Culture & Société
Documentaire: Edmond Mulet voulait la tête de René Préval
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- Publié le jeudi 4 avril 2013 11:51
Raoul Peck, au terme d'une longue moisson d'images, livre « Assistance mortelle ». En cent minutes, le cinéaste, avec pudeur mais un droit de gueule inaltérable, balance. Sa caméra, des fois oubliée, saisit des moments rares, des scoops confinés dans le studio de montage pendant deux ans. On y voit un René Préval raconter comment des représentants de la communauté internationale, Edmond Mulet en tête, ont tenté de l'éjecter de la présidence après les élections houleuses du 28 novembre 2010.
« C'est un témoin qui montre », chuchote Yvrance aux premières images du film, projeté pour quelques dizaines de personnes, à la salle paroissiale d'Aquin, samedi 30 mars 2013. On ne verra pas de mort. Mais l'échec. Celui de la gestion post-goudougoudou par les acteurs nationaux et internationaux. Sur presque toutes les coutures, les défaillances de l'aide, de l'assistance internationale sont montrées, prévient la narration, une sorte d'échange de correspondance entre Peck et une amie inquiète, une mélancolie dans la voix. On remonte le temps avec ces voix et les images proposées par Raoul Peck. Ce temps scalpel, ce temps qui démasque, ce temps qui accuse au regard des résultats. Peu après la catastrophe, c'est un Bill Clinton, grand chef d'orchestre, sûr de lui, que l'on voit. Ce séisme, « c'est la meilleure occasion pour construire l'avenir », gage l'ex-président américain, envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU, coprésident de la Commission intérimaire pour la reconstruction d'Haïti (CIRH). « Nous ne pouvons pas échouer », lance tout de go Jean Max Bellerive, Premier ministre, bras droit de René Préval, président d'Haïti. Au chevet d'Haïti, la communauté internationale est accourue. Devant l'ampleur de la catastrophe, plus de 230 000 morts, sans compter les blessés et 1.5 million de sans-abris, elle a fait plus que s'accrocher à son mouchoir. Cette communauté internationale a mis la main à la poche. 5 milliards de dollars sur 18 mois et 11 milliards sur 5 ans. Les engagements sont sincères mais très vite, les rivalités éclatent entre bailleurs, agences internationales et ONG. Cette catastrophe, peu à peu n'est pas celle de tout le monde. « La bulle humanitaire vivaient dans une autre sphère que l'Etat Haïtien », constate Joël Boutroue, ex-cadre des Nations unies en Haïti et conseiller de Jean-Max Bellerive.
C'est un René Préval impuissant qui déplore la faiblesse de l'Etat. Si on était un Etat fort, l'étranger n'aurait pas pu contourner les structures locales. Une bouteille d'eau donnée à un sinistré coûte 50 fois plus cher en provenance de l'étranger alors qu'il y avait des entreprises locales dans ce secteur, illustre le président d'Haïti. Les agences et ONG décident. Et pour cause. 80 % du financement au développement d'Haïti proviennent de la communauté internationale. 70 % du secteur privé et de la société civile sont liés ou appartiennent à la communauté internationale. La ligne de démarcation entre ingérence et support est fine, souligne Jean-Max Bellerive, PM, ministre de la Planification et coprésident de la CIRH. En général, indique Bellerive, 60 % de l'argent donné retournent dans le pays donateur. De gros lobbyistes sont impliqués. Avec son argent, l'international impose sa volonté,reconnait un Bellerive désenchaté.
L'ingénieur Joaséus Nader, infatigable responsable du SEEUR des TPTC, confirme. Dans les réunions il fait de la figuration. Le Blanc décide. « Les Haïtiens sont ignorés », jette-t-il. « L'argent côtoie sans nuance la misère », relance Peck dans sa narration. Le problème de la répartition se pose. Le temps passe et la catastrophe n'est pas celle de tout le monde. Entre-temps, la CIRH, née à la conférence des donateurs le 31 mars, après des difficultés, démarre. Elle marche à pas de tortue. Et Bill Clinton, à la réunion de la CIRH le 14 décembre 2010 en République dominicaine, tente de contenir la fronde de la partie haïtienne et d'un Perceval Patterson. La partie haïtienne, dans une lettre lue par Suzy Filippini, dénonce à son statut de « figurant », l'opacité dans la prise de décision à la CIRH. Clinton calme le jeu. Les malaises sont évidents. D'autant que René Préval et son poulain Jude Célestin sont lâchés par la communauté internationale. L'irréparable a failli être commis. Edmond Mulet, quelques jours avant cette réunion de la CIRH à l'hôtel Hilton, à Santo Domingo, a offert un avion à René Préval afin que ce dernier parte pour l'exil. C'était l'une des exigences de l'opposition qui s'était liguée contre Préval et son dauphin Jude Célestin,selon Mulet, cité par Préval. Témoignage. René Préval explique que Mulet lui a offert un avion pour partir. « J'ai dit à M. Mulet qu'il n'a qu'à venir me passer les menottes et m'embarquer dans cet avion. Comme ça, tout le monde saura que c'est lui qui m'a kidnappé », raconte René Préval. Scoop. Préval confirme face à la caméra, ce qui était une rumeur. A cette réunion où cette décision a été prise, on voit des images de l'ex-ambassadeur français Didier Le Bret, de l'ex-ambassadeur américain Kenneth H. Merten. Stupéfaction. Découverte. Bellerive, qui s'était invité à cette réunion, souligne avoir rappellé que seule la Constitution haïtienne doit guider les actions politiques en Haïti. « Martelly ne savait pas qu'il allait être fait président », relance Peck le narrateur. A la célébration du premier anniversaire du séisme au Log base, René Préval s'en va quand Bill Clinton s'apprête à prendre la parole. Choc. « Ce n'est plus la peine de faire semblant ». Une nouvelle relance de la narration. Clinton a fait le choix de Martelly. Le défi d'aider Haïti après le séisme reste entier. Et une évidence est ressassée par Peck : le développement n'a pas de raccourcis. Pricila Phelps, une Américaine qui travaille pour la CIRH, dénonce. « Jai l'impression que l'on se joue de nous ». Ce sont les gros joueurs du système. Peck, sans détour, montre les travers de la « pornographie humanitaire ». Des actions cosmétiques de certaines ONG. Des saupoudrages grandeur nature. Haïti, le bouc émissaire, est rejetée par Peck. Il y a un problème Haïtien et le problème de la coopération, soutient le cinéaste. Martelly n'enraye pas la machine de la CIRH. En échange, selon le film, d'un financement à hauteur de 92 millions du projet 16/6, il prolonge d'une année le mandat de cette commission. Des images de vautours, de chasseurs de millions avec des projets bidon défilent.
L'échec est montré, une leçon ressassée, « il n'y a pas de raccourcis si l'on veut développer un pays ». Et sur la pointe des pieds, des ONG, des agences se sont retirées. Plus de financement. On plie bagage. D'autres continuent de faire semblant. La reconstruction est un mythe et Haïti est retournée à la normalité. En larmes après cette projection dans le cadre du Festival Destination Aquin, Peck souligne que son film est destiné aux opinions publiques. D'Haïti et des pays donateurs. Il sera diffusé à la télévision, donné à des écoles, des universités. L'international, qui ne respecte pas ses propres règles, contrôle le « storytelling ». Ce film électrochoc casse tout ça et raconte un échec cuisant, filmé de l'intérieur...
Roberson Alphonse
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Source: Le Nouvelliste
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