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Haïti : une République d’ONG ?

ONG-ap-travayDepuis des années, les organisations non gouvernementales (ONG) ont envahi le pays. Selon des chiffres non confirmés, elles avoisineraient les deux mille. Mais seulement 595 sont légalement enregistrées, selon le ministère de la Planification. Elles interviennent, à leur guise, dans tous les secteurs de la vie nationale et souvent se substituent à l’État. La question de la reconstruction, priorité absolue depuis le séisme du 12 janvier 2010, dépend également de l’action de ces organismes.

Après le drame du 12 janvier 2010, qui a favorisé le pullulement de ces entités, l’urgence consistait, d’une part, à fournir les services de base tels que soins médicaux, vivres à la population nécessiteuse et, d’autre part, à reloger les sans-abri. C’est ainsi que beaucoup d’ONG se sont orientées vers le secteur de la construction. Car, la problématique de logement en Haïti a été, bien avant le tremblement de terre, un véritable casse-tête pour beaucoup d’Haïtiens. Le tremblement de terre n’a fait qu’empirer une situation déjà alarmante en faisant plus de 1, 2 million de sans-abri. Environ 150 mille maisons furent en effet détruites, complètement ou partiellement, alors que, selon des chiffres officiels, plus de 208 mille autres furent endommagées.

ONG, reconstruction et bidonvilisation
Plus qu’un désastre, cette catastrophe a mis à nu la faillite de l’État. Les organisations non gouvernementales ont profité de l’aubaine pour lancer, hors de tout plan sérieux, la construction d’abris transitoires, sous le regard passif et reconnaissant de l’État. En conséquence, l’environnement s’est dégradé davantage, notamment avec l’érection de nouveaux bidonvilles éparpillés à travers la capitale et dans sa périphérie.

Une enquête menée par « Ayiti Kale Je », organe de presse spécialisé dans le journalisme d’investigation, a révélé qu’un nouveau bidonville, fait principalement de T-Shelter, a été installé au morne de l’Hôpital avec l’aide des ONG Goal et Acted, sous la bénédiction d’une autorité locale (Casec). Pourtant l’endroit est déclaré « zone protégée » par la loi haïtienne. Preuve de la passivité de l’État face aux actions des organisations non gouvernementales.

Dans la même veine, avec la complicité des ONG, des mégabidonvilles se sont formés à l’entrée nord de la capitale. Citons les camps de Corail Cesselesse, de Canaan et de Jérusalem. Aujourd’hui encore, un nouveau bidonville appelé « village de la Renaissance » est en train d’être construit à Morne-à-Cabri, une petite localité de la commune de la Croix-des- Bouquets.

De l’avis de certains spécialistes en la matière (sociologues et urbanistes), la question de l’aide a été mal gérée. Les ONG ont attiré les gens dans les camps en leur offrant des vivres, des soins médicaux et autres. Le problème des loyers, pour ces gens, a été dès lors résolu par la distribution de tentes et, un peu plus tard, de maisonnettes. Ce qui a contribué à renforcer les bidonvilles.

Les spécialistes interviewés, qui ont requis l’anonymat, impute à l’État la responsabilité de cette catastrophe écologique et urbanistique qui, à la longue, sera fatale pour la population. Des études, ont-ils avancé, ont montré que les ¾ de la population de la capitale vivaient déjà très mal avant le passage du tremblement de terre. Une situation que l’État n’a pas réussi à redresser. Ce qui, ont renchéri ces spécialistes, a laissé le champ libre aux organisations non gouvernementales.

Dans cette perspective, argumentent-ils, un cercle vicieux a été créé autour d’Haïti. La situation de faillite et de méfiance qui caractérise l’État a poussé l’international à confier de fortes sommes d’argent aux ONG. Une option qui a eu pour effet de réduire la marge de manœuvre des gouvernants, devenus trop dépendants de l’aide internationale.

Les choses se compliquent donc, puisque les ONG n’investiront pas dans les grands programmes de reconstruction. Cela ne fait tout simplement pas partie de leurs missions. Elles chercheront toujours à investir dans l’urgence, question de justifier leur présence sur le terrain. La reconstruction étant une tâche spécifiquement réservée à l’État, il serait donc important, estiment les spécialistes, de repenser les rapports entre l’État et les ONG, ainsi que les relations entre celles-ci et la population.

Source: Le Matin

22 Juin 2012
Noclès Débréus
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