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Note de lecture de ''l'Histoire de l'Esclavage'' de Christian Delacampagne

histoire-esclavage-delacampagnePar Dimitri Norris - L'auteur se targue d'avoir écrit l'un des rares ouvrages qui aborde l'esclavage d'un point de vue global, tout au moins en langue française, c'est probablement vrai. M. Delacampagne (cela mérite d'être signalé) est un philosophe français qui professe dans une université américaine, ce qui veut dire beaucoup de choses. L'ouvrage est divisé en trois parties. La première porte sur les origines de cette institution en Mésopotamie jusqu'à sa perpétuation dans l'Occident médiéval, la seconde concerne les débuts de la traite transatlantique jusqu'à son abolition, et la dernière aborde la lutte contre l'esclavage en Afrique et les réseaux de trafiquants durant la colonisation européenne.

 Dès les premières pages, il rompt avec une idée trop souvent répandue que l'esclavage a toujours existé. Cette institution pour exister a besoin de l'instauration d'un Etat centralisé capable d'exercer de la coercition sur l'esclave ou sur un groupe d'esclaves. L'auteur établit la différence entre une société avec esclaves, qui détient des esclaves fournissant une force de travail parmi tant d'autres, et une société esclavagiste où l'esclavage constitue le mode de production dominant. Il désigne la Grèce antique (Athènes en l'occurrence) comme la première société véritablement esclavagiste. En lisant cet ouvrage, il apparaît clairement que les extraordinaires progrès de cette civilisation tant dans le domaine politique (apparition de la Démocratie) que dans le domaine artistisque et culturel sont liés à cette institution ô combien monstrueuse: rome lui apparaît comme la seconde grande civilisation esclavagiste de l'Antiquité. Il retrace les «guerres serviles» qui constituent en somme des révoltes d'esclaves qui ont parsemé l'histoire de la Rome républicaine et qui ont toujours été réprimées avec la plus grande violence. Une d'entre elles, celle de Spartacus, semble avoir été menée avec plus d'intelligence même si elle a de toute façon abouti à un échec. Dans les derniers moments de l'Empire Romain, les conditions de l'esclavage vont s'adoucir et les affranchissements vont devenir plus nombreux. L'un des principaux mérites de l'ouvrage est d'avoir dénoncé la perpétuation de l'esclavage durant le Moyen Age à côté du servage qui en apparaît comme une forme atténuée.

 Le développement de la traite transatlantique qui s'est perpétuée du XVIe au XIXe siècle semble avoir plusieurs éléments déclencheurs. La prise de Byzance par les Turcs, ce qui coupe la route d'approvisionnement des esclaves du Moyen-Orient, l'intérêt pour le sucre, dont les nouvelles terres des Caraïbes et des Amériques sont si favorables à la culture de la canne, et l'immense réservoir de main-d'oeuvre que constitue l'Afrique occidentale. Va alors se mettre en marche un extraordinaire commerce entre trois continents qui va favoriser l'enrichissement de la majorité des pays européens et en particulier de leurs classes dominantes, le dépeuplement de l'Afrique et l'exploitation des ressources naturelles du continent américain. Philosophe lui-même, l'auteur met en évidence le silence ou encore la partialité des philosophes des Lumières sur la question de l'esclavage. Il rend hommage au rôle de quelques individus et en particulier des églises protestantes dans le mouvement abolitionniste en particulier en Angleterre et aux Etats-Unis. Mais c'est peut-être pour des raisons davantage économiques que l'esclavage a régressé dans les Amériques et avec elle la traite transatlantique.

La colonisation européenne en Afrique, indépendamment du mal qu'ils ont pu faire à ces sociétés, a tout de même eu le mérite d'y combattre les réseaux de trafiquants et l'action de la communauté internationale a abouti à l'abolition de cette institution dans de nombreux pays d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Asie. Après la guerre de Sécession et l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis, la lutte des Afro-Américains pour la reconnaissance de leurs droits civils et politiques a été longue et parsemée d'embûches. Indépendamment des progrès de celle-ci, le livre étant écrit en 2002, l'auteur était loin de pouvoir imaginer l'arrivée au pouvoir d'un Afro-Américain, aux Ėtats-Unis. L'ouvrage se termine en dénonçant les survivances, les transformations et les nouveautés de l'esclavage au XXIe siècle et en décrétant que l'esclavage et ses différentes formes sont encore à combattre aujourd'hui sans relâche.

 L'auteur tout au long de ces pages fait preuve de beaucoup d'objectivité et d'une grande rigueur morale, ce qui est tout à son honneur dans un livre qui se lit comme un roman. Lire ce livre pour un Haïtien a une connotation particulière dans la mesure où ce pays est le produit de trois faits historiques majeurs: la traite transatlantique, la colonisation et l'esclavage, et aussi du refus de l'avilissement. On comprend mieux la portée de la geste de 1804 lorsque l'on sait qu'aucune révolte d'esclaves n'a abouti à une victoire, qu'il s'agisse de la révolte des Zanj en 782 à Bagdad ou encore de la tentative par d'anciens esclaves d'établir un Etat libre à l'intérieur du Brésil. Un ami me disait récemment qu'un livre venait de sortir en Argentine â la suite et une thèse de doctorat qui s'efforçait de démontrer que la Révolution haïtienne avait été davantage porteuse de modernité que la Révolution française. En écrivant ces lignes, je me suis rappelé une rencontre que j'avais faite, il y a une dizaine d'années de cela. J'étais alors assis sur une place publique de la très belle ville de Ponce, à Porto Rico, lorsque je fus abordé par un habitant de cette cité. Au hasard de la conversation, il vint à me demander d'où je venais et j'eus à lui répondre que j'étais haïtien. Il eut à me déclarer péremptoirement: «Haïti ; petit pays, grande histoire.»