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La dynamique unitaire: La participation du Sud à la guerre de l’indépendance

nicholas-geffrard-heros-nationalGeneral Nicholas Geffrard Par Alin Louis Hall  ---  Nous voulons rendre ici un vibrant hommage aux leaders militaires de la Péninsule du Sud et à leur participation à toutes les phases de la guerre de l’indépendance. Nous ne pourrons avancer si nous ne nous inspirons pas de la dynamique unitaire que ces hérosenterrés avec des costumes de préjugés, sans fleurs ni couronnes, ont insufflé à la dernière phase de notre guerre de libération qui aboutira au 1er janvier 1804.

Au-delà des faits saillants de cette glorieuse épopée, la postérité n’a retenu que le rôle primordial joué par les autres régions de Saint Domingue. Pourtant, dès le début de 1791 commençait à se faire nettement sentir dans le Sud le poids de l'action émancipatrice des forces d'en-bas. Pour ainsi dire, l’insurrection des esclaves de Port-Salut du 24 Janvier 1791, huit mois avant la cérémonie du Bois-Caïman, s'installera durablement dans le Massif de la Hotte. L'éclatement de la poussée contestataire des Affranchis de la Plaine-du-Fond des Cayes s'étendra au reste de la péninsule, jusqu’au Port-Républicain[1] qu’ils incendieront en novembre 1791. Gagnés à la grande mystique des révolutions après avoir respiré l’air de la liberté à Savannah en 1779 et à Pensacola en 1781, ils étaient devenus les porte-étendards des idéaux républicains après avoir côtoyé en métropole les célébrités de 1789. Les Républicains anéantirent à jamais les nostalgiques de l’ancien régime et chassèrent les Anglais de la Péninsule. Toutefois, la mémoire de la contribution du Sud se résumera le plus souvent à l’Entrevue du Camp-Gérard. Déjà, vers la fin de 1802, Laurent Férou s’était soulevé contre les Français. A la même époque, Gilles Bénech, Nicolas Régnier et Jean Baptiste Perrier (Goman) allumaient le feu de l'insurrection qui allait embraser toute la péninsule en attaquant Tiburon. La révolte grondait partout. Le mouvement connaitra un succès sans précédent au point que plusieurs places importantes de la Péninsule se libèreront dès les premiers mois de 1803, avant même l’entrevue du Camp-Gérard.

Selon Thomas Madiou, « Dessalines arriva vers la fin de juin 1803, au Camp Gérard, dans la plaine des Cayes, où Geffrard avait son quartier général. L'armée du Sud l'accueillit avec respect. Elle était forte de 10.000 hommes, infanterie et cavalerie. Il la trouva parfaitement disciplinée. Il s'aperçut cependant que les préventions des citoyens de ce département contre lui ne s'étaient pas entièrement dissipées, et que Geffrard était dans l'armée l'objet de la plus profonde vénération. Il pensa que ses intérêts ainsi que ceux de la patrie lui commandaient de se justifier des accusations dont il était l'objet. Le lendemain, il réunit toutes les troupes, se plaça au milieu d'elles, et leur dit en créole les paroles suivantes, qui sont demeurées gravées dans l'esprit des témoins de cette scène solennelle : Mes frères, après la prise de la Petite-Rivière de l'Artibonite, sur les Français, je fus proclamé général en chef de l'armée indépendante par les populations de l'Artibonite. Les généraux du Nord et de l'Ouest, mus par l'amour de la liberté, oubliant les haines politiques qui les animaient les uns contre les autres, vinrent successivement reconnaître mon autorité. En acceptant le commandement en chef de mes frères, j’en ai senti l'importance et la haute responsabilité. Je suis soldat; j'ai toujours combattu pour la liberté; et si j'ai été pendant la guerre civile aveuglement dévoué à Toussaint Louverture, c'est que j'ai cru que sa cause était celle de la liberté. Cependant, après la chute du général Rigaud, n'ai-je pas maintes fois usé de mon influence pour sauver une foule de braves que le sort des armes avait trahis et qui eux aussi avaient vaillamment combattu pour la liberté lorsque tous nos efforts tendaient à écraser le parti colonial? Beaucoup de ceux qui m'écoutent me doivent la vie; je m'abstiens de les nommer. Mes frères, oublions le passé; oublions ces temps affreux, alors qu'égarés par les Blancs, nous étions armés les uns contre les autres. Aujourd'hui, nous combattons pour l'indépendance de notre pays, et notre drapeau rouge et bleu est le symbole de l'union du Noir et du Jaune ». Dessalines fut interrompu par toute l'armée qui s'écria: « Guerre à mort aux Blancs ». Il continue: « Les factions qui pouvaient compromettre la cause de la liberté sont presque éteintes: Lamour Dérance abandonné des siens, doit être arrêté à présent; Petit-Noël Prière, dans les hauteurs du Dondon, ne commande plus qu'à quelques bandits. Je vais retourner dans ces quartiers et je ferai rendre le dernier soupir à la faction expirante des Congos. Vive la liberté!. L'armée répondit par des acclamations universelles. Dessalines reçut de tous les officier supérieurs l'accolade patriotique. Il fit brûler les brevets que Lamour Dérance avait envoyés à quelques officiers du Sud, et les remplaça par de nouveaux qu'il délivra lui-même. Il nomma Geffrard, général de division, commandant en chef du département; Gérin, général de brigade, commandant de l'arrondissement de l'Anse-à-Veau; Jean-Louis François, général de brigade, commandant de l'arrondissement d'Aquin; Moreau Coco Herne, général de brigade, commandant de celui des Cayes; Laurent Férou, général de brigade, commandant de celui de Jérémie. Moreau Coco Herne et Férou avaient à conquérir les Cayes et Jérémie, les chefs-lieux des arrondissements qu'on leur avait confiés. Dessalines forma ensuite, de toute l'armée du Sud, six demi-brigades d'infanterie et une légion de cavalerie. L'ancienne 13e fut réorganisée. Comme il existait déjà aux Gonaïves une 14e demi-brigade, Dessalines donna aux cinq autres corps du Sud, qu'il venait de former, les numéros: 15e, 16e, 17e, 18e et 19e. La 13e fut confiée au colonel Bourdet, homme de couleur; la 15e au colonel Francisque, homme de couleur; la 16e, au colonel Leblanc, homme de couleur; la 17e, au colonel Vancol, homme de couleur; la 18e, au colonel Bazile, Noir; la 19e, au colonel Giles Bénech, Noir. La légion de cavalerie fut confiée au colonel Guillaume Lafleur, Noir.

Geffrard présenta à Dessalines Boisrond Tonnerre, son secrétaire, le lui recommanda comme un homme instruit, du patriotisme le plus ardent. L'attitude et le langage de Boisrond Tonnerre séduisirent Dessalines qui l'attacha à sa personne ».[2]

Cependant, dans notre mémoire collective, la participation du Sud à la guerre de l’indépendance apparaît terne et blême par rapport à celle du Nord et même secondaire, loin derrière celle de l'Ouest. Les origines diverses de cette perception alimenteront des interprétations erronées dans l’appréciation de la contribution de cette région au processus de création du nouvel état. Pourtant, pendant que Nicolas Geffrard assiégeait la Plaine-du-Fond des Cayes, le 4 août 1803, Jérémie passait entre les mains de Laurent Férou. Le 8 septembre, les troupes de Pierre Cangé secondé par Magloire Ambroise, Lacroix et Macaque entraient à Jacmel. Quelques jours auparavant, c’était au tour de Léogâne d’être libéré par Pétion et Cangé. En apprenant la capitulation du Général Brunet et l’entrée de Geffrard aux Cayes le 17 octobre à la tête de l’Armée du Sud, Dessalines partit de la Plaine du Cul-de-Sac le 21 Octobre. Le 1er Novembre, le Général en Chef passait en revue les troupes de l’Artibonite aux Gonaives et mettait le cap sur le Limbé où devaient se réunir les troupes d’élites de l’Ouest, de l’Artibonite, du Nord et du Sud.

Pourtant, l’Armée du Sud ne fut pas à ce dernier grand rendez-vous où se distinguèrent Louis Etienne Gabart, Jean Philippe Daut, Augustin Clervaux, André Vernet, Henry Christophe, Paul Romain, et FrancoisCappouet dit “CapoixLa Mort”. L’effervescence enivrante de la dernière grande victoire du 18 novembre sur la plus puissante armée du monde de l’époque arrivera même à occulter les effets du blocus naval de l’Angleterre et de la fièvre jaune.

A la vérité, Geffrard n’a même pas eu le temps d’arriver à Grand-Goâve. L’Armée du Sud dût se rendre à Jacmel pour combattre une insurrection des anciens partisans de Lamour Dérance, soulevés contre l’autorité de Dessalines. Geffrard pénétra donc dans les mornes de Jacmel, étouffa l’insurrection, arrêta les principaux chefs et rétablit la paix à la fin du mois de Novembre. En cette 210ecélébration de la proclamation de notre Indépendance, nous tenons à rappelerla participation du Sud républicain, par la présence du vaillant Général Pierre Cangédu Grand-Goâve, à la bataille décisive de Vertières où les va-nu-pieds se couvrirent de tant de gloire.

Au-delà de ces faits et moments saillants de notre vécu de peuple, nous voulons ici rendre hommage à la singularité de l’accolade universelle du 1er janvier 1804.Nous ne pourrons aborder sereinement les défis de demain si nous nous n’inspirons pas de la dimension universelle des meilleurs moments de notre histoire et des gestes de fierté de notre passé.« Les peuples cessent de vivre quand ils cessent de se souvenir.»[3] La société frappée d’amnésie n’a ni empreinte génétique ni ressort pour rebondir et ne pourra donner de direction ni à son présent ni à son futur. Face à cette tendance à privilégier l’indifférence et la sécheresse, il est opportun de rappeler que les fondamentaux historiques constituent un trésor national qui nous permettra d'élever notre niveau de conscience, de redécouvrir les vertus et de renouer avec la grandeur. Tout comme l’arbre a besoin de ses feuilles, il a besoin de ses racines. En résonance avec nos fondamentaux historiques, notre mémoire collective est essentielle pour consolider notre vision du futur.

Par Alin Louis Hall

[1]Port-au-Prince

[2]Histoire d’Haïti, par Thomas Madiou fils, Ancien Directeur du Lycée de Port-au-Prince. Au Port-au-Prince, Imprimerie de Jh Courtois, 1847

[3]Maréchal Ferdinand Foch