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Haïti rattrapera-t-elle la République dominicaine?

santiago-devant-museeRoute en face du Musée de Santiago Rep Dominicaine - Tout Haiti

Le rapport sur l'Indice de Développement humain (IDH) 2013 (1) publié le vendredi 15 mars 2013 a mis en exergue l'essor économique remarqué des pays du Sud. Ce constat renvoie à une vieille question de l'après-guerre: les pays pauvres ou les pays détruits par la guerre convergeront-ils vers les plus riches à travers le temps ? En d'autres termes et de façon plus précise : les économies pauvres croissent-elles à un taux plus élevé que celui des économies riches ? Dans l'affirmative, les pays pauvres pourraient alors rattraper leur retard. C'est ce que les économistes appellent le processus de convergence ou de rattrapage. En combien de temps ? Cela dépend du rythme de croissance économique et du contrôle de la population. Mais, dans le cas où ils ne croissent pas plus vite, la convergence ne se réalisera jamais.

L'Allemagne et le Japon illustraient bien la notion de convergence ou de rattrapage. Ravagés par la Seconde Guerre mondiale, ces deux pays avaient par la suite enregistré les taux de croissance les plus rapides connus à ce jour par des pays industrialisés. De 1948 à 1972, la production par habitant s'est accrue de 8,2 % par an au Japon et de 5.7 % en Allemagne, contre seulement 2,2 % aux États-Unis (2). Certains observateurs voyaient ces pays rattraper puis dépasser rapidement les Américains. Ce n'est pas encore fait. Pourquoi ?

Parce qu'il existe une frontière de possibilité de production qui, une fois atteinte, sera difficile à dépasser. À moins d'innover en inventant de nouvelles technologies de production. Parce qu'il existe également ce que les économistes appellent la loi des rendements décroissants, c'est-à-dire plus un facteur de production est rare, plus son rendement est élevé mais à mesure qu'il devient abondant, son rendement s'estompera. Cette loi explique bien le ralentissement des taux de croissance économiques japonais et allemand dans le temps.

Plus un pays est éloigné de sa frontière de possibilité de production, c'est-à-dire la quantité de biens et services qu'il est possible de produire en utilisant la totalité de ses moyens de production (capital, travail), plus son potentiel de croissance est élevé. Il existe donc des opportunités liées au retard de développement: une force de travail inutilisée et une rareté de capital qui augmentent leur productivité, donc leur rentabilité. Comme l'Allemagne et le Japon étaient ravagés par la guerre, il existait une force de travail à mobiliser. Le capital y était rare également. On pouvait investir dans la reconstruction et exploiter au maximum le potentiel de croissance, contrairement aux Etats-Unis.

Le potentiel de croissance des pays riches est alors plus faible que celui des pays pauvres puisque quasiment tout le monde travaille et presque tous les besoins sont satisfaits. On parle même de plein emploi pour caricaturer. La seule façon de faire mieux est d'inventer, de se montrer plus novateurs. Aussi, observe-t-on des pays riches au bord de la stagnation pendant que la Chine continue de croître à un taux proche de 10 %. Elle chemine bien sur le processus de convergence. Quand à Haïti et la République dominicaine, la performance économique dominicaine des dernières décennies surclasse celle d'Haïti. Aucune chance donc de rattraper nos voisins à ce rythme.

Selon le rapport sur le développement humain, « l'essor du Sud se produit à une vitesse et à un niveau sans précédent. Cet essor doit être appréhendé comme l'histoire d'une expansion exceptionnelle des capacités individuelles et du progrès continu du développement humain dans des pays où vivent la grande majorité des habitants de la planète. Lorsque des dizaines de pays et des milliards de personnes montent dans l'échelle du développement, comme c'est le cas aujourd'hui, l'impact est immédiat sur la création de richesses et le progrès humain général dans tous les pays et régions du monde. De nouvelles opportunités de croissance sont à saisir pour les pays les moins développés et il est désormais possible de lancer des initiatives stratégiques novatrices, susceptibles de bénéficier également aux économies les plus avancées. »

Des progrès rapides ont été réalisés par quelques grands pays, notamment le Brésil, la Chine, l'Inde, l'Indonésie, le Mexique, l'Afrique du Sud et la Turquie. Néanmoins, certaines économies plus petites ont également réalisé des progrès importants, comme le Bangladesh, le Chili, le Ghana, l'île Maurice, le Rwanda, la Thaïlande et la Tunisie.

Le Rapport sur le développement humain 2013 est non seulement axé sur l'essor du Sud, ainsi que sur les implications de cette situation pour le développement humain, mais également sur ce monde en mutation, dont les changements résultent en grande partie de ce même essor. Il analyse les progrès en cours, les défis futurs à relever et les nouvelles opportunités à saisir pour installer une gouvernance régionale et mondiale représentative.

En 1950, le Brésil, la Chine et l'Inde ne représentaient à eux trois que 10 % de l'économie mondiale, alors que les six puissances économiques traditionnelles du Nord comptaient pour plus de la moitié. En 2050, selon les prévisions du rapport, la Chine, l'Inde et le Brésil représenteront ensemble près de 40 % de la production mondiale, dépassant largement les productions combinées du bloc du G-7 actuel.

Dans les pays du Sud, la classe moyenne connaît un essor rapide en termes de taille, de revenu et de perspectives. L'énorme quantité de personnes vivant dans les pays du Sud (les milliards de consommateurs et de citoyens) multiplie les conséquences des actions menées par les gouvernements, les entreprises et les institutions internationales sur le développement humain. Le Sud émerge aujourd'hui à côté du Nord comme un terrain fertile pour l'innovation technique et l'entrepreneuriat créatif, indique le rapport.
Dans le cadre des échanges Nord-Sud, les économies nouvellement industrialisées ont développé des compétences pour fabriquer des produits complexes destinés aux marchés des pays développés. Cependant, les interactions Sud-Sud ont permis aux entreprises des pays du Sud de s'adapter et d'innover avec des produits et des processus plus appropriés aux besoins locaux.
L'essor du Sud est à la fois le fruit d'investissements réguliers en développement humain et de succès récurrents en la matière, et une opportunité pour le monde entier d'approfondir plus encore les progrès humains, reconnaîssent les auteurs du rapport qui identifient les moteurs de développement à activer. Nous reprenons ici des extraits.

Les moteurs de développement

Nombreux sont les pays qui ont réalisé des progrès remarquables au cours des deux dernières décennies: tous ont contribué de manière générale à l'essor du Sud. Toutefois, certains sont parvenus non seulement à augmenter de manière notable le revenu national, mais aussi à dépasser la moyenne des performances d'indicateurs sociaux tels que la santé et l'éducation.
Comment autant de pays du Sud ont-ils pu réussir à transformer leurs perspectives de développement humain ? Dans la plupart de ces pays, le développement a été soutenu par trois moteurs principaux: un État proactif en matière de développement, des marchés mondiaux accessibles et une innovation déterminée en matière de politique sociale.

Ces moteurs ne dérivent pas de conceptions abstraites sur le fonctionnement du développement, ils ont plutôt été éprouvés par les expériences de développement transformationnel menées dans de nombreux pays du Sud. En outre, ils constituent un défi pour les approches préconçues et normatives : d'une part, ils remettent en cause un nombre de préceptes collectivistes et de gestion centralisée, d'autre part, ils divergent de la libéralisation sans limites défendue par le consensus de Washington.

Moteur 1 : des États engagés

Un État fort, dynamique et responsable élabore des politiques pour les secteurs public et privé, fondées sur une vision et un leadership à long terme, des normes et des valeurs partagées et des lois et des institutions qui favorisent la confiance et la cohésion. Pour parvenir à une transformation durable, les pays doivent adopter une approche du développement cohérente et équilibrée. Ceux qui ont réussi à stimuler et à soutenir leur croissance, en termes de revenu et de développement humain, n'ont pourtant pas suivi une recette unique. Confrontés à différents défis, ils ont adopté des politiques diverses relatives à la réglementation du marché, la promotion des exportations, le développement industriel et les progrès technologiques.

Les priorités doivent être axées sur les personnes et favoriser les opportunités tout en protégeant ces mêmes personnes contre les risques potentiels. Les gouvernements peuvent soutenir des industries qui, à cause de marchés incomplets, n'auraient aucune chance d'émerger autrement. Cette situation risque de favoriser la recherche de rente et le « copinage », mais elle a néanmoins permis à plusieurs pays du Sud de transformer des industries inefficaces en premiers moteurs d'exportations, alors que leurs économies devenaient plus ouvertes.

Dans des sociétés complexes et de grande taille, les résultats d'une politique qu'elle qu'elle soit sont toujours incertains. Les États favorisant le développement doivent donc être avant tout pragmatiques et tester un large éventail d'approches différentes. Certains traits dominants se dégagent : les États en faveur du développement ont notamment étendu les services sociaux de base. Investir dans les capacités des personnes - à travers la santé, l'éducation et autres services publics - n'est pas un élément parmi d'autres du processus de croissance, il en fait partie intégrante. Le déploiement rapide d'emplois de qualité constitue un élément critique de la croissance qui favorise le développement humain.

Moteur 2 : l'accès aux marchés mondiaux

Les marchés mondiaux ont joué un rôle important dans les progrès réalisés. Tous les nouveaux pays en voie d'industrialisation ont appliqué la stratégie consistant à « importer ce que le reste du monde connaît et exporter ce qu'il souhaite». Mais, encore plus importantes ont été les conditions d'engagement avec ces marchés. Sans un investissement au niveau des individus, les avantages offerts par les marchés mondiaux tendent à être limités.

Le succès ne semble pas découler d'une ouverture soudaine, mais d'une intégration graduelle et par étapes à l'économie mondiale, en fonction des circonstances nationales, et accompagnée d'un investissement dans les personnes, les institutions et les infrastructures. Les petites économies se sont orientées avec succès vers les produits de niche. Ce succès est souvent le fruit d'aides de la part de l'État qui ont permis de consolider les compétences existantes ou d'en créer de nouvelles.

Moteur 3 : innovation en matière de politique sociale

Rares sont les pays qui ont maintenu une croissance rapide sans avoir investi massivement dans le secteur public, non seulement dans les infrastructures, mais également dans l'éducation et la santé. L'objectif est de créer des cercles vertueux destinés au renforcement réciproque des politiques sociales et de la croissance. Dans les pays où les inégalités de revenus sont faibles, la croissance réduit de manière plus efficace la pauvreté que dans ceux où ces inégalités sont élevées. La promotion de l'égalité, surtout entre les différentes religions, groupes ethniques ou raciaux, permet également de réduire les conflits sociaux.
L'éducation, la santé, la protection sociale, l'autonomisation juridique et l'organisation sociale permettent aux personnes pauvres de participer à la croissance. L'équilibre entre les secteurs, avec une attention toute particulière portée au secteur rural, ainsi que la nature et le rythme de l'expansion de l'emploi sont des facteurs clés pour déterminer jusqu'à quel point la croissance augmente les revenus.

Cependant, ces instruments politiques simples ne sont pas toujours capables de démarginaliser les laissés-pour-compte. Les marges pauvres de la société luttent pour faire entendre leurs problèmes et les gouvernements ne veillent pas toujours à ce que tout le monde bénéficie de leurs services.
La politique sociale doit promouvoir l'inclusion, la garantie de non-discrimination et d'un traitement équitable constituant les piliers d'une stabilité sociale et politique. Elle doit également offrir des services sociaux de base capables de soutenir une croissance économique à long terme en aidant à la création d'une main-d'oeuvre éduquée et en bonne santé. De tels services ne doivent pas nécessairement être prêtés par le secteur public. Mais l'État doit s'assurer que tous les citoyens disposent d'un accès sûr aux besoins fondamentaux propres au développement humain.

Les programmes de transformation du développement qui favorisent le développement humain comportent donc plusieurs aspects. Ils élargissent les ressources des individus en universalisant l'accès aux services de base. Ils améliorent le fonctionnement de l'État et des institutions sociales pour promouvoir une croissance équitable où les bénéfices sont répartis. Ils réduisent les contraintes bureaucratiques et sociales sur l'action économique et la mobilité sociale. Et ils responsabilisent les instances dirigeantes.
Le rapport a donc mis l'accent sur les moteurs de développement à mettre en marche. Les pays pauvres qui sauront les allumer pourront alors espérer un certain rattrapage des pays riches mais ceux qui n'entretiennent pas ces moteurs en bon état s'enliseront davantage. Du concept de convergence, on est passé à celui d'une convergence conditionnelle qui dépend notamment des conditions initiales des pays pauvres et des politiques publiques efficaces visant à exploiter les moteurs à leur plein rendement. Au lieu que les pauvres convergent vers les plus riches, ils divergent. On retrouve alors un groupe (dont la République dominicaine) qui réduit l'écart et un autre (dont Haïti) qui s'écarte de plus en plus des plus riches.

De la 158e l'année dernière à la 161e place cette année, Haïti peine encore à emprunter la voie de la convergence. Celle-ci s'observe par l'augmentation continue du niveau de vie (revenu national brut) par habitant. Or, à ce niveau, Haïti est en recul, passant de 1 123 à 1 023 dollars américains. Avec de telles performances, les chances de rattrapage de nos voisins dominicains, 96e du classement, demeurent minces malgré les chantiers pharaoniques.

(1): http://hdr.undp.org/fr/rapports/mondial/rdh2013/resume/
(2): Gregory N. Mankiw, Macroéconomie (p.121), 5e ed., traduction de la 7e edition américaine par Jihad C. El Naboulsi

Thomas Lalime
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Source: Le Nouvelliste