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Affaire Ferretti- Petit ou grand Québec ? Nous et les autres - Confédération des associations latino-américaines de Québec

victor-ramos-casa-latino-americaineVictor H. Ramos, Président Confédération des associations latino-américaines de Québec (CASA latino-américaine)

Par Victor H. Ramos
Président Confédération des associations latino-américaines de Québec
(CASA latino-américaine)

Le désolant article de l’écrivaine et remarquable militante qu’est madame Andrée Ferretti, paru le 13 décembre sur le site Indépendantes.org, « Dany Laferrière le modèle parfait de l’anti Québécois », nous oblige à nous poser deux questions fondamentales par rapport à la « québécité » et aux relations du « Nous » avec les « Autres ». D’abord, de quel Québec parle-t-elle ? Un tout petit Québec « né pour un petit pain », ou bien d’un grand Québec inclusif et sans complexes ? Et, en étroite relation avec la première,  dans  sa  conception  du  « Nous » québécois, reste-t-il, d’après madame Ferretti, de la place pour les « Autres »?

Si on lit bien le titre de l’article, et si « anti » est utilisé dans le sens d’« antinomique » et non de « hostile » aux Québécois, il est plus insultant pour les Québécois que pour Dany Laferrière. Madame Ferretti écrit que « L’homme a confiance en lui et a l’audace de sa colossale ambition». Alors, on peut en déduire, en suivant l’écrivaine, que les Québécois n’ont ni confiance, ni audace ni ambition… vision que nous ne partageons pas du tout. S’en suit une regrettable insulte à Haïti, indigne d’une intellectuelle et d’une militante pour l’indépendance du Québec. Égarement ?

Méconnaissance de l’histoire d’Haïti qui fut obligée de payer à la France une indemnisation exorbitante pour la punir d’avoir son indépendance et qui, depuis, n’a cessé de subir les assauts de toutes sortes de la part d’autres puissances colonialistes et impérialistes qui l’ont ainsi enchaînée à la dépendance économique et financière, sans parler du vol de ses richesses naturelles, de ses réserves d’or, etc.; sans oublier non plus les dictateurs protégés par les puissances « démocratiques » qui ont parachevé la saignée de ce pays précurseur des indépendances de l’Amérique latine ?

Non! Ni Québec, ni Haïti et aucun peuple ne naissent pour un petit pain ni pour « vivre aux crochets de la charité universelle », comme le font accroire les élites qui, elles, vivent aux crochets des peuples en les exploitant et en les aliénant avec ces idéologies dominantes  et  méprisantes qui leur sont propres!  Étrange  vision  du  « Nous » et de l’« Autre », de la part d’une militante qui lutte pour la désaliénation et l’indépendance de son peuple !

Madame Andrée Ferretti nous présente ensuite Dany Laferrière comme le « conquérant », « parce qu’il a eu la témérité de présenter sa candidature au seul nom de lui-même ». Pourtant, c’est la procédure normale et légale de cette institution, comme en fait foi son site Web : « Du jour où la vacance est déclarée, les candidats notifient leur candidature par une lettre adressée au Secrétaire perpétuel. Il existe aussi une procédure de présentation de candidature posée par un ou plusieurs membres de l’Académie. » De plus, selon les informations fournies par différents médias, c’est madame Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuel de l’Académie française, qui lui avait demandé de présenter sa candidature. Et Dany Laferrière a été accepté comme membre dès le premier tour avec 13 votes sur 23, devançant, et de loin, les autres candidats. Si conquérant il y a, il a tout de même été sollicité…

Et il y a la question de la « québécité » de cet article, digne d’un Elvis Gratton ! Un « Nous » risible par sa caricaturale petitesse exclusiviste et son « aplat-ventrisme » (sic) intrinsèque. Qu’on en juge par ce qu’écrit madame Ferretti : « Je déplore donc le pétage de bretelles de notre élite culturelle et politique qui revendique la “québécité” du nouvel académicien, énième manifestation de notre aplat-ventrisme » (sic), car « lui-même, avec raison, ne rendra grâce de son élection qu’à la puissance, la créativité et la beauté de la culture haïtienne ».

Il faut souligner que dans les déclarations qu’il a faites après sa nomination à l’Académie française, contrairement à l’affirmation de madame Ferretti, Dany Laferrière a reconnu que Montréal l’a « construit sur le plan littéraire ». Même s’il n’aime pas les étiquettes identitaires, il déclarait lors d’une entrevue à Radio Canada : « J’espère y apporter aussi quelques mots de notre langue savoureuse d’Haïti et du Québec. » En aucun moment Dany n’a oublié sa « québécité »  ni son haïtianité, conception qui rend mieux compte de la dynamique identitaire complexe qui permet d’avoir plusieurs identités sociales comme cela se passe dans la vie réelle des gens. La vision « paroissiale » de l’identité à l’ombre du clocher n’est plus de mise, surtout aujourd’hui, quand le local et le global se télescopent, s’entrecroisent, donnant lieu à des enrichissements, à des créations artistiques et identitaires plus complexes et diverses.

De surcroît, on découvre avec l’écrivaine et militante que Dany Laferrière n’a toujours été que de passage au Québec. Elle finit par saluer l’« illustre visiteur », donc nullement Québécois. Il ne fait pas partie de « Nous », du « nous » de madame Ferretti, pour être plus précis. Si ce texte représente véritablement la conception de la « québécité »  de madame Ferretti, ce qui est difficile à croire, elle devrait renouveler son enracinement dans le Québec du XXIe siècle et élargir sa vision d’appartenance.

Aujourd’hui, peu des Québécois, de naissance et d’adoption et nullement « visiteurs », partagent cette « québécité » pauvre, étroite et puriste du Québec, peuple fier de son héritage et riche des apports pluriels de ses citoyennes et citoyens de toutes origines en interaction et en interrelation créatrices. Les conceptions puristes et figées de l’identité collective sont en contradiction avec la réalité sociale complexe et en permanente construction, déconstruction et reconstruction. En plus, ce genre de vision ne suscite guère l’adhésion de nouveaux Québécois à leur Patrie d’adoption et encore moins à faire leur la lutte du Québec pour son indépendance.

Nous dénonçons et condamnons cette forme biaisée,  rachitique et exclusive de la conception du « Nous » québécois propre à madame Ferretti, ainsi que ses propos insultants pour Haïti et le traitement injuste et indécent dont elle afflige monsieur Dany Laferrière.

Pour notre part, nous saluons Dany Laferrière, ce Québécois et Haïtien universel qu’il est et qui honore aussi toute l’Amérique avec ses œuvres littéraires reconnues, les prestigieux prix remportés et, maintenant, par son admission  à l’Académie  française.  Avec lui,  et  d’autres  créateurs, le « Nous » se rencontre avec l’« Autre » et fait possible le « Nous autres » d’un Grand Québec qui intègre ses citoyens venus de partout, dont la limite de sa dernière spirale identitaire collective s’arrêtera au point exact de l’avènement de l’Humanité unie dans la convergence de son intrinsèque diversité. Nous croyons en un Québec grand et mature qui grandit avec son affirmation comme peuple libre et avec son enrichissante ouverture à l’ « Autre. »

Victor H. Ramos
Président Confédération des associations latino-américaines de Québec.