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Crise Haiti - DR : La Dominicanité a frappé de plein fouet une Haiti sans Haitianité

palais-national-republique-dominicainePalais national: République Dominicaine

Miami, FLORIDE (touthaiti.com) ---  Cette interview avec le journaliste Norluck Dorange sort des sentiers battus des lieux communs et de l’émotion pour poser de manière rationnelle la dure réalité entre Haiti et la république Dominicaine. A la fin de l’entrevue on se demande si les haïtiens et spécialement les élites haïtiennes ont une idée réelle de l’étendu du conflit entre les deux pays qui partagent l’ile d’Haiti.

Les dominicains agissent rationnellement dans un cadre qu’ils ont défini la " Dominicanité " . Alors que du côté haïtien on navigue à l’aveuglette. Cette cécité de nos élites et des dirigeants politiques s’articule dans la logique du maintien du statu quo et du mépris des élites pour le reste de la population c’est-à-dire ces personnes en dehors.

Tout Haiti vous invite à réfléchir sur les réponses de Mr Norluck Dorange

Tout Haiti: Est-ce que tu peux faire une mise en contexte des conditions et évènements qui ont abouti à la prise de la décision de la cour suprême de la RD contre les dominicains « d’origine étrangère « 

 Norluck Dorange : Dans une perspective Haïtienne, il s'agit d'une démarche raciste. D'un point de vue dominicain, il s'agit de mesure visant à renforcer la « dominicanité Â» ou la cohésion nationale du peuple dominicain. Pour un dirigeant dominicain, c’est un devoir civique de rappeler que le pays avait acquis son Indépendance, en combattant la domination politico-militaire des Haïtiens en 1844. L'hymne de l'Université dominicaine consigne dans une de ses strophes cette page d'histoire tout en les invitant à toujours Å“uvrer "pour combattre tout potentiel retour à l'infamie de Boyer". Donc, le héros de l'élite Haïtienne, créateur des Pétion-Ville, est un nom honni en République Dominicaine. Depuis 1986, à chaque fois que cela s'échauffe entre les deux pays, il y a une déclaration récurrente sur les lèvres des chefs d'état, « Haiti et la RD sont deux ailes d’un même oiseau Â» (prononcé par Jean Bertrand Aristide), un slogan qui charrie des définitions intrinsèquement différentes des deux côtés de la frontière.

Tout Haiti: Dans ta (cette) perspective cette mesure est le summum de tout un ensemble d’autres mesures pour renforcer cette Dominicanite ?

Norluck Dorange: La Dominicanité est la quintessence même de ce qui définit la politique nationale de nos voisins. Elle s'exprime à travers un ensemble de structures institutionnelles qui rentrent dans le concept global de leur sécurité nationale.

Comparons les deux pays.

En Haiti, ce vocable n'existe même pas dans les discours d'aucune instance officielle, comme si la Sécurité Nationale est l'affaire des autres pays et ne concerne pas Haiti. Ou encore, quand elle est évoquée, c'est pour simplement institutionnaliser la violence d'Etat contre les opposants politiques internes. On l’a vu récemment avec cette tentative an catimini de réactiver les FAD’H, bras séculier du pouvoir d’Etat en Haiti. Or, le pouvoir d'Etat en République Dominicaine applique une politique qui assure la cohésion de toutes les composantes de cette nation. Leur sécurité nationale se définit par la Reforme Agraire qui a amené à l’autosuffisance alimentaire. En Haiti, on a été contre, puis on l’a torpillée, boycottée. En face, la Banque Centrale de ce pays facilite des prêts au micro et mini investisseurs au niveau des secteurs-clés tels que : l'agriculture, l'élevage, les petites et moyennes usines de transformation et de distribution de produits agricoles et animaliers. En Haiti, nos élites fabriquent la misère, en se plaçant sur tout le circuit de circulation des dollars de la diaspora pour effectuer des placements à court terme où? Dans les banques dominicaines.

Même les tenants de l’actuel pouvoir participent à la cueillette des dividendes des dollars de la diaspora Haïtienne, en percevant les 1 dollar 50 sur chaque transfert et les 5 à 15 cents par minute d’appel. Donc, on a un Etat et une élite qui gruge la nation en Haiti, alors que les dominicains en profitent pour faire d'Haiti leur premier marché d'exportation. Sur un plan qui ne se dit pas mais qui se voit et qui s’observe, c’est la définition intime de cette « dominicanité Â». Au cours des discussions dans les salons chez nos voisins, la « dominicanite Â» s’inscrit dans une démarche de superposition ethnique : les blancs de la RD (blanco de la tierra) euro centrique (ils évoquent Hispaniola au détriment de l'ancien nom de l'Ile, Hispaniola veut dire Petite Espagne).

C’est une superficialité qui, justement prend corps dans une contextualité ludique mettant en relief l'origine africaine des Nègres d'à côté... incapable de se prendre en charge. Alors que la réalité est cette élite Haïtienne, depuis 1843, toujours déconnectée des réalités intérieures. La preuve qu'aujourd'hui, elle sera la dernière à protester contre cette mesure, puisque cette mesure concerne les descendants de "ceux qui dont leurs pères sont en Afrique", mesure prise évidemment par "leurs frères consanguins de l'Est".

Tout Haiti: Cette mesure si je comprends bien nous met en face d’un pays qui applique sa doctrine économico- politique qui frappe fondamentalement les descendants haïtiens mais cette politique rentre également en conflit avec le droit international ?

Norluck Dorange: Non, pas du tout. C'est le prolongement de la politique du Tiers d'Etat qui créé dans ce cadre bien précis des citoyens de seconde zone ou ce qu'on peut appeler des citoyens marginaux. Le système dominicain souffrirait de les voir quitter là-bas. Vider les chantiers de construction et les vaste plantations agricoles dans lesquelles les bras des Haïtiens sont utilisés pourraient voir s’écrouler l’économie dominicaine. Les Haïtiens créent la richesse en RD, pourquoi les faire partir. Non. Les dominicains ne sont pas bêtes, ils vont annoncer d'autres mesures compensatoires.

Ils veulent tout simplement empêcher l'émergence d’un autre Pena Gomez ou détruire dans l'œuf le surgissement politique d'un Obama chez eux.

Pour ce faire, ils vont tout simplement rétrocéder leur citoyenneté en les octroyant une carte de résidence. Le but de cette opération est d’empêcher la participer à la vie politique de la RD de cette catégorie de dominicains à peau noire, bien pénétrés des mœurs et des cultures dominicaines, puisque déjà établis sur plusieurs générations, mais conservant encore des réflexes identitaires afro-Haïtiens (rara, vodoun, créole, cuisine et nourriture).

Pas de droit de vote, pas de droit d'être candidat à aucune fonction élective.

Et le tour est joué. En attendant, si l’élite économique et financière en Haiti n'était pas ignorante, ou tout simplement complice du schéma colonial, le pouvoir de Port-au-Prince pourrait avilir la République Dominicaine en mettant à nu ce bluff. L'Etat Haïtien pourrait réclamer le retour de ces Haïtiens sur le sol de leurs ancêtres, en appliquant un programme massif de production agricole. Il en existe. Mais, puisque notre élite a toujours souhaité reste seule sur la terre d'Haiti, en souhaitant le départ de cette catégorie d'Haïtiens depuis après l'assassinat de Dessalines. "Qu'ils retournent en Afrique" "ou qu'ils s'établissent dans les mornes" disaient-ils d'eux après la mort de l'Empereur. Donc, elle va toujours répondre comme Martelly et sa diplomatie réponde aujourd'hui, qu'il s'agit d'une affaire intérieure à la RD, alors que l'équipe Tet Kalé ne fait que jouer sa partition dans cette nouvelle initiative des tenants d'une dominicanité marquée au coin du racisme.

Tout Haiti: Comment comprends tu les premières réactions du régime Martelly-Lamothe et celle de la société haïtienne en général ?

Norluck Dorange: Elle agit comme les représentants de l'Etat font habituellement lors de ces crises épisodiques avec la RD: elle réagit. Les Tèt Kale sont impuissants puisque l'initiative se trouve entre les mains des dominicains qui, au nom de leur Etat, traite une situation quoique susceptible de nuire aux bonnes relations avec son Etat voisin, comme on traite avec un Etat faible. J'ai entendu à la radio les réactions d'ONGistes de Droits humains Haïtiens, ils ne font que se plaindre comme si leur amour-propre en avait pris un coup, abordant la question sous l'angle de la victime, reprochant aux dominicains leur racisme, comme quoi, les dominicains ne s'attendaient pas à cette attitude pleurnicharde. Mais, c’est encore refiler l'initiative aux dominicains. Ceux-ci vont sortir la carte de la Résidence Permanente. Les ONGistes ne se verront offrir mieux pour se taire.

Et les représentants actuels de l’Etat Haïtien ?

Dépourvu d'un plan national de Développement, le régime Tet Kale, tout hédoniste et épicurien qu'il s'affiche ne peut que "laisser le temps couler". Avoir un président qui jouait des pieds et des mains pour, en tant qu'animateur-grouilleur sur les chars musicaux lors des défiles carnavalesques dominicains, avoir un PM qui traverse la frontière chaque deux semaines et qui se fait prendre en charge par les services secrets dominicains, je dis bien, les services secrets dominicains, l’arme suprême de la politique intérieure du pays voisin, pour se rendre dans sa résidence somptueuse de Punta Cana où se déroulent des rencontres avec des financiers qui lavent l’argent pillé en Haiti, ou se déroulent également des soirées hyper arrosées et colorées (femmes et alcools bien entendu), c'est dire qu'Haiti n'est pas trop bien représentée en face des joueurs d'échec bien futés de la RD.

Quant à la société dite civile, elle manque d'imagination et surtout d'initiative. Convoquer une assemblée citoyenne qui pourrait mettre l'Etat en face d'une alternative, serait un moindre mal. Il s'agit d'une affaire de dignité nationale. Dommage que notre société soit aujourd’hui si disloquée.

Tout Haiti: A quelque chose, dit-on, malheur est bon. Quel devrait être les leçons à tirer de cette crise en d’autres termes que faire ? Pour faire face à cette crise ?

Norluck Dorange : Pour nous faiseurs d'opinion, il faut voir les choses avec les lunettes de la réalité. La leçon première leçon à tirer est le constat que nos dirigeants n'ont jamais pris les dominicains avec un certain sérieux, une vision d’Etat amplement articulée. Ils n'ont ni la méthodologie, voir la velléité. Ainsi, ils vont se mettre à plat, en attendant que passe l'orage. Je souhaite que soit définie une fois pour toute une politique nationale par rapport à la RD, dont les thèmes évocateurs seront élaborés tant dans les discours publics qu'au niveau de la gente estudiantine. A ce niveau et à ce niveau seulement, de nombreux secteurs seront appelés à se prononcer et alimenter un débat authentiquement Haïtien vis-à-vis des Haïtiens d'abord, de la République Dominicaine et des autres pays en général.

Qui peut et qui doit se lancer dans cette démarche?

C''est la question à 1 million de dollars. Pour l'instant, il ne faut pas se leurrer. Les dominicains ont déjà empoisonné la classe politique Haïtienne par le biais de la corruption électorale. Aux dernières élections en Haiti, des secteurs financiers et commerciaux en RD avaient financé les candidats les plus en vue, dont Martelly, Voltaire, Celestin, Manigat, Ceant, etc... Avant, c’était K-Plim. Actuellement, ils ont des émissaires disséminés partout sur le terrain en Haiti, rencontrant des potentiels candidats au Parlement en leur tenant des promesses de financement pour leur campagne. Fort de toutes des informations, n'est-on pas en droit de s'interroger: sommes-nous en train de devenir une province politique de la RD? Nous ne pouvons que nous poser un certain nombre d'interrogations, vu le nombre de lacunes à combler dans le dossier dominicain.

Tout Haiti: Est-ce que tu as quelques choses d'autre à ajouter ?

Norluck Dorange: Quand on parle de changer la classe politique, je crois que nous avons encore un chemin plus long qu'on ne le pense devant nous. Les dominicains ne badinent pas. Alors qu'on joue en face d'eux, ils prennent Haiti et les Haïtiens pour un ennemi qu'ils se sont eux-mêmes choisi. C'est le mauvais exemple à ne pas suivre. Dans ce cas bien précis, ils jouent la carte du racisme international. Et cela les profite qu'on l'accepte ou non. Avec une population composée en majorité de peaux noires et sombres d’environ 62 pour cent, dont une majorité de défavorisés, la minorité des « blancos de la tierra Â» entend poser des balises en agitant la carte haitianophobe. Un socialiste comme Hypolito Mejia, issu du PRD, le parti de Pena Gomez, n’avait pas hésité à mettre son territoire au service des déstabilisateurs qui avaient basculé le pouvoir d’Aristide en 2004. En tant que dirigeant dominicain, il ne pouvait ne pas analyser les conséquences à long terme d’une telle situation, lui qui réclamait depuis 2002, devant l’ONU et d’autres instances internationales, la gestion de l’aide financière à Haiti. Aujourd’hui, presque tout passe par la République Dominicaine, devenue base arrière d’une élite haïtienne disons-le sans vergogne. L’argent du Petro-Caribe est thésaurisé là-bas. C’est la signature de Lamothe qui débloque les fonds pour des contrats octroyés à des compagnies dominicaines, même pour la confection des matériels de propagande du régime Tet Kale. L’argent sur les commissions revient dans les banques dominicaines aux noms de prête-noms qui sont les compagnons de plaisir du Premier Ministre, lors de ses incursions bimensuels là-bas.

Les dirigeants Haïtiens de ces dernières années ne se sont pas affranchis du complexe du petit nègre. J'avais toujours remarqué que nos chefs d'Etat aimaient se faire recevoir au Palais Rose dominicain (oui, c’est de couleur rose) et a leur retour en Haiti, ils campent a l'aéroport devant les micros et cameras des journalistes pour déclarer : Oui, j'étais allé représenter l'ensemble des Haïtiens en République Dominicaine. Comment? Sans la constitution de vrais dossiers, de vraies propositions, des positions consensuelles au niveau des Haïtiens d'abord dans le cadre des négociations sur les rapports entre les deux peuples.

Savez-vous que tout élément (du soldat jusqu'à l'officier) qui assure la sécurité au niveau du Palais National dominicain doit au moins communiquer dans une deuxième langue qui soit le français ou le CREOLE? Savez-vous que plusieurs officiers dominicains sont maries avec des filles de l’élite mulâtre en Haiti et les enfants issus de ces mariages font aussi partie de l'appareil sécuritaire de la RD?

Savez-vous que les dominicains détiennent les documentations sur tous les Haïtiens influents qui possèdent la double nationalité, parce qu'au moins une fois, ils ont utilisé leur deuxième passeport pour pénétrer sur leur territoire? Savez-vous que l’élite intellectuelle dominicain a traduit en espagnol pour leur connaissance générale, des auteurs haïtiens dont Dantes Bellegarde, Duvalier, Justin Lherison, Price Mars et tant d'autres. Et nous, en Haiti que savons-d ‘eux?

Nous allons faire du shopping chez eux et exposer la vacuité nationale d'une élite qui ignore qu'Haiti n'est pas vraiment une terre de transit comme elle semble se comporter depuis toujours.

 Journaliste Norluck Dorange répondant aux questions de Tout Haiti

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