Histoire
La contribution de la Péninsule du Sud au processus de création d’Haïti (2 de 2)
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- Publié le samedi 20 août 2016 20:09
Par Alin Louis Hall --- L’histoire des vaincus a toujours été occultée, dénaturée, ou même criminalisée par les vainqueurs. Elle constitue l’enjeu posthume de conflits permanents. Après la guerre, les vainqueurs terrassent les vaincus jusque dans leur dernier retranchement pour vaincre leur mémoire collective. Parfois, de façon imprévue, il arrive pourtant que les vaincus prennent leur revanche dans l’imaginaire des vivants. Plus que les grandes victoires, les grandes défaites sont également de grandes épopées, l’Iliade pour la guerre de Troie, les Thermopyles pour les Spartiates. Pour mieux appréhender la situation complexe d’Haïti, il faut au moins essayer de comprendre les motivations inavouées et inavouables de la problématique du déficit endémique de mémoire. En réalité, notre objet est très loin de rédiger un panégyrique à sens unique pour des hommes qui, avant tout, n’étaient que des hommes ; en l’occurrence, des produits de leur temps et de leur milieu. (1)
Une dichotomie du destin
Au sujet de la guerre du Sud, la plupart des historiens sont d’accord que le général André Rigaud fit tout son possible pour éviter la confrontation avec l’astucieux Toussaint Louverture.(2) Cependant, le prisme déformant de cette irréductible rivalité influença le rôle des régions et des classes dominantes de l’époque coloniale, les unes par rapport aux autres, jusqu’à imprimer la trajectoire de l’Etat haïtien. Jusqu'à nos jours. Face à l’arianisme de Gobineau, les Haïtiens ont intériorisé la psycho-ethnicité. Depuis, le « gobinisme » à rebours enveloppe le néant haïtien qui s’abreuve aux sources du noirisme et du mulâtrisme.
Il importe de comprendre comment, en deux siècles, Haïti a pu renforcer subtilement les structures d’apartheid coloriste. Selon l’Ambassadeur Charles McKenzie(3), pendant la guerre du Sud (1799-1800), le nombre des victimes aurait culminé à dix mille. Ensuite, le massacre des Français servira d’heureux prétexte aux créoles noiristes et mulâtristes pour consolider leur emprise sur l’ancienne colonie. Dans la gestion politique de la période postcoloniale, sont maintenus « en dehors » les Bossales mais aussi les Blancs au point où il a fallu attendre Daniel Supplice et Steven Benoit pour voir des descendants des Polonais, lesquels s’étaient retournés contre Napoléon, occuper de hautes fonctions politiques. Les créoles noiristes et mulâtristes se sont donc allégrement donnés la main pour partager le gâteau des huit mille plantations abandonnées par les colons. Ainsi fut reconduit le contrat social louverturien d’un pouvoir créole contre les Bossales. En 1844, commença l’exode des classes créoles des grandes villes méridionales vers la capitale pour se protéger des excès de l’Armée Souffrante. Au nom de l’idéologie noiriste, sous les gouvernements de Soulouque, Salomon et Duvalier, des crimes odieux furent commis. Déchirée entre le mulatrisme et le noirisme, deux faces de la même médaille, Haïti sombra dans l’instabilité et la violence politique. Dans cette lutte fratricide pour l’hégémonie politique, une terreur mortifère dont la péninsule méridionale fut le principal théâtre s’installa. Le 23 avril 1848, Soulouque entreprit une tournée dans le Sud en compagnie des chefs Piquets Pierre Noir, Jean Denis, Voltaire Castor. Dans la sanglante répression qui s’ensuivit, Soulouque fut impitoyable. A Aquin, trois cent mulâtres et cent quatre-vingt-quatre noirs furent exécutés. Dans la ville des Cayes, Voltaire Castor ordonna soixante-seize exécutions sommaires. Malgré son immunité parlementaire, le 10 mai 1848, le Sénateur François Théodore Edouard Hall fut exécuté sur la place d’armes des Cayes pour avoir dénoncé la « soulouquerie. » (4)
Sous le gouvernement du Président Louis Etienne Félicité Lysius Salomon Jeune (26 octobre 1879-10 août 1888), la péninsule du Sud fut encore le théâtre d’un autre conflit qui opposa le Parti National au Parti Libéral. En septembre 1883, devant une insurrection bourgeoise à Port-au-Prince, le Président Lysius Salomon fit massacrer cinq mille mulâtres en armant les roturiers contre les rebelles et sympathisants du Parti Libéral. Les membres du secteur privé étaient des partisans déclarés de Boyer Bazelais, principal leader du Parti Libéral. Ils devinrent la cible de la violence des passions. Les partisans du gouvernement pillèrent et détruisirent la Grand-Rue. Pourchassant tout mulâtre, qui ressemblait à un bazelaisiste, la foule tua et massacra pendant une semaine d’où l’appellation «La Semaine sanglante». Il fallut la menace d’une intervention étrangère pour que le calme revienne.
Sous la présidence de Lescot, le mulâtrisme accéléra la déconstruction de l’identité haïtienne et se renforça contre toute menace de dilution en se réaffirmant contre toute velléité d’hégémonie noiriste. Elie Lescot fut le principal artisan de la plus grande opération de «déchoukage» du Vodou avec «Les Rejetés». Son administration fut marquée par l'arrêt du Carnaval, le ralentissement de l’activité économique et la répression politique la plus sévère des dissidents. L’occupation américaine et la méfiance des élites entre elles relancèrent les luttes identitaires qui finalement aboutirent au mouvement des classes moyennes noires de 1946. Les luttes de pouvoir allaient accroitre les hostilités entre les classes dominantes qui affichaient pour les masses populaires le même mépris.
Des élections de 1957 qu’il remporta grâce à la complicité du courant noiriste qui traversait l’Armée d’Haïti, Duvalier avait dit « Le Sud m’a boudé ». Les incrédules se rendirent vite à l’évidence que son intention n’était pas d’amuser la galerie lorsqu’il avait lançé son fameux « map fè bounda yo tounen paswa».L’année 1958 marqua le retour et la nomination des éléments de la classe moyenne noire dans la fonction publique et l’Armée. Vers le milieu de l’année 1958, l'Armée, qui avait soutenu Duvalier, échoua dans une tentative de l'évincer. En réponse, Duvalier transforma la garde Présidentielle en une garde prétorienne et créa en 1959 le Corps des VSN (Volontaires de la Sécurité Nationale). Le 5 août 1964, à la suite de l'entrée sur le territoire haïtien de treize membres (un noir et douze mulâtres) du groupe «Jeune Haïti» dans le Sud, François Duvalier, dans le cadre de sa politique noiriste, ordonna des représailles contre les mulâtres de la ville de Jérémie. Les haines et rancœurs accumulées au cours des décennies contre ces derniers servirent de prétexte aux ordres donnés aux agents militaires et aux «Tontons Macoutes». Avec la terreur du régime des Duvalier, l’exil volontaire ou forcé fut la planche de salut de la classe moyenne noire ou mulâtre.
Mais, l’explosion démographique des deux derniers siècles a crée les conditions favorables à la réincarnation des George Biassou, Jeannot Bullet, Jean-François Orozco, Jean Kina et le retour en force des « Engagés ou 36 mois » qui avaient toujours juré de s’allier à leurs frères consanguins. Le néo-colonialisme renoue ainsi avec la prédominance des principes cardinaux de l’anthropologie coloniale exacerbant par l’usage d’arguties superficielles les antagonismes aux relents tribaux. Pour les besoins de l’empire, les chefferies sont alimentées et les vieilles confréries maraboutiques réactivées pour maintenir notre insularité symptomatique présentée sur les fonts baptismaux par le moule colonial. En reconduisant la société coloniale sans sanction, notre particularisme aveugle est devenu le garant de l’autarcie. Une situation complexe sur laquelle nous sommes tenus de revenir pour ouvrir d’autres fenêtres sur cette difficile cohabitation entre le mulâtrisme estampillé de l’arianisme et le fascisme indigéniste de l’école des Griots. Un volet jusqu'à présent trop négligé par les anthropologues, sociologues et généticiens pour comprendre cette prédominance des clivages superposés de la société coloniale sans sanction. D’où la nécessité de revisiter constamment le consensus frêle entre la marche obligée et l’unité fragile du Camp-Gérard.
Comme l’a si bien souligné Leslie Péan, « la volonté d'être original conduit à faire des entorses aux faits. » (5) Et dans notre cas précis, cela conduit à alimenter une forme de particularisme qui entre en conflit avec les fondements du vivre ensemble. Péan souligne que « pendant l’occupation américaine de 1915-1934, les thèses du particularisme haïtien sont implantées dans les esprits avec l’école indigéniste des Griots. » (6) On peut comprendre le coup de sang de 1946 face au mulatrisme exacerbé par l’occupant qui a pris la forme du rejet de l’apport des autres classes et régions dans la construction du nouvel Etat. Mais, le noirisme politique de 1957 pousse Haïti vers le gouffre du particularisme aveugle. Pour paralyser l’esprit des Haïtiens, cette déviance mystificatrice a jeté un voile sur des aspects et faits combien importants. Comme l’a si bien signalé le sociologue Laënnec Hurbon, «Que la tête du père Philémon ait été apposée par les colons, sur la place d'armes du Cap, à côté de celle de Boukman sur la potence, cela devra encore être médité par les historiens. » (7)
Parlant de la révolte générale des « Africains esclavagisés » de la région Nord, Laennec Hurbon dit ceci : « on dénombre pas moins de 16 prêtres sur 24 dans le Nord à avoir eu une participation active et même décisive dans l'insurrection.»(8) En effet, d’autres prêtres dont le père Cachetan, curé de la Petite Anse ; le père Sulpice, curé du Trou; le père Philippe Roussel, curé de la grande Rivière du Nord, l’abbé Delahaye, curé de la paroisse du Dondon, etc.(9) Avec cette disposition manifeste d’abonder dans le particularisme aveugle, l’universalisme est rejeté. Les idées jacobines, combattues. Ainsi, il devient aisé de comprendre la disparition graduelle, à partir des années 50, de l’historiographie officielle du nom du général André Rigaud, le dernier rempart face à la toute-puissance louverturienne. Un modèle qui, jusqu’à date, continue de peser lourd sur le système politique haïtien. En même temps, on ne rate jamais une occasion de faire référence à la première rencontre entre Dessalines et Pétion le 8 aout 1802 sur l’habitation Gaubert (Nord d’Haiti - entre Plaisance et Pilate). Dans l’intervalle, on s’évertue à minimiser la contribution du Sud à toutes les phases du long chemin de notre guerre de libération nationale.
Pourtant, dès novembre 1802, le Sud était déjà agité. Un changement de cap s’opérait avec la prise d’armes de Laurent Férou. A la même époque, Gilles Bénech, Nicolas Régnier et Jean Baptiste Perrier (Goman) allumaient le feu de l'insurrection qui allait embraser toute la péninsule en attaquant Tiburon. La révolte grondait partout. Dans l’intervalle, Ignace Despontreaux Marion abandonnait les Français pour rejoindre Pierre Cangé à Léogane. Le 16 Janvier 1803, Nicolas Geffrard s’emparait de l’Anse-à-Veau. Le 13 mars, André Juste Borno Lamarre chassait les Français du Petit-Gôave. La mobilisation connut un succès sans précédent au point que plusieurs places importantes de la péninsule se libérèrent dès les premiers mois de 1803, avant même l’Entrevue du Camp-Gérard entre Dessalines et Geffrard. (10)
Un peuple, une nation, une ambition…
Dans notre mémoire collective, la participation du Sud à la guerre de l’indépendance apparaît terne et blême par rapport à celle du Nord et même secondaire, loin derrière celle de l'Ouest. Les origines diverses de cette perception alimenteront des interprétations erronées dans l’appréciation de la contribution de cette région au processus de création du nouvel Etat.
Face à l’angoisse du rétablissement de l’esclavage, le général de brigade Nicolas Geffrard écrivait dans une lettre adressée à Dessalines en date du 18 nivôse an 11 (8 janvier 1803) : « Nous voici parvenu à un moment décisif et il va falloir nous concentrer et cesser d'offrir le spectacle d'un soulèvement d'hommes dispersés sans ordre et sans commandement. L'ennemy n'a fait jusqu'ici que tirer parti de cette grande faiblesse; nous sommes déjà redoutable à cause de notre volonté de vivre libre ou de mourir, nous deviendrons invincibles si nous nous unissons sous un commandement suprême. Je viens d'écrire au Général Christophe en ce sens et je suis assuré de sa réponse positive. » (11) Cependant, à la même époque, Dessalines n’était pas sans ignorer que son nom était prononcé avec acrimonie dans le Sud à cause des comportements extrêmes lors du conflit entre Toussaint et Rigaud. Il importe de rappeler que, lors du siège de Jacmel pendant la guerre du Sud, Christophe et Dessalines furent impitoyables. On a rapporté certains épisodes douloureux où Christophe n’épargna ni enfants ni femmes enceintes ni vieillards. (12) On comprend ainsi le sens de l’expiation dans les propos de Dessalines au Camp-Gérard. Sur fond d’abnégation, il faut le reconnaitre.
La crise haïtienne actuelle a le mérite de mettre à visière levée l’échec du courant nihiliste qui encourage la jeunesse à ne pas se réconcilier avec les fondamentaux historiques. Pour cette raison, il importe que la grande convocation du Camp-Gérard sorte de l’oubli parce qu’elle symbolise la réconciliation nationale après la guerre fratricide entre le Nord et le Sud. En effet, du 5 au 6 juillet au Camp-Gérard, l’union des anciens et nouveaux libres, des noirs et des mulâtres, en parachevant l’organisation de l’Armée indigène, donnait une nouvelle impulsion à la lutte. En ce sens, elle imprima la trajectoire vers la culmination de la résilience du 18 novembre 1803 qui déboucha sur le 1er Janvier 1804 où nos Pères se mirent debout à la face du monde dans la ville des Gonaives. Il est important de signaler l’origine méridionale d’au moins du tiers des trente-sept signataires de l’Acte de l’indépendance.
Pendant que le général en chef regagnait son campement dans la Plaine du Cul-de-Sac, Nicolas Geffrard assiégeait la Plaine-du-Fond des Cayes. Jérémie passait, le 4 août, entre les mains de Laurent Férou. Le 8 septembre, les troupes de Pierre Cangé secondé par Magloire Ambroise, Lacroix et Macaque rentraient à Jacmel. Quelques jours auparavant, c’était au tour de Léogâne d’être libéré par Pétion et Cangé. Le 10 Octobre, à sept heures du matin, Jean-Jacques Dessalines, Alexandre Pétion et Louis Etienne Gabart, à la tête l'Armée indigène, firent leur entrée triomphale à la capitale qui reprend le nom de Port-au-Prince. En apprenant la capitulation du général Brunet et l’entrée de Geffrard aux Cayes le 17 octobre 1803 à la tête de l’Armée du Sud, Dessalines partit de la Plaine du Cul-de-Sac le 21 Octobre. (13)
Le 1er Novembre, le général en chef passait en revue les troupes de l’Artibonite aux Gonaives et mettait le cap sur le Limbé où devaient se réunir les troupes d’élites de l’Ouest, de l’Artibonite, du Nord et du Sud. Pourtant, l’Armée du Sud ne fut pas à ce dernier grand rendez-vous où se distinguèrent Louis Etienne Gabart, Jean Philippe Daut, Augustin Clerveaux, André Vernet, Henry Christophe, Paul Romain, et Francois Capois. A la vérité, Geffrard n’a même pas eu le temps d’arriver à Grand-Goâve. L’Armée du Sud dût se rendre à Jacmel pour combattre une insurrection des anciens partisans de Lamour Dérance, soulevés contre l’autorité de Dessalines. Geffrard pénétra donc dans les mornes de Jacmel, étouffa l’insurrection, arrêta les principaux chefs et rétablit la paix à la fin du mois de Novembre. L’effervescence enivrante de la dernière grande victoire du 18 novembre sur la plus puissante armée du monde de l’époque arrivera même à occulter les effets du blocus naval de l’Angleterre et de la fièvre jaune. (14) Toutefois, nous tenons à rappeler la participation du Sud à la bataille décisive de Vertières par la présence du vaillant général Pierre Cangé, natif du Grand-Goâve.
Conclusion
Avec la disparition des matières comme l’histoire et la culture générale au profit de l’indigence intellectuelle, la pédagogie de l’absurde avec le « pito nou lèd nou la » est devenue l’essence même de notre société. Loin d’un exercice futile d’auto-flagellation pourtant nécessaire, il s’agit de reconnaitre les limites de la tétanisation imposée du cerveau qui accompagne le vide éthique de l’ Haïtien. Sur ce dernier point, lorsqu’il s’agit de démontrer notre incapacité à faire preuve de discernement et de nuance, on est pantois devant l’embarras du choix. Quand les élites, de la gauche comme de la droite, n’ont pas la capacité de distinguer le faux du vrai, il y a de quoi avoir vraiment froid dans le dos. En ce sens, les exemples sont pluriels. Avec l’inauguration d’une la bibliothèque municipale de Mirebalais baptisée au nom de la tortionnaire tonton macoute Rosalie Bosquet – Mme Max Adolphe, (15) la remise au champion national de tennis de table d’une coupe nommée «Guy Philippe», (16) le dépositaire de l’ordre colonial par la terreur, ne devrait nullement étonner. On peut comprendre le désarroi de la jeunesse estudiantine qui, sous l’emprise des « saints dindins », ne sait à quel saint se vouer. C’est avec cet état d’esprit qu’il faut aborder le choix de Jean-Claude Duvalier, antithèse de l’état de droit, comme parrain de promotion de l’Ecole de droit des Gonaïves. Ainsi se prolifère la contagion réactionnaire des forces de l’immobilisme et de la stagnation avec le virus du statu quo injecté par les pseudo-intellectuels qui préfèrent les raccourcis des lendemains qui déchantent. Pour justifier leur clin d’œil au statu quo, ils prétendent qu’il faut être à Rome pour combattre les Romains. De la poudre aux yeux d’une jeunesse désemparée, suspendue aux lèvres des caisses de résonnance de l’absurde et de l’arbitraire.
Pour mieux illustrer l’accélération de la dégradation de notre matériel humain, il importe ici de juxtaposer Joseph Anténor Firmin à cette génération reformatée avec le logiciel du néo-colbertisme. Tandis que Firmin, lors de son passage à Paris administrait une sévère raclée à Gobineau avec « De l’égalité des races humaines », les thuriféraires de la subalternité reviennent principalement de France avec une motivation suffisamment claire : remplacer le palmiste national par le bananier. Pour paraphraser le vieil adage, tout ce qui brille n’est pas Doré. Qu’il soit rappelé à ces serviteurs de l’idéal nihiliste que la récompense ultime des dépositaires de la société coloniale sans sanction, a toujours été et sera toujours la déportation volontaire ou forcée. Dans les deux cas, aux frais de l’empire comme pour Georges Biassou, Jean-François Orozco, Jean Kina, Raoul Cédras et Michel François.
Au-delà de ces faits et moments saillants de notre vécu de peuple, nous voulons ici rendre hommage à la singularité de l’Entrevue du Camp-Gérard. Nous ne pourrons aborder sereinement les défis de demain si nous nous n’inspirons pas de la dimension universelle des meilleurs moments de notre histoire et des gestes de fierté de notre passé. « Les peuples cessent de vivre quand ils cessent de se souvenir.»(17)La société frappée d’amnésie n’a ni empreinte génétique ni ressort pour rebondir et ne pourra donner de direction ni à son présent ni à son futur. Face à cette tendance à privilégier l’indifférence et la sécheresse, il est opportun de rappeler que les fondamentaux historiques constituent un trésor national qui nous permettra d'élever notre niveau de conscience, de redécouvrir les vertus et de renouer avec la grandeur. Tout comme l’arbre a besoin de ses feuilles, il a besoin de ses racines. En résonance avec nos fondamentaux historiques, notre mémoire collective est essentielle pour consolider notre vision du futur. « Parce qu’un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ». (18)
Aux dernières nouvelles, le Panama inaugurait en grande pompe le 26 juin 2016 les nouvelles écluses de son canal transocéanique. Pendant ce temps, Haïti, classée 111e sur 130 dans le récent classement du capital humain selon une enquête du Forum économique mondial, continuait à faire de la pesanteur du statu quo la subtilité fondamentale de son existence. Dans ce vaste complot ourdi par les élites créoles noiristes et mulâtristes aussi bien par les bossales, l’empirisme est devenu depuis des lustres l’alchimie des charlatans pour euthanasier l’esprit de la jeunesse et combattre la modernité. Le déficit de vision anticipatrice est la signature génétique d’une société haïtienne qui n’a jamais revendiqué un modèle économique et politique basé sur le droit et la justice. Pour déboulonner ce système de pensée qui condamne au non-développement durable, il faut donc commencer par inverser l’ordre de la déresponsabilisation collective en mettant en œuvre un développement économiquement durable maîtrisé par les Haïtiens en résonance avec nos fondamentaux historiques et culturels qui structureront de façon pérenne le cadre de notre existence.
Comme je l’ai démontré dans la «La Péninsule Républicaine » publiée en 2014, il importe de repousser les limites de l’ignorance de notre propre histoire. Afin que nul ne l’ignore ou n’en prétexte l’ignorer, les vies de nos héros abandonnés, sans fleurs ni couronnes, dans les oubliettes du chauvinisme, du régionalisme et du racisme auraient été de mauvais rêves si nous ne nous étions pas donnés pour mission d’accomplir ce devoir de mémoire en ce 213e anniversaire de l’Entrevue du Camp-Gérard. En témoignage de notre reconnaissance, notre tenons à rendre un vibrant hommage à la particularité de leur contribution à l’œuvre libératrice et à l’universel. Parce que son affirmation à l’existence s’est vue sans cesse opposer l’exercice de l’incompréhension et parfois du mépris, parce que l’histoire a souvent brouillé les cartes, la péninsule du Sud, confrontée à une politique du déni, affirme sans discontinuer sa détermination à durer.
Références :
(1) Alin Louis Hall, La Péninsule Républicaine, Collection Estafette, Imprimerie Brutus, 2014, p 41
(2) Sauveur Pierre-Etienne, L’énigme haïtienne, Echec de l’état moderne en Haïti, Mémoire d’encrier, 2007, p 93
(3) Charles Mackenzie, Notes on Haiti, made during a residence in that republic” – Vol 1, 1830. P 75
(4) L’expression « soulouquerie » fut inventée par le Sénateur Edouard Hall. Ce jour-là, le vieillard Daublas fut exécuté également. Simon Bolivar fait référence à Daublas dans une correspondance adressée au général Ignace Despontreaux Marion qui l’accueillit aux Cayes en décembre 1815.
(5) Leslie Péan, La semaine Dessalines : Le mauvais chemin pris par Haïti dans l’histoire (1 de 7), AlterPresse, 13 octobre 2015
(6) Leslie Péan, La semaine Dessalines : Le mauvais chemin pris par Haïti dans l’histoire (7 de 7), AlterPresse, 19 octobre 2015
(7) Laënnec Hurbon, L’insurrection des esclaves de Saint-Domingue, op. cit. p. 11.
(8) Laënnec Hurbon, L’insurrection des esclaves de Saint-Domingue, op. cit. p. 32.
(9) Adolphe Cabon, Notes sur l'histoire religieuse d'Haïti de la révolution au Concordat (1789-1860), Port-au-Prince : Petit Séminaire Collège Saint-Martial, 1953, p. 35.
(10) Alin Louis Hall, La Péninsule Républicaine, Collection Estafette, Imprimerie Brutus, 2014, p 365
(11) Alin Louis Hall, La Péninsule Républicaine, Collection Estafette, Imprimerie Brutus, 2014, p 30
(12) Charles Mackenzie, Notes on Haiti, made during a residence in that republic – Vol 1, 1830. p75
(13) Alin Louis Hall, La Péninsule Républicaine, Collection Estafette, Imprimerie Brutus, 2014, p 366
(14) Alin Louis Hall, La Péninsule Républicaine, Collection Estafette, Imprimerie Brutus, 2014, p 367
(15) Gérard Jeanty Junior, « Outrage à la mémoire des victimes de la barbarie duvaliériste », publié le 30 août 2010 http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/83021/Outrage-a-la-memoire-des-victimes-de-la-barbarie-duvalieriste
(16) Emmanuel Bellevue, « Lionel Carré remporte la coupe Guy Philippe », publié le 12 avril 2016 http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/157681/Lionnel-Carre-remporte-la-Coupe-Guy-Philippe
(17) Maréchal Ferdinand Foch
(18) Ibid.
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