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Je suis de Cité Soleil et j’en suis fier

richardson dorvil-1Richarson Dorvil

Je m’apprêtais à rentrer en classe de Rhétorique quand ma mère a été hospitalisée, elle souffrait d’une malnutrition chronique. Ce fut un grand coup pour moi, car, ma vie dépendait de cette femme dont le froid, la chaleur n’ont su effrayer.

J’ai arrêté les cours pendant quatre ans, pour bosser dans une usine afin de subvenir aux besoins de ce couple que nous formions dans une chaumière de cité soleil. Les déceptions, j’en ai encaissées, les jours sombres, j’en ai connus, mais j’ai résisté, je n’avais pas le choix, je devais consentir à ce sacrifice.

Avec de maigres économies, j’ai pu mettre sur pieds un petit commerce, qui consistait en une «barque» (réchaud et table) de café le matin, une de «Mais bouilli» le soir. Avec les riverains, qui ne cuisinaient que rarement afin d’économiser du temps et des sous, ma mère, comme gérante, la petite affaire prospérait et ça m’a donné la possibilité de retourner à l’école et on mangeait à notre faim au moins deux fois par jour, du café le matin, du «mais bouilli» le soir.

J’ai fréquenté le lycée communal, pour boucler mon cycle d’études secondaires, mais ce fut deux années de souffrances. D’une part parce qu’il n’y avait aucune structure, infrastructure pour apprendre, d’autres parts, parce que de loin plus âgé que les autres élèves, je devais porter l’affreux sobriquet de «doyen» ou pire encore, «Papa classe».

A la lueur d’une bougie, chaque soir, j’étudiais des notes que je croyais importantes, car je voyais rarement un professeur à l’école, donc j’avais une piètre idée de ce qui m’attendait aux examens officiels. Je ne savais vraiment comment me préparer, mais j’ai fait de mon mieux pour comprendre ce que je lisais et comme tout élève haïtien, victime d’un système éducatif pourri, défaillant… tout mémoriser. Dieu aidant, j’ai réussi aux examens des classes de Rhétorique et de Philosophie, même si ce fut avec la moyenne juste. Ma mère a versé des larmes de joie et j’ai pleuré comme un enfant en pensant aux souffrances qu’elle a endurées pour que je puisse accéder au Baccalauréat Niveau 2.

Je ne me suis pas arrêté en chemin, quelques mois plus tard, j’avais déjà intégré la faculté de Droit, je m’étais lancé dans une course vers le savoir. Le régime alimentaire avait légèrement altéré, mais était encore de mise. Le matin, en étudiant, je guettais par la fenêtre les passants qui voulaient renflouer leur téléphone mobile, car j’étais devenu distributeur de crédits «Plop plop, Pap pa dap, Direk Direk»… Cela m’aidait à me procurer les livres nécessaires à ma formation et mieux appréhender les vicissitudes de la vie.

Au fil de mes études, j’ai rencontré Marie France, une jeune femme avisée, issue de la classe moyenne, qui rêvait aussi de devenir juriste. Je l’ai aimée, elle m’a aimé, jusqu’au jour où elle a su que ma mère était une pauvre petite commerçante, que j’habitais cité soleil, «zone de non droits», «repaire de kidnappeurs» pour répéter ses propos.

Je croyais, je voulais… Au bout de quatre années, j’ai décroché ma licence en Sciences Juridiques, j’ai commencé à pratiquer et vite je me suis fait un nom, j’ai formé un cabinet dont la réputation n’était plus à vanter.

A maintes reprises, j’ai croisé Me. Marie France dans les couloirs de tribunaux, exigence de la bienséance, on se saluait.

J’ai obtenu une bourse et je me suis envolé pour Paris où, pendant deux années, j’ai fait ma maitrise. J’ai regagné Haïti avec beaucoup de fierté, avec plus de fougue, plus de matières pour travailler, gagner les bonnes causes.

Consultant au Palais National, défenseur des intérêts des principales entreprises de la capitale, j’ai gravi, selon certains, plusieurs échelons dans l’échelle sociale, mais, je rends grâces au ciel, car jamais je n’oublierai le combat de ma mère, notre chaumière, nos journées affamées, nos nuits désespérées…

En dépit du fait que mon emploi du temps soit assez chargé, que mes responsabilités m’empêchent de plaider toutes les causes, j’offre l’assistance légale, gratuite aux sans voix, aux démunies.

Je vous ai assez parlé de moi, je dois vous fausser compagnie, j’ai un vol dans quelques minutes avec ma petite maman chérie, on part pour deux semaines de vacances à Venise.

Je dois avoir l’esprit quiet, car à mon retour je dois trouver une réduction de peine pour Me. Marie France, impliquée dans un dossier assez complexe. Elle est présumée coupable dans nombreux cas d’homicides, perpétrés par son époux, un bandit notoire, issu d’une grande famille, un homme de grande culture ayant vécu dans les quartiers huppés, dit-on…

 Auteur: Richarson Dorvil
https://www.facebook.com/culture509 

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