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Humour Rose: Le Candidat Dans Tous Ses États

Sophia-Caricature 600

« Je est un autre. » Arthur Rimbaud.

Par Castro Desroches --- « Si Micky a pu devenir Président, moi je serai à coup sûr...Sissi Impératrice! » C'est avec ces propos très peu équivoques que la Première dame de la République, son Excellence Sophia Martelly a annoncé avec fracas son intention de remplacer son époux à la Première magistrature de l'État. Mais, rassurez-vous bonnes gens. Il n'y aura pas de coup d'État matrimonial ! D'après les rumeurs dignes de foi qui circulent sur Internet, Sophia aurait la ferme intention de participer en bonne et due forme aux joutes électorales du mois d'octobre. Si cette volonté de continuité dans le change/ment devait se matérialiser, elle aurait à faire face à une phalange d'adversaires très redoutables. À cette liste déjà trop longue, vient juste de s'ajouter aujourd'hui...votre très humble serviteur.

En tant que leader incontestable et incontesté de l'opposition radicale en ex-île, je prends plaisir à vous annoncer officiellement ma candidature à la Présidence d'Haïti. C'est une décision irrévocable à laquelle j'ai abouti après de longues années de gymnastiques intellectuelles, de réflexions téléologiques et philosophales. Afin que nul n'en ignore, je viens de ce pas d'inscrire mon Parti sur la page Facebook du Conseil Électoral Provisoire. J'ai pris, envers Moi-Même, la ferme résolution de faire mieux que les candidats les plus éminents qui se sont distingués à rebours au cours des élections pestilentielles de l'année 2006 :

Docteur Hubert de Ronceray : 0.95% des voix.
Marc Louis Bazin : 0.68%.
Maître Gérard Gourgue : 0.30%.
Colonel Himmler Rébu : 0.19%.

Je suis déjà parti gagnant parmi les membres de ma famille. J'ai eu la chance immense de ne pas avoir de musiciens parmi les miens. D'après les sondages scientifiques menés par la firme américaine Ipsos, je serais carrément le candidat le plus populaire dans le Canton de Nassau. Bibil, mon principal conseiller politique (qui est interné depuis un bon bout de temps dans un asile psychiatrique à New Heaven) suit de près l'actualité nationale et m'a donné la garantie de pouvoir remporter les élections dès le premier tour. Evidemment, je n'ai aucune raison de mettre en doute une prédiction aussi bienveillante. Il me fait un rapport détaillé et quotidien sur les moindres faits et gestes, les moindres prises de position dans la Presse de mes potentiels con/currents. En dépit de son état mental lamentable, ses réflexions lumineuses dépassent de loin la logique pathétique des politologues du dimanche. La folie serait-elle un masque que portent les gens intelligents pour échapper à l'indigence du temps présent?

Ma ravissante copine est très excitée à l'idée de devenir Première dame de la République. Elle qui postulait un rôle de figurant dans la pièce Evita à Broadway ; elle ne pense plus désormais qu'à un titre réel et solennel dans une île baignée de soleil. Avec le plus grand sérieux du monde, elle a déjà commencé à m'appeler Excellence par-ci, Président par-là. Elle me rappelle de temps en temps un passage qu'elle a probablement trouvé dans un roman de Dany Laferrière : « Picasso n'a pas attendu d'être Picasso pour se prendre pour Picasso. » Je perds souvent la tête dans la forêt luxuriante de son érudition.

J'essaie autant que faire se peut de m'ajuster à cette nouvelle notoriété au sein de mon propre foyer. Je bombe la poitrine. Je soigne ma diction. Je mémorise des citations célèbres. Je fais de la r'cherche. Je ronfle avec éloquence. Sans prendre de laxatifs, je remplis mes devoirs de citoyen en déposant mes bulletins avec une régularité admirable. J'arrive à peine à reconnaître l'image que me renvoie le miroir. Je suis devenu étranger à Moi-Même. Le chat s'est métamorphosé en lion.

Lorsque je chat/ouille avec nonchalance le clavier de mon ordinateur, je la surprends souvent en train de me lorgner avec des clins d'œil furtifs de féline. Je feins de ne pas la voir mais je sais qu'elle est entrée dans une nouvelle phase d'infatuation à cause de mon regain d'énergie...politique. N'avais-je pas déjà obtenu son vote enthousiaste, en ce mardi du mois d'octobre où nos regards d'éternels romantiques s'étaient étreints dans cette classe de français à Fordham University?

Elle veille sur mon sommeil avec une vigilance renouvelée. Elle surveille mes moindres écarts de langage qui ne font pas présidentiels. Elle a toujours eu de la classe, ma belle. Elle lit et relit au lit mon discours d'investiture et mes futures adresses à la Nation. C'est elle qui a corrigé ces centaines, voire ces milliers d'articles percutants que j'ai publiés dans les magazines les plus prestigieux de l'État d'Alaska. Je suis un zélé plumitif mais un très mauvais dactylo. Excepté, bien sûr, lorsque mes doigts en quête d'aventure dessinent doucement sur son corps en émoi les lettres sibyllines de l'alphabet du désir.

C'est elle qui met la dernière main à cette vingtaine de manuscrits que je m'apprête finalement à publier aux Éditions C3. C'est elle qui finalise aussi mon modeste CV de trente-deux pages. Nous faisons des préparatifs fébriles afin d'être fin prêts à aller ensemble au rendez-vous de l'Histoire. Dans cette douillette chambre à coucher où nous nous engageons souvent dans la petite guerre à deux, nous avons installé un grand drapeau national et une splendide photo du Palais reconstruit pour la plus belle.

J'ai cru un instant, qu'à la fin de l'année, on allait organiser un troisième carnaval au lieu des élections présidentielles. Depuis la publication du calendrier électoral, je me porte comme un charme. Je rêve avec impatience de ma propre révolution d'octobre par la voie des urnes. Je suis dans un état d'extase et de douce euphorie. Mardi dernier, au cours de mon examen médical annuel, cette charmante infirmière a été surprise de constater une montée en flèche de mon taux de testostérone. Un peu gêné par cette turgescence soudaine et têtue, j'ai dû m'excuser auprès d'elle en confessant candidement que je suis...candidat à la Présidence d'Haïti ! Elle a bien vite compris que le Pouvoir, réel ou anticipé, est un très grand aphrodisiaque...

Les rumeurs persistantes qui se sont répandues sur les réseaux sociaux au sujet de ma candidature ont provoqué pas mal d'effervescence dans ma vie autrefois si sereine. J'ai reçu par UPS une proposition de financement du Sénateur dominicain Fulgencio Dinero, actionnaire principal dans la compagnie Photoshop Construction Inc. J'ai dû même décliner une proposition du Département d'État d'assurer ma sécurité rapprochée. Je ne sais pas si je deviens un peu paranoïaque, mais dans mon quartier, je remarque des voitures de police avec une fréquence inusitée. Le chihuahua de ma voisine nicaraguayenne a cessé de japper dès que je l'ai regardé droit dans les yeux. De parfaites inconnues me dévisagent dans les rues avec une curiosité toute enfantine. Les seins se dressent religieusement pour saluer mon passage. Serait-ce une simple coïncidence ? Serais-je en train de porter soudain une auréole de gloire qui attire l'attention et réclame la révérence la plus absolue ?

Le nombre de mes amies intimes à Facebook a atteint son sommet. Les nouvelles demandes de tendre amitié arrivent, sans sommation, des endroits les plus exotiques : Les Îles Vierges, Sainte Lucie, Les Seych/elles, Les Pays/Bas, Le Monté/négro, La Gé/orgie, La Grenade, Mayotte, La Côte d'Ivoire, Costa Rica, Puerto Rico, La Sibérie, L'Antarctique, et cetera. En prévision de mon raz-de-marée électoral, j'ai déjà reçu plusieurs demandes en mariage, des billets doux et même des propositions...indécentes. Je reçois des résumés, des photos en tenue légère, des certificats de santé et de bonne vie et mœurs, des demandes de réconciliation de mes anciennes épouses. On m'y mêle. On me twitte. On me cuisine à petit feu. On me massage dans le sens du poil avec des messages câlins sur Messenger. Moi, je garde la tête froide. Je joue au Bel Indifférent de Jean Cocteau.

Pourtant, la marche à la Présidence ne sera pas chose facile. Je vais devoir affronter dans un combat titanesque des adversaires de haut vol. Voyons un peu parmi les grands favoris...

Sophia Martelly

Elle a souvent été présentée par ses ennemis intimes comme la Dame de Fer et une femme à tout faire. Ce qui est certain, c'est que ses références duvaliéristes sont impeccables. Ceci constitue un grand atout auprès des pays « amis » d'Haïti. Elle a aussi l'avantage d'être déjà au pouvoir et de disposer à sa guise de la caisse publique. Par contre, elle n'a pas de formation académique connue au-delà du Certificat d'Études Primaires. Selon la propagande officielle elle serait plus ou moins...économiste. Ce certificat...additionnel lui aurait été accordé en hommage à ses longues nuits de veille à amasser du fric dans les bals de Sweet Micky. Au cours d'une émission télévisée, le Premier ministre Rosevans Paul, a candidement affirmé que, dans sa jeunesse, Sophia voulait être urologue afin de prodiguer des soins gratuits aux...déshérités du sort. Moi, je dis que c'est tout à son honneur. La très prestigieuse Université des Gonaïves offre, sur Internet, des cours accélérés pour dirigeants qui manquent de formation. Le président Micky y serait déjà en troisième année de Droit. Cette institution offre également un Master en Instruction Civique et Morale.

Selon la loi électorale en vigueur, Sophia Martelly souffre également d'un déficit d'haïtianité. Elle est citizen. Toutefois, cela pourrait s'arranger facilement avec le président du CEP, M. Pierre-Louis Opont, qui saura apprécier à sa juste valeur une infusion massive d'argent liquide. La candidate du pouvoir « kale tèt » aura à faire face aux graves accusations de détournements de fonds des « petits avocats pauvres » qui, entretemps, avalent du terrain électoral. En tant que Première dame, elle avait reçu une autorisation officielle, publiée dans le Moniteur, en vue de « décherpiller » la caisse publique.

Sauveur Pierre-Etienne

Secrétaire général de l'OPL (le parti crée par Gérard Pierre-Charles, une icône de la gauche haïtienne), Sauveur est détenteur d'un doctorat en sciences politiques. Toutefois, la « Radiographie » de ses prises de position révèle une faiblesse généralisée au niveau de la colonne vertébrale. Au cours des quatre dernières années, son attitude vis-à-vis du gouvernement kleptomane et autoritaire de Sweet Mimi a été très ambiguë. Il commet souvent des erreurs de calcul et ne maîtrise pas encore les notions élémentaires de l'arithmétique, de la proportion et de la vraisemblance tout court. Il a accusé René Préval d'avoir vendu le poste de Président à Michel Martelly pour la somme de (tenez vous bien)...500 millions de dollars US ! À son actif, il faut aussi ajouter la création d'une nouvelle science sociale qualifiée de « Radotologie ». Il aime s'entendre parler et ré/péter (ad nauseam) les mêmes rengaines. À l'en croire, il aurait le vent en poupe...

Sauveur est probablement un excellent professeur d'université mais un lunatique qui se laisse aller à des déclarations nébuleuses, à l'emporte-pièce. À tort ou à raison, il croit en son étoile. Sur la Toile et dans la classe...politique, il est devenu un vaste sujet de plaisanteries. Toutefois, il lui arrive parfois de dire des choses sensées lorsqu'il ne raconte pas des conneries. Le grand défi sera pour lui de transformer les grands mots en bulletins électoraux. Un brutal réveil l'attend lorsque les résultats des élections présidentielles seront proclamés. S'il n'arrive pas à franchir le cap de 7% des voix, il risque de perdre et le sac et les crabes. Selon les révélations confidentielles de mon houngan politique Diab Nan Ravine, il aura à faire face, avant ou après les élections, à une rébellion au sein de l'OPL.

Déjà 2 heures 12, l'heure d'aller casser la croûte avec ma Ouanga Négresse. D'après les informations fournies par radio fouille-apporte, la liste des candidats à la Présidence a déjà dépassé plusieurs feuilles de papier. Serait-il redondant d'ajouter que la plupart des candidats manquent une feuille ? Personnellement, je n'ai pas l'intention de mener campagne. Les bains de foule me laissent froid. Les promesses creuses et les envolées lyriques me donnent le vertige. Farouche partisan du regretté professeur Leslie F. Manigat, je crois dur comme fer que : « Si je prends le pouvoir, le peuple viendra à Moi. »

Castro Desroches

castro-desroches* Castro Desroches enseigne le français à l'université aux États-Unis depuis dix ans. Observateur attentif de la politicaillerie haïtienne, il a déjà publié de nombreux articles humoristiques sur la folie du Pouvoir. Il vient de lancer aux Éditions Educa Vision une « lodyans » intitulée : Les Enfants Malades de Papa Doc. Ce livre est disponible à Amazon.com

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