l'action publique pour la création d'emplois, mais aussi pour restaurer l'image d'Haïti tant à l'intérieur qu'à l'extérieur aujourd'hui dégradée. Je pense pouvoir affirmer que je n'ai ménagé aucun de mes efforts comme ceux de mes équipes pour y parvenir.»

marie-carmelle-jean-marie-ministre-finance-roseMadame la Ministre démissionnaire de poursuivre : « Par ailleurs nous ne pouvons nous contenter de pratiques désuètes et hier sanctionnées par une évaluation conduite selon les standards internationaux de l'évaluation PEFA (Public Expenditure and Financial Accountability, ndlr) et qui nous classe parmi les moins vertueux des États en matière de gestion des finances publiques. C'est pourquoi j'ai tenu à poursuivre une réforme conséquente et courageuse des administrations fiscale et douanière, qu'il s'agisse des politiques, des structures, de leur organisation et de leurs pratiques. C'est pourquoi également j'ai tenu à initier une réforme de grande ampleur au niveau de la gestion des finances publiques, dans ses règles, dans ses instruments, dans ses pratiques, y compris au niveau si sensible de la transparence, notamment en matière d'allocation des fonds budgétaires comme de la passation des marchés publics. Arrivée à ce stade, je ne peux que constater que je n'ai plus le soutien attendu sur l'ensemble de ces points. Je peux me battre contre l'adversité ou contre les aléas externes qui frappent avec régularité notre pays, mais pas contre le manque de solidarité de mes propres pairs.»

La démission de la Ministre, compte tenu des motivations avancées, suscitait sans surprise des remous, mais surtout un concert d'applaudissements. Cette chronique (Des idées pour le développement) qui a toujours fait l'apologie du respect des normes et de la rigueur dans la gestion de la chose publique n'était pas en reste (1). On soulignait ce qui semblait être un geste d'un rare symbolisme : une voix qui résonne et raisonne au milieu d'une totale confusion !

Moins d'un an plus tard, MCJM a fait un retour remarqué au gouvernement du même Premier ministre dont, en fait, allait-on découvrir, elle ne s'était jamais séparée. Car, selon les informations, elle continuait à conseiller le président de la République en matière économique. Les analystes politiques et économiques se mettaient alors à se questionner sur les « propres pairs » de MCJM qui se désolidarisaient de ses efforts de rigueur. Le Premier ministre était alors ciblé puisque l'on imaginait mal qu'un voire plusieurs ministres fassent obstacle à un programme de réforme administrative établi par le Président et le Premier ministre et exécuté par un membre des membres de l'équipe, en l'occurrence la Ministre de l'Économie et des Finances. Et ce n'est pas MCJM qui déchira le voile sur cette ambiguïté.
En entrevue à Radio Métropole, le lundi 26 mai 2014, MCJM a confirmé que les membres de l'actuelle équipe gouvernementale se courbe maintenant à la rigueur administrative. Comme si l'équipe naguère (Elle n'a été que faiblement modifiée) mise à l'index devenait soudainement vertueuse. L'incompréhension dont elle faisait montre en 2013 sur la réforme des finances publiques est totalement dissipée. Celle-ci est maintenant bien comprise par ses « propres pairs », voire les parlementaires. Ils acceptent tous aujourd'hui, à en croire MCJM, de faire les dépenses dans le cadre du Plan stratégique de développement d'Haïti (PSDH) qui porte sur la croissance, donc sur des investissements rentables.

La réforme, renchérit-elle, est bien comprise en expliquant : « Tout le monde s'est donné la peine de lire le plan de réforme des finances publiques, de lire le PSDH et de saisir les enjeux.» Ils peuvent maintenant collaborer comme dans le meilleur des mondes. Et comme par magie ou par l'opération du Saint-Esprit, l'équipe gouvernementale a, semble-t-il, transfiguré. Pour dissiper tout doute, la Ministre a indiqué que ses rapports avec le Président et le Premier ministre sont très cordiaux.

Elle confirme en ce sens les propos du président Martelly qui avait affirmé le vendredi 12 avril 2012, à la même antenne, qu'il n'y a jamais eu de problème avec la ministre MCJM, que quand il y avait des questions, il était toujours confortable avec les réponses de la ministre. Le chef de l'État avait ajouté : «Les relations dépassaient les relations de travail. C'est comme une relation d'amour.» C'est une dame très intelligente, très performante, qui prend les décisions, avait-il poursuivi en confirmant qu'il n'avait jamais eu de conflit entre MCJM et le Président et entre MCJM le Premier ministre. Ce dernier avait lui aussi vanté le professionnalisme de MCJM. Alors, avec qui, finalement, MCJM avait-elle eu des problèmes ? Agissait-elle sur un simple élan de colère au plus haut sommet de l'État ?

MCJM continue de prôner la rigueur dans la gestion des finances publiques. Elle ne veut pas pour autant parler d'austérité mais plutôt d'optimisation des ressources de l'État. Il ne faut retenir, dit-elle, que les dépenses nécessaires, effectuées dans le cadre du plan gouvernemental. Finis les voyages oisifs, arrosés de per diem excessifs! Le Premier ministre a signé une récente circulaire en ce sens. Et c'est lui en personne qui se chargera de la faire respecter, pas la ministre de l'Économie et des Finances. On peut quand même se demander si de telles petites tâches administratives relèvent vraiment de la fonction d'un Premier ministre. D'une part, les voyages sont autorisés par un ministre de tutelle qui décide de sa pertinence ; et d'autre part, un simple comptable public pourrait vérifier s'ils sont conformes aux normes administratives et aux disponibilités financières du ministère ou de l'organisme public autonome concerné. Et là encore, il faudra que la présidence et la Primature prêche par l'exemple ; car ce n'est nullement un problème de fonctionnaires publics réguliers mais plutôt des officiels d'un plus haut niveau.

Le gouvernement, selon MCJM, compte également réduire la consommation de carburant, de cartes de recharges téléphoniques. Elle n'a toutefois pas donné de détails précis sur la somme que le gouvernement compte économiser à partir de cette mesure. Mais, ces économies ne dépasseront peut-être pas le budget de la célébration du 14 mai au Champ-de-Mars, la date de l'avènement du président Martelly au pouvoir. Et justement, le gouvernement avait raté ce jour-là une rare occasion de prouver sa bonne volonté de dépenser les deniers publics avec minutie, dans le seul souci de concourir au bien-être collectif. Ce serait un signal crédible de la transfiguration gouvernementale.
Pour le moment, certains sont tentés de croire à une transfiguration de MCJM plutôt qu'à celle du gouvernement. Pour le moins, MCJM version 2.0 adoucit ses exigences de rigueur. Elle ne contestera plus les dépenses encourues pour la célébration du 14 mai 2014 si l'équipe gouvernementale se cache dernière l'idée qu'elle a été financée par la Base Michel Joseph Martelly (BMJM).

Pourtant, la Ministre des Finances confirme que les ressources publiques se font rares. À un point tel que le gouvernement doit différer le paiement des augmentations salariales de certains fonctionnaires publics au mois d'aout. Jusqu'ici, le gouvernement continue de vivre au dessus de ses moyens. Les recettes fiscales cumulées pour les six premiers mois de l'exercice fiscal 2013-2014 ont été chiffrées à 23,3 milliards de gourdes, soit une hausse de 5,8 %, selon la plus récente note sur la politique monétaire de la Banque de la République d'Haïti (BRH). Tandis que le rythme de progression des dépenses publiques a été beaucoup plus prononcé, avec un montant de 33,5 milliards de gourdes au 26 mars 2014, soit un taux de croissance des dépenses de 13,5 %.

Le carnaval des fleurs, prévu pour cet été, constituera un deuxième test de l'optimisation des ressources publiques prônée par MCJM. Là où l'État est obligé de reporter le paiement des augmentations de salaire de certains de ses employés, peut-il se contenter de réaliser deux carnavals en une année?

Ce n'est probablement pas la prochaine période électorale qui inversera cette tendance. La velléité coutumière de financer les candidats du pouvoir ou des projets sociaux électoraux sera grande. On peut d'ailleurs se demander en quoi l'augmentation substantielle du budget de la Primature et celle du ministère des Affaires sociales, rapportée par le sénateur de l'Ouest Steven Benoit, constituera une dépense productive pour l'économie haïtienne comme le promet MCJM. Elle s'apparente plutôt à une provision pour financement de campagne électorale.

(1) MCJM, persona non grata, http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/115612/MCJM-persona-non-grata.html

Thomas Lalime
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Source: Le Nouvelliste

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