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Bombardopolis: Cité née d’une Altercation Franco-Allemande

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Par Jean-Rony Monestime --- Le Nord-Ouest d’Haïti abrite l’une des communes les plus fascinantes du pays: Bombardopolis. Son destin parait prophétique. Cette une localité qui a vécu un passé prospère, qui vit un présent déplaisant, mais flirte avec un futur douteux. Pourtant, son histoire et sa riche culture font d’elle la plus séduisante du département.

L’Origine de son Nom

En réalité, cette localité est fréquentée depuis la fondation officielle du Môle Saint-Nicolas, le chef-lieu du canton qui, d’alors, comprenait: Le Môle, Jean-Rabel et Port-à-piment*. Évidemment, l’actuelle Bombardopolis fut une habitation du Môle connue sous le nom des Sources, selon l’Ordonnance coloniale qu’on fit au domaine du territoire du canton, à cause de sa teneur en eau.

Le Môle Saint-Nicolas fut habité par deux ethnies: les allemands et les acadiens qui ne s’entendent presque pas. Les conflits inter-ethniques ne cessent de se produire. Pour y remédier, le plus grand notable de la zone, M. Fuzée Aublet, décida de créer une zone exclusive aux allemands, afin d’éviter trop de brigandage. Ainsi, il choisit l’une des régions les plus cultivables de la contrée pour reloger les déplacés. M. Aublet emprunta le prénom d’un naturaliste français, M. Bombarde, le seul chercheur du canton, qui fut envoyé à Cayenne en 1762, comme botaniste du Roi, il y ajouta le vocable grec polis (ville). La nouvelle ville créée pour les allemands s’appela officiellement: Bombardopolis. M. Bombarde fut un riche financier, amateur des sciences naturelles; son nom dût inspirer les habitants à cultiver la terre et à protéger le panorama de leur nouvelle demeure. Car, il fut l’un des plus notoires des botanistes coloniaux.

Le 17 Janvier 1784, Bombardopolis fut élevée au rang de paroisse et rentra dans l’histoire officielle de la colonie française de Saint-Domingue. Néanmoins, ses habitants furent des allemands qui reçurent chacun une portion de terre cultivable. Bombardopolis est bornée au Nord pas le Môle Saint-Nicolas, à l’Est par Jean-Rabel à l’Ouest par la Océan Atlantique et au Sud par le Port-à-Piment*, dont elle est séparée par deux rivières : Gallet & Henne.

L’Agriculture

Les autorités françaises accorda aux allemands la gestion de la ville, mais continua de leur lever de lourds impôts sur tous les trafics, en particulier sur l’agriculture. Les pêcheurs acadiens ne laissèrent point la besogne marine aux allemands. Des anciens flibustiers de La Tortue construisaient, peu à peu, des baraques aux alentours de Bombardopolis, mais y demeura la peuplade minoritaire.

L’agriculture devient prospère dans toute la cité. Les allemands obtinrent de Madame Marie-Louise, propriétaire française de la vallée qui porta son nom, la permission de s’approvisionner en eau des Sources du lieu. La Vallée Marie-Louise fut la zone la plus fertile. Sa verdure et sa richesse en vivres et en volailles font d’elle l’orgueil des habitants. En témoignent les négoces entre les planteurs de Bombardopolis et les habitants de tout le canton du Môle Saint-Nicolas; les planteurs allemands approvisionnaient avec fierté, Jean-Rabel, Henne et le Môle.

Les Effets de la Nature

Les catastrophes naturelles font outrage à toutes les villes côtières de la région. Et, ce constat ne date pas de l’autre jour. D’ailleurs, la Source qui devint Bombardopolis en 1784, essuya un ouragan dévastateur en 1772. Sa cruauté fit d’innombrables morts, le bétail détruit au total et les plantations cyniquement ravagées. En 1774, une inondation aussi fit son lot de victimes. À l’inverse, la sécheresse demeura très fréquente. Moreau de Saint-Méry parle de presque douze ans de sécheresse. «Un observateur exact a trouvé que Bombarde avait reçu dans les 12 ans de 1774 à 1785, 28 pieds, 10 pouces, 9 lignes: d’eau, ce qui donne pour taux moyen de l’année, environ 2 pieds, 5 pouces, qui auraient suffi, sans doute, que les pluies étaient venues dans les saisons propices, relativement aux cultures; mais depuis 1784, on observe que les pluies font plus également distribuées & qu’elles ont des périodes pluies favorables », écrit-il (Saint-Méry, P.49, 1797-1798). C’est–à-dire, Bombarde connut toujours de tristes revers légués par la nature. Les laborieux allemands qui y vivaient eurent la peine de trouver un substitut aux vivres péris soit dans l’inondation soit dans la sécheresse. C’est une paroisse meurtrie par les effets de température. Sa forêt se réduit progressivement et le paysage devint moins beau.

Le Déclin de la Population Allemande

Le fondateur de Bombardopolis, M. Fuzée Aublet, la conçut pour héberger les allemands du Môle Saint-Nicolas déplacés suite à de nombreux litiges avec les acadiens. Cependant, ces derniers n’en furent jamais les vrais maîtres. D’ailleurs, l’immigration française ne s’arrête guère. Des colons français obtinrent des concessions et/ou achetèrent souvent des terrains. Et, une politique de repeuplement se fit sentir. Depuis 1766, 18 ans avant que Bombarde ne devienne paroisse et ne soit réellement fondée, la population allemande ne dépassait pas les 776 habitants. Or, ce nombre décroît graduellement. L’auteur de «Description Topographique…..de l’Isle », nous laisse une accablante analyse : «le 5 Avril 1766, Bombarde ne comptait pas plus de 776 Allemands, dans toute étendue. Le reste jusqu’à 2400 avait péri, excepté quelque centaines que la frayeur avait fait déserter, & peut-être cent qu’on employait alors au Mole comme ouvriers. Le 10 Mars 1770, ces 776 étaient réduits à 334. Qu’on juge, par-là, de quel prix est un être quelconque acclimaté à Saint-Domingue, & l’on fit l’expérience des lors, par les services importants que rendit M. le chevalier d’Illens, ancien officier suisse, accoutumé au pays & bon cultivateur, dont on fit le premier commandant de Bombarde » (St Mery, p.50, 1797-1798)

D'ici à 1784, date de sa fondation officielle, les allemands furent peu nombreux. Leur ville reçut le titre de paroisse avec moins d’âmes. Et, ce déficit numérique serait l’une des causes de la domination totale des acadiens. La nature et les hommes effacèrent le peuplement allemand de Bombarde sous un rythme inédit. Bombardopolis tomba décidément aux mains des acadiens.

La Présence des Noirs

Ce fut dans la Plaine des Orangers (ou Oranges) où résidaient en 1765 les premiers noirs de Bombarde. Au nombre de sept, ils y étaient dans le but de travailler dans un atelier de café et d’indigo. Cet atelier était destiné au Roi de France. En 1768, Bombarde eut 30 noirs scindés en 16 cultivateurs et 14 affectés aux travaux de fortification. Cependant, l’après 1775, vit le nombre des noirs augmenter; on dût ajouter aux 40 maisons du lieu d’autres baraques en paille pour les nouveaux arrivés noirs. La population noire de Bombarde croit sans arrêt. Ces esclaves s’adaptent au climat du bourg et jouit d’une espérance de vie louable. Quand les résidents européens s’étaient effrayés du probable Volcan de la Marre-à-Savon, ces africains dansaient et chantaient les cantiques des tribus. Les noirs y restent jusqu’à l’indépendance en 1804. Aujourd’hui, Bombardopolis est complètement habitée par des haïtiens, mais dans un état contraire à sa genèse au 18e siècle.

Bombardopolis fut créée pour la paix. Car, le contexte de sa naissance ne fut que pour apaiser les conflits trop répétés entre les acadiens et les allemands. Le patron du lieu, M. Bombarde, est mort en 1767 avant sa création officielle; son fondateur, M. Fuzée Aublet décédait en vers 1786. Bombardopolis : ville de Bombarde.

Port-à-Piment*= l’ancien nom d’une région du Nord-Ouest aujourd’hui perdue dans la fusion de Baie-de-Henne et la commune de Bombarde.

Jean-Rony Monestime A.
Carte: Google Map

Bibliographie:

1. Saint-Méry, Moreau Médéric Louis Elie « Description Topographique, physique, civile, politique de la partie Française de l’Isle de St-Domingue » vol. 2, Philadelphie, 1797-1798
2. Martin, L. Michel & Yacou, Alain «Mourir pour les Antilles » Guyane, 1991