La poésie humaniste de Roussan Camille
- Détails
- Catégorie : Poesie
- Publié le mercredi 22 août 2012 22:26
La poésie humaniste de Roussan Camille est parcourue d’un frémissement. Comme si de l’éclat des mots laissait s’entendre un léger froufrou, un bruit soyeux, un froissement d’étoffe. Elégance du verbe jointe à la sincérité du cœur. Poésie engagée, dénonciatrice, militante. Le poète avait sillonné les capitales européennes, mais c’est l’Afrique qui l’attira. Et son passé de douleurs qu’il évoque. La traite négrière, les souffrances durant la traversée, l’exploitation de l’homme par l’homme, l’enfer des plantations. Poésie évocatrice, déclamatoire, ponctuée de descriptions chatoyantes, d’images superbes. Les sens de la description et de la narration, voilà avec quels ingrédients le poète capte et captive le lecteur. Dans ses poèmes, on sent passer sa sincérité, sa sensibilité, justement son humanisme, c’est-à -dire la culture de l’autre, l’altérité, sympathiser avec son semblable.
Je trouve son langage direct. Comme s’il s’adresse au lecteur. Fait défiler sous ses yeux le film de la traversée. Nous appréhendons mieux ce qu’endurèrent nos frères et sœurs arrachés de leur milieu d’origine. Pour venir faire la prospérité des colonies d’Amérique. Or, j’ai ressenti dans la poésie de Roussan Camille passer le souffle de Langston Hughes. Il est vrai qu’ils sont contemporains, c’est-à -dire ils vécurent à la même époque. L’un influença-t-il l’autre ? En tout cas, avec Langston Hughes, Roussan Camille ou Carl Brouard, c’est la simplicité dans l’expression, l’élégance, la chatoyance. Pas de grandiloquence, ni de formules ampoulées. Rien que le charme dans le parler. La présentation de faits, la description des situations. Qu’on relise la plupart des poèmes du recueil «Assaut à la nuit», l’on en sera convaincu. Déjà le titre sonne comme un appel à la révolte. Révolte contre l’injustice, l’arbitraire, l’insoutenable. Assauter la nuit est un langage métaphorique, le poète invite les peuples asservis à renverser la nuit pour qu’éclose le jour. Jaillisse la lumière. Apparaisse la liberté. Un poème comme «Soutiers nègres» décrit la traversée à bord des négriers, ces bateaux de la honte avec leur cargaison humaine. Certains captifs meurent dans les cales durant la longue traversée, faute de soins, leurs droits piétinés. «Notre chanson» fait pâmer d’envie de mieux connaitre l’Afrique, tout en rappelant le passé douloureux.
Le summum de satisfaction du lecteur est atteint à la lecture ou la relecture de «Nedjé», perpétuelle découverte d’un poème évocateur. A la deuxième personne. Le poète s’adresse à cette infortunée pour prendre sa défense, assumer son fait et cause. Aucun poème ne m’a paru plus troublant, plus captivant. Dans les soirées culturelles, rituellement ce texte est déclamé sans doute en raison de son charme onctueux et de la charge émotive qu’il charrie. C’est d’ailleurs le poème le plus connu (le plus populaire) de Roussan Camille.
Deux fois, en l’espace de quarante ans, son oeuvre a été primée. Avant son décès en 1961 et plus récemment au début des années 2000. Comme pour restituer la vraie dimension du poète jacmélien. Donner à voir sa haute stature (au propre et au figuré). Souligner la portée de son œuvre maîtresse. Un peu de tout cela. Je serais enclin à penser que chacun de ces créateurs a apporté sa part à l’érection du patrimoine culturel haïtien. En effet, des années après leur disparition, ces créateurs occupent les esprits, habitent l’imaginaire quand ce n’est pas dans le quotidien qu’ils nous accompagnent. Il est bon que, de temps à autre, leur stature soit campée. Roussan Camille est de ceux-là . Je me demande si, dans l’enseignement scolaire, l’on ne gagnerait pas à déclamer plus souvent et inlassablement ses textes. Tant ils sont beaux, fluides et porteurs d’un message fraternel, égalitaire, humaniste. Ajoutez: le sens du rythme, la cadence, la mélodie, on a en main de véritables joyaux. Indiscutablement, un poète majeur qui a enrichi les lettres haïtiennes au XXe siècle. Son œuvre lui assure l’immortalité. Ce qui, dans le temps, était formulé ainsi: une oeuvre qui passera à la postérité. Survivra à son auteur. Effectivement, a franchi la rampe du temps. D’où son atemporalité. Une œuvre de tous les temps.
Jean-Claude Boyer
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
dimanche 8 octobre 2006
Source:Le Nouvelliste