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Hymenoplastie : la seconde virginité a toujours la cote

De plus en plus de jeunes femmes, généralement musulmanes, sont à la recherche d’un nouvel hymen. Un phénomène qui inquiète le corps médical et les associations féminines. Enquête.

virginiteElles sont maghrébines, turques ou originaires d’Afrique subsaharienne. Elles vivent à Molenbeek, Gilly ou Herstal. Leur virginité perdue, elles l’évoquent sans fard dans des forums web spécialisés (santé, sexologie, religion…). Déflorées par hasard, amour ou force. Chargées de honte et de regrets. Evoquant le pire (les violences masculines, les bannissements, les crimes d’honneur…) et rêvant du meilleur (mariage « au bled », vie « pépère »).

Leur planche de salut ? Obtenir d’un médecin belge un « certificat de virginité ». Et, pour les plus déterminées, entreprendre une réfection d’hymen. Pour être conforme à la tradition, éviter une éventuelle mort sociale…

En novembre 2007, notre journaliste Hughes Dorzee s’est penché sur ce phénomène. A l’époque déjà, l’hyménoplastie – la reconstitution de l’hymen – était fortement demandée.

Cinq ans plus tard, aucune étude précise sur ce type d’opération a été réalisée. Néanmoins, à la lueur des chiffres et des commentaires fournis par plusieurs praticiens, la demande semble légèrement augmenter.

Le corps médical reste partagé
« On est a priori contre le principe, mais ce qui nous importe, c’est de protéger les femmes et leurs intérêts », explique Julie Belhomme, gynécologue au CHU Saint-Pierre. « Pour moi, réagit un généraliste qui préfère l’anonymat, c’est tromper l’homme et cautionner un système archaïque et machiste. Je refuse ».

Un amant de passage, un viol, un divorce qu’on préfère taire, à chaque patiente ses raisons de vouloir prouver, noir sur blanc, sa virginité réelle ou dissimulée. « Entre assurer la « paix dans les ménages «, éviter des situations dramatiques et ne pas entretenir le poids des traditions, on est mal à l’aise », admet Yvon Englert, président du Groupement des gynécologues francophones. Ni le législateur, ni l’Ordre des médecins, ni le Comité de bioéthique n’ont émis d’avis sur le sujet. Le nombre de ces certificats ? Aucun chiffre disponible. Dans plusieurs hôpitaux à forte population multiculturelle, on parle de « quelques dizaines d’attestations par an ». Pratique marginale, donc.

Mais s’ajoutent les reconstructions de l’hymen, appelées aussi réfection ou hyménoplastie. Pratiquée en ambulatoire (planning, centre de santé…), en hôpital ou en clinique privée, cette technique médicale se résume à une « simple » suture ou à une réfection plus élaborée.

A cause de la pression familiale
« Nous recevons exclusivement des jeunes filles de confession musulmane. Leur témoignage est souvent le même, elles doivent se marier et il est important qu’elles soient vierges et puissent saigner. Une grande minorité nous déclare qu’elles ont utilisé un tampon trop large. Pour la majorité, elles ont eu un amour passé avec qui elles croyaient se marier. Je constate que c’est surtout une pression de la famille, la leur ou celle du marié. Celui-ci est parfois contre l’hyménoplastie, la belle famille réclame une preuve, un drap souillé le lendemain de la nuit de noce » témoigne un assistant-chirurgien de la clinique privée Esthea à Liège.

Depuis 1984, l’acte est remboursé par l’Inami (environ 110,38 euros par intervention). Les prix pratiqués ? Du prix « mutuelle » (à peine majoré) au tarif fort (de 2.000 à 2.500 euros). Ici aussi, difficile de chiffrer avec exactitude le phénomène : protection de la vie privée oblige (loi du 8 décembre 1992), la réfection de l’hymen n’est pas recensée comme telle.

« Elle est intégrée dans la nomenclature des prestations « chirurgie plastique (vulve et vagin) » », précise l’Inami. En 2002, on dénombrait 2.723 actes chirurgicaux de cette nature. En 2011 (derniers chiffres disponibles) : 3.089. On constate une augmentation d’environ 100 cas par an. Mais ceux-ci englobent les sutures d’hymen et toutes les autres interventions pour indications diverses (post-accouchement, brûlure, abcès…).

« De toute façon, insiste le Dr Verougstraete, la plupart n’ont pas envie d’introduire une demande de remboursement et préfèrent garder l’anonymat. » Des femmes en détresse, le plus souvent. Issues de milieux plutôt défavorisés où le poids de la tradition (musulmane, en particulier) est écrasant. « Elles ont été piégées par un garçon, leurs mères sont hantées par l’idée qu’elles ne pourront plus les marier. Elles se sentent peu respectées et respectables, comme souillées par la vie occidentale. Elles sont remplies de peur, de culpabilité, parfois de honte », constate Nuran Ciceckciler, psychologue au planning familial Josaphat (Schaerbeek).

Reconstituer un hymen ? « Tout sauf un acte banal, poursuit le Dr Belhomme. Une confidentialité totale et un accompagnement strict s’imposent. » Anne Verougstraete confirme : « Je commence toujours par un cours d’anatomie et de prévention. J’évoque la sexualité, l’hymen, les MST, la pilule du lendemain… Je fais d’office un test de grossesse pour éviter les mauvaises surprises. » Petite réfection ou chirurgie plus élaborée ?

A chaque médecin sa technique. « Une simple suture sous-locale de 3 à 7 jours avant le mariage suffit souvent, s’accordent les experts : la jeune femme saignera lors du premier rapport et sauvera la face. »

Pénitence sociale
Mais cette quête de virginité à tout prix pèse sur la vie affective et sexuelle de ces femmes. « Elles sont écartelées entre leur épanouissement dans un monde sexualisé à outrance, leur loyauté à une certaine tradition et le carcan familial, regrette une médiatrice scolaire bruxelloise. A la maison, le sexe c’est tabou. Un bisou-bisou à la télé, on zappe ! Elles méconnaissent leur corps, et vivent entre pudeur et tremblements. »

La tradition islamique ? « En soi, la sexualité n’est pas un tabou, nuance Brigitte Maréchal, docteur en islamologie (UCL). En islam, c’est normal, naturel et même valorisé. Mais la sexualité dans le cadre strict du mariage, qui constitue la moitié de la vie. » La virginité ? Pas un prescrit coranique, mais un conseil du prophète qui donne sa « préférence » pour une épouse vierge. Le sexe « hors mariage » ? Un péché de « zina », source de honte, de déshonneur, d’impureté.

« Entre les clips sur MTV, la violence pornographique sur le Net et des traditions fortes, ces filles sont parfois désemparées », relève Nuran Ciceckciler. « La hantise d’être déflorée les amène à accepter des comportements sexuels très peu épanouissants (sodomie, fellations…) et à ne pas intégrer la notion de plaisir. Ce qui a un effet sur leur vie affective et sexuelle », ajoute Bahareh Dibadj, sexologue. « Cette vision sécuritaire et crispée de la sexualité n’est évidemment pas le meilleur moyen pour remettre en cause leur environnement », regrette Catherine François (SOS viol).

« Pressions familiales intenables, poids de la surveillance communautaire, ségrégation, exclusion, combien de vies sociales brisées et de souffrances mentales à la clé (stress, dépression, anxiété…) », relève Jamila Si M’Hammed, de la Clinique de l’Exil.

« Disposer librement de son corps est un droit fondamental, conclut le Dr Verougstraete. On voudrait entendre plus de voix progressistes pour dénoncer ce système archaïque. » Pour que Salem, Cherazade ou Rose-Marie ne soient plus seules. Hantées par un certificat sans valeur ou par une suture de fortune. Seules avec leur virginité perdue et avec les fantômes de la Tradition.

Hughes Dorzée & Aurore Peignois
Source: www.lesoir.be